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Poupée d'Ivoire - Franz

chevauchée fantastique en Chine médiévale

Brigitte Fleurat Webzine 21/01/2013 à 18:04 12203 visiteurs
Poupée d’Ivoire, à première vue, ça fait "féminin-objet", c’est précieux et délicat… mais le pitch du premier tome sorti en 1988 annonçait d’emblée les épices qui font les histoires les plus stimulantes !

"Fureur, violence, barbarie et amour : voici les contes de l’Empire du Milieu, de vieux chinois raffinés mais décadents, font face aux jeunes barbares des steppes : c’est l’Empire contre la tribu, l’ordre contre la liberté.
Pris en otages au milieu de cette tourmente, Yu Lien, la jeune concubine, et Timouk, le barbare, incarnent l’amour impossible.
Autant en emporte la mousson… "


On a (presque) tout dans ce texte (même une erreur ! Ce n’est pas Timouk, mais Timok) :
- un clin d’œil au cinéma pour évoquer une fresque d’aventure et d’amour dans un contexte historique mouvementé,
- des « petits » qui, pour rester libres, luttent contre des puissants,
- un amour réciproque improbable qui annonce, sous la peau de Poupée d’Ivoire, une femme-passion, une femme-action,
tout cela conçu et mis en œuvre par Franz, un dessinateur de talent dont j’avais goûté la patte dans la série Thomas Noland réalisée avec Daniel Pecqueur. Irrésistible !

Poupée d’Ivoire, c’est Yu Lien.

Naître femme, dans une famille pauvre de la Chine médiévale, ce n’est pas un très bon départ dans la vie. Ce personnage qui, en toute logique, aurait dû n’être que soumission deviendra, sous la plume de Franz, une magnifique icône d’indépendance, de liberté, d’amour... et cerise sur le gâteau, d’humour : l’incarnation de nombre de fantasmes masculins ! Elle apprend à se battre, goûte sans pudeur les plaisirs qui passent à sa portée, défend bec et ongles ceux qu’elle aime et, dans le couple, c’est souvent elle qui prend les décisions.

Son compagnon, Timok, est aussi un héros séduisant. Sauvage (et naturellement, excellent combattant!), orgueilleux, impulsif, parfois adorablement puéril dans sa quête identitaire, il est malgré lui subjugué par sa compagne. Et parole de lectrice, Franz lui a fait une « gueule » particulièrement craquante !

Si le personnage de Yu Lien, dont on ne sait rien du passé avant sa rencontre avec Timok, est plutôt issu de fantasmes masculins, Franz imagine l’enfance du barbare sous la houlette de deux parents charismatiques et lui donne une personnalité qui se construit contre un père, Kaliber Kan, dont les actes fous seront déterminants tout au long du récit.

Les deux héros ne cesseront de se quitter, de se retrouver, de s’opposer, de s’aimer, d’aller au secours l’un de l’autre, de se compléter dans l’action comme dans l’affection. L’auteur s’amuse à créer entre eux une connivence qui se traduit par des dialogues d’un humour léger, lesquels évoquent certaines séries télévisées portées par des duos de héros. Cette complicité pleine de drôlerie s’étendra même à leurs proches, face aux périls qu’ils auront à affronter.


Souvent, les auteurs de bande dessinée présentent en première planche une vue générale d’un lieu pour y situer l’histoire. Franz, quant à lui, commence le premier tome par une vue générale de l’époque pour évoquer la sauvagerie des rapports humains aux quatre coins du monde en « ces temps-là ».


Cette sauvagerie guide les aventures qui vont se succéder à un rythme soutenu pendant les 9 tomes. Fuites, poursuites, agressions, vols, tortures et viols jalonnent le récit. Pourtant, la sauvagerie n’est pas l’héroïne de l’histoire, ni l’histoire un prétexte pour exhiber la sauvagerie. Elle est même parfois traitée avec une légèreté humoristique qui dédramatise le récit. La sauvagerie n’est qu’un des éléments contextuels qui pimentent l’aventure.



Franz ne semble pas avoir construit son récit à l’avance : l’histoire s’embourbe même un peu par moments. Mais ce qu’il transmet avec talent, c’est son plaisir de confronter ses jeunes héros à des éléments curieux grappillés çà et là dans ses recherches historiques. Dans le tome 8, une planche consacrée à un panorama sommaire des rapports de pouvoir dans les différents continents à cette époque, témoigne de ce goût pour l’histoire. Cependant, sur l'ensemble de la série, il y a finalement peu d’éléments didactiques et c’est très bien. Ce qui est intéressant, c’est ce qui stimule l’imagination de l’auteur, et la nôtre par la même occasion. Deux exemples :
- Un seul Européen apparaît dans la série. Il tente, grimé en Roi des Singes, de voler le secret de la soie. Franz s’inspire d’un élément historique, le monopole par la Chine de la production de la soie, très prisée en Europe, et d’un élément culturel, une légende, pour introduire un nouveau personnage ayant son histoire propre.
- Les traditions et les costumes des Scythes sont dessinés avec un grand luxe de détails et de couleurs. On sent que cette civilisation cruelle a fasciné Franz.

Par deux fois dans la série, l’auteur évoque la valeur qui, dans certaines régions, était alors donnée aux femmes qui ont eu de multiples aventures avant le mariage. Même si l’anecdote n’apporte rien à l’histoire en cours, Franz a eu envie de nous faire partager son étonnement ou son amusement sur ce point. Il rend souvent hommage aux femmes par des évocations historiques, par la création de personnages féminins étonnants, comme la mère de Timok ou la vieille Shu Wei, et en poussant à plusieurs reprises son héroïne à venir en aide aux femmes victimes de la barbarie.

La vitalité qui se dégage des dessins d’animaux, en particulier des chevaux, témoigne de la virtuosité graphique de Franz. Elle s’illustre également dans la précision du dessin des costumes de différents peuples, tout autant que des ébats des corps nus. Certaines compositions servent remarquablement le récit. Ici un cauchemar de Kaliber Kan:



Il faisait partie de cette génération d’auteurs qui disent plutôt « je m’amuse bien » que « je travaille » et je crois que dans cette série, le plaisir de l’auteur alimente celui du lecteur qui découvre ces aventures.

Franz est mort à 54 ans le 8 janvier 2003. Il avait laissé passer quelques années avant d’entamer le 9e tome qui devait donner une fin de cette saga, avec un retour de Timok aux lieux de son enfance. Henri Filippini explique dans ce dernier tome que Franz en avait dessiné les 37 premières planches lorsqu’il a quitté ce monde, et qu’il n’avait pas laissé trace de ses projets. La fin a été imaginée et réalisée par François Corteggiani et Michel Faure. Même si ce dernier album n’est pas le plus passionnant, l’exercice était difficile, et les deux auteurs offrent en final un hymne à la liberté comme un ultime hommage à Franz… et un petit supplément de bonheur pour les amateurs de ces aventures sauvages.
Brigitte Fleurat

Information sur l'album

Poupée d'ivoire
1. Nuits sauvages

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Note: 4.6/5 (20 votes)

  • Franz
  • Franz
  • 02/1988
  • Glénat
  • Vécu
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