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Highlands : des ladies comme s'il en pleuvait

Entretien avec Philippe Aymond

Propos recueillis par L. Gianati Interview 17/08/2012 à 11:33 7366 visiteurs
Longtemps, le nom de Philippe Aymond a été associé à celui d'un dessinateur de talent, ayant travaillé avec une poignée de grands scénaristes. Aujourd'hui, nous le retrouvons seul aux commandes de Highlands, un récit d'aventures prévu en deux tomes mêlant romantisme et Histoire dont la première partie sort le 24 août prochain, le même jour que le 8ème opus de Lady S.

Le 24 août 2012 marque la sortie simultanée de deux albums signés Philippe Aymond : le tome 8 de Lady S. et la première partie de Highlands. Avec deux héroïnes de ce calibre, l’été n’a pas fini d’être chaud ! (sourire)

Je crois qu'il y a erreur sur la personne... Vous vouliez interviewer Manara, c'est ça ? Bon, oui, il y a des jeunes femmes plutôt mignonnes dans les deux albums, mais il n'y a pas que ça, je vous le garantis. Quant à la chaleur, vous la sentirez davantage dans le tome 8 de Lady S., qui se passe à Florence. Highlands, évidemment, se déroule en Écosse, pays qui ne connaît une forte canicule que tous les 32 juillet.

Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de vous mettre à l’écriture d’un scénario de bande dessinée ?

Parce que j'ai eu la chance de travailler avec de grands scénaristes. Dans ma jeunesse, avant d'avoir la possibilité d'être publié, j'ai toujours écrit mes propres scénarios. Être auteur de BD, pour moi, c'était écrire et dessiner. Je ne me voyais pas partir à la recherche d'un scénariste. Mais en 1989, j'ai rencontré JC Mézières qui cherchait un encreur pour monter un studio de dessin. Et sans avoir le temps de dire « ouf », j'ai été poussé dans la cour des grands à l'âge de 21 ans. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé à travailler sur une série, Canal Choc, publiée par les Humanoïdes Associés et dont les scénarios étaient écrits par Pierre Christin. Là, assez rapidement, j'ai compris que j'avais d'énormes lacunes en dessin. J'ai aussi compris grâce à Mézières que le rôle du dessinateur ne se borne pas à illustrer, mais qu'il doit maîtriser toute la mise en scène, ou disons la mise en cases. J'ai donc décidé à l'époque de mettre mes envies d'écriture de côté et de mettre toute mon énergie dans l'aspect graphique du métier. Et puis, au contact de Christin, j'ai compris aussi que pour être scénariste, il fallait avoir du vécu, et que mes idées d'histoires manquaient de consistance. J'ai travaillé avec lui pendant une dizaine d'année. Cette collaboration est hélas passée inaperçue et n'a eu aucun succès. En 1999, LF Bollée avec qui j'étais ami m'a proposé ApocalypseMania. C'était une magnifique histoire, j'ai plongé dedans avec plaisir. Et en 2003, les éditions Dupuis m'ont proposé de travailler avec Jean Van Hamme sur Lady S. Jean recherchait un dessinateur classique réaliste, et j'ai vécu ça comme une récompense et une vraie revanche. C'est un genre que j'ai toujours défendu, mais lorsque je travaillais avec Christin, les critiques me reprochaient l'aspect classique de mon travail. Ce qui m'avait poussé d'ailleurs à me risquer à la couleur directe sur ApocalypseMania. Enfin bref, tout ça m'a évidemment longtemps éloigné de l'écriture.

Comment est né Highlands ?

Highlands raconte le destin du « peintre ordinaire », c'est-à-dire du portraitiste, d'un noble écossais au XVIIIe siècle. L'idée de mettre en scène un peintre me poursuit depuis longtemps, depuis l'époque où j'étais étudiant en arts plastiques. Au début, je voulais faire un biopic sur Le Caravage, un peintre du XVIe siècle qui a eu une vie extraordinaire. Mais j'ai vite dérivé vers autre chose, en gardant le thème du peintre et son côté aventurier. Il y avait aussi l'envie d'évoquer une relation trouble entre un peintre et son modèle. Mais je n'avais pas du tout envie de faire un récit intimiste. Je voulais que ça serve une intrigue et un certain suspense. Je me permettrai au passage de vous rappeler cette citation de Jean Van Hamme dont je suis très jaloux car j'aurais aimé la prononcer : « Nous racontons des histoires destinées au grand public, si possible intelligemment construites et graphiquement efficaces. Il y a une règle : ne pas prendre nos lecteurs pour des attardés mentaux et ne pas les emmerder avec des circonvolutions pseudo-littéraires et un dessin qui ressemble à du sous-Picasso passé au micro-onde. »

L’Écosse, et plus particulièrement le milieu du XVIIIe siècle, est un thème peu traité en bande dessinée…

C'est pourtant une période très importante. En 1746 ont eu lieu les dernières révoltes des clans des Highlands contre le roi Georges II qui régnait sur l'Angleterre et l’Écosse. Révoltes qui ont été réprimées avec une violence extrême, des massacres, des déportations... Mais le pire, c'est que les clans se sont retrouvés les uns contre les autres. C'était aussi une guerre fratricide, parfois au sens propre du terme. Et il se trouve que justement ce contexte convenait parfaitement à mon sujet. A l'époque, les portraitistes étaient des gens impliqués dans la vie sociale et politique, et pouvaient avoir des ennemis. Et puis, l’Écosse est un pays d'une beauté incroyable. En ce qui me concerne, la découverte de ce pays équivaut au choc qu'a dû représenter l'ouest américain pour Jijé ou l'Himalaya pour Cosey. Quand j'y ai mis les pieds pour la première fois - c'était en 1996 - j'ai su qu'un jour je dessinerais une histoire qu'y passerait. D'ailleurs, peut-être est-ce pour cela que je me suis remis à l'écriture : aucun scénariste ne m'a jamais rien proposé de ce type.

Quelles ont été vos sources de documentation ?

Au niveau du scénario, j'ai approché la période par phases. D'abord en allant sur place dans les musées et sur les lieux historiques comme Culloden. Ensuite en lisant quelques livres sur l'histoire de l’Écosse, et aussi en lisant Walter Scott. Ses romans Waverley et La fiancée de Lavermoor ont été écrits d'après les témoignages de gens qui ont connu les événements et les ont racontés à l'écrivain. Ils fourmillent de détails qui m'ont permis de me faire une idée assez précise de l’Écosse du XVIIIe siècle.
Sur le plan graphique, ça a marqué un vrai changement dans ma manière de travailler. Il se trouve que j'ai quasiment toujours dessiné des histoires contemporaines. Même ApocalypseMania, qui était une série de SF, se passait dans un avenir proche et me permettait de garder un rapport graphique proche de la vie contemporaine (d'ailleurs, je m'étais juré de ne jamais dessiner de récit historique. C'est drôle, non ?). Quand vous faites du contemporain, trouver la doc est assez facile : vous achetez des magazines, vous allez faire des photos sur place... Un jeu d'enfants. Mais se lancer dans un récit historique demande une manière totalement différente d'aller chercher la documentation. Pour Highlands, je voulais que ça se passe vers 1746. Dans la série ApocalypseMania, j'avais déjà survolé cette période dans un album qui se passe dans une reconstitution virtuelle de XVIIIe siècle. L'album laissait une certaine place à l'imaginaire mais j'avais utilisé l'Encyclopédie de Diderot de d'Alembert, et travaillé avec les reproduction de toiles de peintres de cette époque : Wright of Derby, Hogarth, Georges de la Tour... Il est certain que dessiner cet album, Les Lois du Hasard, a contribué à me pousser à écrire Highlands. Donc, merci à LF Bollée pour ce petit coup de pouce involontaire. Mais pour Highlands, la documentation dont je disposais était insuffisante. J'ai complété ma collection de livres sur les peintres en y ajoutant Ramsay, Reynolds, Raeburn... J'ai écumé les librairies d’Écosse pour cela. J'ai aussi utilisé les publications d'Osprey, un éditeur spécialisé dans les armées de toutes les époques et que tous les auteurs de BD historiques connaissent bien. Et bien sûr j'ai pris une quantité astronomique de photos sur place.

Habitué des couleurs directes, vous avez cette fois utilisé l’ordinateur. Le résultat est-il à la hauteur de vos attentes ?

Il y a un moment que j'utilise l'ordinateur dans mon travail, mais jamais dans la phase finale. Je n'aimais pas le principe de la palette graphique qui obligeait à dessiner sur la tablette tout en regardant l'écran. Mais depuis l'apparition des tablettes-écran, tout a changé puisqu'on retrouve le geste naturel de dessiner directement sur le support. J'ai commencé par faire les couleurs des ex-libris et des couvertures de Lady S. pour Spirou. Puis, j'ai travaillé sur les fichiers de Sébastien Gérard, le coloriste de Lady S. J'avoue que sur les premières pages d'Highlands, j'ai beaucoup tâtonné. Mais je crois avoir trouvé les trois ou quatre brosses qui me conviennent, et franchement, regardez par exemple la planche 24, ou la planche 40, et regardez ce que je faisais en couleur directe sur ApocalypseMania, il n'y a pas beaucoup de différences. Sauf un gros avantage pour moi : je suis débarrassé de l'infâme drawing gum (mes collègues me comprendront). Et vues les performances actuelles des logiciels, je n'exclus pas un jour de réaliser aussi l'encrage à la palette.

Sans dévoiler l’intrigue, il est indiqué « fin de la première époque » sur la dernière planche. L’action de la deuxième partie se situera-t-elle à une autre période ?

Oui, ça se passera au Sénégal en 1921. Non, je rigole. Le tome 2 commence 7 mois après la fin du tome 1. Cette mention est un hommage aux vieux films de cape et d'épée. Elle est là aussi pour marquer la fin d'une vie avant le début d'une autre. D'ailleurs, je m'aperçois que dans le tome 8 de Lady S, il y a cette idée aussi. La fin d'une vie et le début d'une autre... Mais la comparaison s'arrête là.

La couverture du deuxième tome figure au quatrième plat du premier. Histoire de faire patienter vos lecteurs après l’énorme cliffhanger de la première partie ? (sourire)

Bon, soyons clair, faire apparaître les deux couvertures est une volonté éditoriale. Aujourd'hui, les lecteurs se méfient de plus en plus des nouvelles séries, car ils ne savent pas s'ils pourront un jour lire la fin de l'histoire (certains éditeurs peu scrupuleux ayant parfois en toute malhonnêteté vis à vis des lecteurs interrompu des séries en cours). Donc, Highlands étant non pas une série mais un diptyque, Dargaud m'a demandé afin d'être parfaitement clair avec les lecteurs et les libraires de dessiner les deux couvertures. Comme l'histoire était entièrement écrite, je n'y voyais aucun inconvénient. Et si vous considérez que la fin du tome 1 est un « cliffhanger », alors ça signifie que vous mourrez d'envie de lire la suite, ce que je prends comme un compliment.

La date de sortie de la fin du diptyque est-elle déjà prévue ?

L'album n'est pas encore programmé, mais mon planning de travail, si. Je suis en plein dedans, et il sortira en 2013.

La fin d’ApocalypseMania en 2010, vous laisse sans doute un peu plus de temps pour d’autres projets en tant que dessinateur…

J'ai bien un petit projet pour l'après Highlands en parallèle à Lady S. Je ne peux rien dire pour le moment, mais si ça se fait, ça ne passera pas inaperçu.

Avez-vous d’autres projets d’écriture ?

Plusieurs. Notamment une idée de polar qui utilise de manière inhabituelle le thème ultra-rabâché du serial killer. Ultra-rabâché, certes, et pourtant... Il y a un truc intéressant à faire à partir de ça. C'est le projet le plus construit dans mon esprit pour le moment. Encore faut-il trouver le temps de le dessiner. Et le dessin réaliste, ça ne se fait pas en trois coups de crayon. C'est minimum trois jours de travail par planche. Alors ça limite un peu la productivité.
Propos recueillis par L. Gianati

Information sur l'album

Highlands
1. Le portrait d'Amelia

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