Et quel plus beau cadeau d'anniversaire que celui de réunir ces auteurs dans une seule et unique série, La Lignée, accompagnés d'un nouveau venu chez Bamboo, Olivier Berlion ? Réponse d'un directeur de collection comblé.
Dix ans pour une collection, est-ce l’âge de la maturité ?
En matière d’édition, la perception du temps est une bizarrerie. La création par ses auteurs et l’accompagnement d’un album de BD prend au minimum un an voire parfois beaucoup plus. Il se trouve que nous avons en plus adopté comme règle d’aller au bout de nos aventures éditoriales. Cela signifie que quand nous signons un projet, nous allons toujours au bout du dit projet quelque soit le nombre de tome envisagés. Ce qui fait qu’on peut publier une grosse trentaine de bouquins par an comme cela est notre cas mais cela correspond en fait et seulement au lancement de 5 à 6 nouvelles séries. La maturité est donc effectivement assez longue à venir et cela ne fait finalement qu’une grosse année que nous pensons l’avoir atteinte.
Si vous deviez, en quelques mots, présenter la ligne éditoriale de la collection Grand Angle…
Elle est sur trois plans. Le principal, faire du romanesque historique ou du témoignage sur une ligne qu’on pourrait résumer par : « leurs histoires ont fait la grande Histoire ». La série l’Ambulance 13 ou Pour un peu de Bonheur en sont de bons exemples. Le second plan, c’est de rester dans le romanesque mais de manière plus émotionnelle. Ça s’exprime et dans le scénario et dans le graphisme où on retrouvera en général une famille de dessin plus moderne. Arno Monin ou Alex Tefenkgi en sont de bons ambassadeurs. Dernièrement, dans le même esprit, nous avons entamé une collaboration avec Jim. Une nuit à Rome en est la première concrétisation. L'histoire d'une femme et d'un homme, nés le même jour, et qui, à 20 ans, se sont fait la promesse de passer la nuit de leurs 40 ans ensemble. Un récit qui pose la question du renoncement à des promesses de jeunesse. D'autres devraient suivre avec des pitchs tout aussi forts. C’est une vraie rencontre humaine qui devrait prendre une grande place chez nous.
Enfin, nous continuons mais de manière plus épisodique à proposer thrillers ou polars car cela reste un genre qu’on affectionne.
Comment se déroule votre collaboration avec Olivier Sulpice, en tant que directeur de collection, mais aussi en tant qu’auteur ?
Si je devais résumer, j’ai le pouvoir de dire « non » à un projet, ce qui n’est pas forcément le plus agréable et il a le pouvoir de dire « oui ». Maintenant, on se connaît bien puisque cela fait presque 15 ans qu’on travaille ensemble et il est rare qu’il refuse un projet que je lui présente.
Et quand cela arrive, il me laisse le droit de le publier. Maintenant, je n’abuse pas de ce droit car il est important, dans une maison d’édition à taille humaine comme la nôtre, que le livre ait l’approbation du plus grand nombre car un de mes rôles consiste à faire vivre les livres en interne. C’est très important car, en les faisant vivre, en montrant leur avancée, on crée des idées pour mieux les défendre. Cela s’inscrit dans une logique d’entreprise.
En tant qu’auteur, je n’ai, je crois, aucun traitement de faveur. Et ça, c’est totalement scandaleux… (rires)
Mises à part trois séries réalistes publiées chez Grand Angle (Le Messager, Sam Lawry et Groom Lake), vos autres albums sont clairement humoristiques et n’entrent pas dans le cadre de cette collection. Est-ce difficile de porter les deux casquettes à la fois ?
J’ai mis mon activité de scénariste réaliste entre parenthèses car je ne veux pas être juge et partie. Je vais juste publier prochainement Sur les Bords du Monde qui relate l’odyssée de Sir Ernest Shackleton, un explorateur polaire, avec Olivier Frasier au dessin mais il s’agit d’une adaptation d’un projet de film qui avait été initié par Jacques Malaterre et Jean-François Henry. Même si c’est un vrai travail de scénariste, j’ai participé à cette aventure au début parce qu’Olivier Sulpice m’a demandé de m’occuper de cette adaptation et surtout parce que Shackleton a toujours été un personnage qui me fascinait.
En humour, les choses sont claires, je suis un auteur comme un autre et Olivier n’hésite pas à refuser mes projets. C’est arrivé rarement, mais c’est arrivé. Et comme je suis indépendant, je tiens à garder ma liberté de mouvement en tant qu’auteur et pouvoir proposer des projets à d’autres éditeurs.
Pourquoi avoir lancé une nouvelle collection, Focus, en 2008 ?
Il y avait deux raisons principales. La première étant d’avoir l’écrin permettant d’accueillir des auteurs renommés comme Stephen Desberg ou Rodolphe. La seconde étant d’avoir une collection qui pouvait avoir une meilleure exposition en grande distribution.
Comment est née l’idée de lancer une collection de romans, en 2010 ?
A l’origine, il y a toujours un projet. En l’occurrence, Patrick Cothias m’avait envoyé un roman coécrit largement par Patrice Ordas en me précisant qu’il s’agissait uniquement d’en faire l’adaptation en BD l’Ambulance 13 et qui relatait les aventures d’un chirurgien de tranchées en 1915. On a signé la BD et souvent, Olivier et moi, devant la qualité de l’ouvrage, on se répétait que c’était quand même dommage de ne pas le faire connaître au public. De fil en aiguille, on s’est pris au jeu en élargissant notre propos. On voulait montrer que les auteurs de BD ont du talent et que ce talent peut aussi s’exprimer dans l’écriture romanesque. Ça a été le point de départ de cette envie. Et la récompense a été que le roman Ambulance 13 a très bien marché avec, notamment, une édition chez France Loisirs.
Depuis 2010, de nouveaux scénaristes, déjà expérimentés, viennent enrichir le catalogue.
(Brunschwig, Cothias, Desberg, Berlion…). Était-ce une évolution nécessaire ?
Je trouve qu’il n’y a qu’un principe en édition : publier ce qui vous surprend ou ce qui vous fait vibrer. Il se trouve que les auteurs que vous mentionnez ont souvent les deux qualités. Nous avons eu la chance qu’il s’adresse à nous et encore plus de chance qu’il nous propose des projets qui nous emballaient. C’est donc une évolution tout court, rien de nécessaire…
Quelles sont les séries dont vous êtes le plus fier ?
Je n’irai pas jusqu’à dire que chacun des livres dont on s’occupe est comme un de nos enfants. Ce serait exagéré.
Mais par contre, je ne choisis pas entre mes enfants (rires)…
Comment souhaitez-vous faire évoluer cette collection dans les années à venir ?
Continuer à accompagner les auteurs avec qui j’ai grand plaisir à travailler. J’aime l’idée de travailler dans la durée et c’est clairement le cas avec des auteurs comme Laurent Galandon, Patrice Ordas, Damien Marie ou Jérôme Félix. Continuer ensuite à creuser le sillon de ce que nous savons faire sur les trois plans que je vous précisais en début d’entretien. Accentuer la voie ouverte par Jim, l’auteur de Une nuit à Rome et avec lui.
Et j’ai encore deux ou trois autres axes en tête mais je me les garde car on nous écoute ! (rires)
Les dix ans de la collection Grand Angle coïncident également avec les dix ans de carrière de
Christophe Cazenove au sein des éditions Bamboo. Deux lignes éditoriales, très différentes l’une de l’autre, qui constituent sans aucun doute l’atout majeur du catalogue…
C’est vrai mais soyons clair, sans Christophe Cazenove, Erroc, Pierre Tranchand, Henri Jenfèvre, les Beka, Alex Mermin ou William, il n’y aurait pas de Grand Angle. C’est leur succès et leur talent qui permettent à Grand angle de vivre et de se développer.
Je ne cite pas Olivier Sulpice car il est évidemment l’âme de cette cohésion globale.
Réunir trois piliers de la collection (Damien Marie, Laurent Galandon et Jérôme Félix) pour une
nouvelle série, La Lignée, voilà un beau cadeau d’anniversaire ! (sourire)
…et une belle aventure éditoriale et humaine ! Tout cela est parti de discussions que j’ai eues avec Laurent Galandon. La force d’écriture qu’on retrouve dans les séries américaines nous énervait un peu et on voulait savoir ce que cela donnerait si on travaillait à la manière des scénaristes des studios américains. On l’a fait à notre échelle. J’ai fait appel à des auteurs avec qui j’avais l’habitude de travailler et parce que je savais également qu’ils appréciaient leur travail entre eux. On a mis en place une règle absolue : abandonner son ego au service du projet. Et ça a donné La Lignée. Ce qui aurait pu être un beau fardeau s’est effectivement transformé en beau cadeau !
Le quatrième scénariste, Olivier Berlion, est un nouveau venu chez Bamboo. Qui est à l’origine de cette rencontre ?
Olivier Sulpice et moi croisions de temps Olivier Berlion en festival. On a passé quelques bonnes soirées. Ajoutez à cela qu’Olivier est très copain avec Greg Neyret, notre directeur commercial et vous comprendrez que les connections se sont mises facilement en place. Au moment où nous décidions de faire le projet multi têtes, Olivier Berlion m’avait soumis un scénario. Ce projet était hors cadre pour nous mais la qualité était indubitablement là. Je lui ai proposé de participer à cette aventure. Olivier ne devait pas dessiner du tout mais il s’est tellement pris au jeu qu’il a chamboulé son planning pour assurer le dessin du premier album.
Comment s’est déroulée l’écriture du scénario ?
Olivier Sulpice nous a voté des crédits pour organiser une première réunion de travail (les scénaristes viennent tous de coin de France différents), pour voir si ce genre de projet pouvait aboutir. Et ce que nous suspections s’est concrétisé. Lors de cette première séance, des tas d’idées ont fusé et à la fin de la journée, nous avions au moins une quinzaine de projets envisageables, sélectionné celui sur lequel nous nous pencherions et brossé les grandes lignes de 4 albums à venir.
On a ensuite fait un séminaire de mise au vert sur plusieurs jours pour aller plus loin dans chacun des albums. Toute l’histoire a été pensée en commun et nous avons déterminé quel scénariste aurait plus spécifiquement en charge le découpage de chacun des 4 albums.
Chacun est ensuite intervenu à distance sur les séquenciers et découpages qui étaient soumis à la communauté.
Une année seulement entre les sorties du premier et du dernier tome, voilà qui devrait rassurer les futurs lecteurs…
C’est un timing qui sera tenu car au moment où nous nous parlons le premier est publié, le second et le quatrième se terminent, le troisième est bien enclenché !
Le premier tome de Cath & son chat vient de paraître. Avez-vous d’autres projets en tant que
scénariste ?
J’ai de plus en plus de mal à écrire en solo par manque de temps. Mais j’ai effectivement quelques projets qui me tiennent bien à cœur dont un sur ma ville natale. Ce dernier est ma priorité du moment car Dunkerque, quoiqu’en disent les médias et les humoristes, est la plus belle ville de l’univers, rien de moins ! (rires)