Les remerciements en fin du deuxième tome d’Allan Quatermain donnaient l’impression que vous en aviez fini avec la collection 1800. Et pourtant…
Non, il y avait simplement à ce moment-là pas mal de choses à valider, en attente. J’aime beaucoup cette collection, très agréable. J’y retrouve mon univers, le fantastique et l’historique, des bases sur lesquelles on peut prendre beaucoup de libertés.
Qu’est-ce qui fait qu’on s’attaque à de telles figures de légende ?
Au début, c’était une opportunité. Jean-Luc Istin m’avait proposé de travailler sur Mister Hyde contre Frankenstein. Pour moi, c’était un challenge : comment faire un pont entre deux monstres sacrés de la littérature ? D’un test au départ, c’est devenu quelque chose de beaucoup plus naturel par la suite .
Sur Allan Quatermain, on se retrouve dans un univers complètement différent…
Oui, c’est de la pure adaptation. C’était là aussi un challenge de s’attaquer à un texte parfois oublié par la nouvelle génération de l’aventure littéraire exotique. Ce récit a pourtant influencé Tolkien. La question était la suivante : peut-on faire l’adaptation de ce récit en un diptyque et si oui, comment ? Sur le fond, c’est un texte daté, exotique, plus ou moins raciste… Sur la forme, il y avait pas mal d’ellipses à faire. Il y a, dans l’original, beaucoup de répétitions, avec de nombreuses scènes de chasse. Ce sont les seuls moments où j’ai été obligé de faire des raccourcis.
Le récit est essentiellement basé sur l’aventure et sur des amitiés très viriles…
C’est ça. C’est une aventure exotique, virile, dans laquelle il n’y a pas de place pour les femmes, du moins dans l’œuvre originale. Hollywood s’est entre temps chargé, pour le public, d'ajouter des éléments féminins. De là à parler d’homosexualité latente… (sourire) Ce qui est très intéressant, c'est la progression de l’amitié entre certains personnages. Et dans le deuxième tome, on change de registre avec des massacres, des guerres tribales… On démarre au début pendant la nuit, puis dans la jungle, l’ambiance est encore assez étouffante… Ce n’est que dans la dernière partie de l’ouvrage que l’on a des espaces assez ouverts. Le danger est omniprésent. C’est ça qui est remarquable dans le roman… On sait qu’ils sont détachés de ça, et que, globalement, ils s’en sortiront, fatalement.
Même si les personnages évoluent peu…
Ce ne sont pas les personnages qui évoluent mais la vision des personnages sur les autres. Il y a, dans le livre, des descriptifs très contemplatifs, non pas sur les décors mais sur les personnages.
Pour rester dans la collection 1800, le deuxième tome d’Alamo est en cours…
… et devrait sortir avant l’été. On en est aux deux tiers, la couleur et l’encrage sont commencés (NDLR fin janvier 2012). Par ailleurs, il devrait y avoir une sortie groupée avec les premiers tomes de Scotland Yard et de Loki. Dans quel ordre ? Je n’en sais rien. Je pense que le premier qui sera prêt sera Loki. Pour Scotland Yard, Stéphane Perger a terminé les crayonnés des 46 planches, il a attaqué la couleur directe. Pour Loki, Benjamin Loirat a fini l’encrage et on en est également à la colorisation, avec le même coloriste que pour Alamo, Simon Quemener.
Comment avez-vous abordé Alamo ?
C’est très difficile de faire quelque chose d’original sur Alamo. On sait comment ça se termine, ce qui s’y passe… du moins ce qu’on pense se souvenir, John Wayne étant aussi passé par là. Il y aussi eu plein de productions mexicaines, donnant une autre vision d’Alamo, permettant de glorifier Santa Ana, une certaine résistance par rapport aux texans. Ce qui m’intéressait, c’était l’histoire derrière l’Histoire. Bowie était un esclavagiste, Crockett était sur la fin de sa carrière politique et n’était pas un simple trappeur meneur d’hommes. Travis était un jeune loup, Houston un gros baroudeur politicien… Le côté politisé m’a vraiment intéressé. Je me suis demandé quel était le personnage le plus bizarre… et je suis tombé sur Louis Rose, un mercenaire français à qui on avait certainement promis des choses… La légende fait qu’il a été marqué du sceau de l’infamie par les américains. On ressort ça de façon assez régulière, d’autant que souvent, la lâcheté d’un homme est assimilée à la lâcheté d’une nation. Lors de différents conflits, dont la guerre en Irak, certains journaux américains se sont resservis de Louis Rose pour expliquer la lâcheté et le non-engagement français. C’est quelque chose qui est resté dans l’inconscient collectif américain.
Quel sera le sujet de Scotland Yard ?
On est en chasse gardée. Je laisse Sherlock Holmes à Sylvain Cordurié. Je prends les seconds couteaux qui me paraissent intéressants, l’intérêt étant d’avoir tous les agents du Yard réunis en deux tomes. Pour moi, Scotland Yard est une certaine idée de la pègre londonienne avec très peu de fantastique mais beaucoup de scientifique et de politique. Je réintroduis également le personnage de Faustine Clerval, déjà aperçue dans Mister Hyde contre Frankenstein. Je me suis aperçu que beaucoup de lecteurs, et surtout lectrices, ont aimé ce personnage, son ambiguïté, son attachement à des personnages plutôt étranges. On se retrouve un peu dans cette continuité. Ce n’est pas non plus X-Files ! C’est plutôt un sous-groupe de Scotland Yard qui va travailler sur une série d’événements liés à des aliénés mentaux. Le tout est en couleur directe.
Il y aussi, dans la même collection, le projet d’un western steampunk…
Angoulême sert à ça aussi, à présenter des nouveaux projets ! (sourire) Le western classique, comme Alamo, m’intéresse énormément, notamment l’après-guerre de Sécession. J’ai voulu en faire une légère uchronie.
Quel est le sujet de Loki ?
C’est une légende nordique qui paraîtra dans la collection Celtic de chez Soleil, encore dirigée par Jean-Luc Istin. Ce sera le premier album du dessinateur, avec toujours Simon Quemener à la couleur. Je raconte une certaine genèse de Loki, qui est pour moi le personnage le plus intéressant de la fantasy nordique. Rien n’est manichéen dans cette tradition. Il y a déjà eu de très belles choses de faites sur Loki ces dernières années. J’ai souhaité le rendre plus humain, plus abordable. C’est une série prévue en trois tomes.
Comment travaillez-vous généralement avec vos dessinateurs ?
J’essaie toujours de terminer un album, écriture et découpage, avant que le dessinateur ne s’y mette. Je veux avoir une idée de la fin pour pouvoir lui donner des indications, par exemple un plan miroir qui se répète. Je pense aussi que pour que le dessinateur se mette vraiment dans l’ambiance, il doit avoir la totalité du récit. Je fais un pdf des 46 planches, dialoguées, et si je peux, je rajoute un cahier annexe dans lequel il y a des photos types, pour les couleurs, le climat, des personnages de bande dessinée que j’ai vus en poster, en images, en films, qui ont des traits intéressants, des recherches sur les vêtements, les armes… Ça permet d’alléger le travail du dessinateur et de leur donner des pistes.
D’autres projets ?
Oui, un projet « fantasy », dans le style Fritz Leiber, auteur du Cycle des Épées. Je voulais sortir un peu des chemins battus de la fantasy classique. Il y aura une sorte de pègre, un peu comme dans Scotland Yard. Ça sortira chez Soleil, en Hors Collection.