Tito. Voilà un nom prédestiné pour aborder des événements survenus dans l’ex-Yougoslavie ! (sourire)
Figurez-vous que c’est à cause de mon nom que j’ai longtemps hésité à traiter de ces évènements. Je ne voulais pas qu’il y ait confusion. Pourtant, je n’ai rien à voir avec le Maréchal Tito, ni avec l’ex-Yougoslavie d’ailleurs. Je suis espagnol et mon prénom complet est Tiburcio. C’est un prénom très ancien. En Espagne, il est fréquent de rajouter des « ito » à la fin d’un prénom, souvent pour dire « le jeune ». Avec Tiburcio, cela donne : « Tiburcito », que l’on raccourcit avec le diminutif « Tito ». On m’a toujours appelé Tito. Lorsque j’ai commencé à faire de la bande dessinée, j’ai gardé mon diminutif que je trouve plus facile à retenir.
Quel a été l’élément déclencheur pour écrire de cet album ? L’arrestation de Karadzic en 2008 ?
Oui, entre autres. Il y a longtemps que j’avais envie de raconter une histoire qui se passerait à Sarajevo, bien avant la guerre et le siège de la ville. Cette ville a beaucoup de similitudes avec Tolède, ville proche du village où je suis né, et cela m’a toujours fasciné. En juillet 2008, lorsque j’ai appris l’arrestation de Radovan Karadzic, je me suis dit qu’il était temps que je me lance.
À qui s’adresse Le Choix d’Ivana ? À ceux qui ont connu les événements du début des années 90, afin qu’ils ne les oublient pas, ou à ceux qui les apprennent aujourd’hui dans les manuels d’Histoire ?
Je n’ai pas fait cet album dans un but pédagogique. C’est avant tout l’histoire d’une femme victime de la guerre et le parcours qui la mène à chercher une réponse à une question essentielle pour elle. Si la lecture de cette histoire touchait aussi des gens parce qu’ils ont connu les événements du début des années 90 ou ceux qui les découvrent en la lisant, tant mieux. Il est toujours salutaire de remettre en mémoire des drames qu’il ne faudrait jamais oublier.
Aucune scène de bataille, à peine quelques tirs de snipers, alors que les gros plans de personnages sont légion. La guerre est éclipsée au profit de ses victimes…
Pour illustrer les guerres, les scènes de bataille tournent en boucle dans les médias. Il est difficile de ne pas les voir. On nous les impose assez comme cela. Je trouve plus intéressant de montrer le quotidien des gens à ce moment-là. Je l’ai déjà fait lorsque j’ai raconté une partie de la vie de ma famille pendant la guerre civile d’Espagne dans la série Soledad. Ici, c’est encore une guerre civile, et ce sont encore les gens dans leur quotidien qui m’intéressaient.
Le Choix d’Ivana, ce sont également des portraits de femmes, celui d’Ivana bien sûr mais aussi ceux de sa grand-mère et de Youlia… Les femmes, en général, sont-elles les oubliées des conflits armés ?
Et pour cause, ce sont surtout les hommes qui agissent dans les conflits armés. Quand on veut montrer l’héroïsme, ce sont particulièrement les hommes qui sont mis en avant. Ici, les rares scènes montrant des soldats armés ne sont pas faites pour les présenter comme des héros. Même s’il y en a eu, ce n’est pas le sujet de mon scénario. Vous avez raison, les femmes ont un rôle très important tout au long de l’album.
Pourquoi avoir choisi de différer le moment où le "choix" d’Ivana est révélé au lecteur ?
Pour leur laisser la possibilité d’imaginer plusieurs pistes avant d’en découvrir la vraie. Comme c’est aussi la première fois que je réalise un album d’un format de 62 planches, j’ai voulu prendre le temps, m’attarder davantage sur chaque personnage.
Comment vous êtes-vous documenté ? Avez-vous marché sur les traces d’Ivana entre Sarajevo, Milan et Nancy ?
Oui. C’est pour moi, une chose essentielle. J’ai toujours eu besoin de mettre les pieds dans les lieux que je dessine. M’imprégner de l’ambiance, de la lumière, sentir l’endroit où pourraient évoluer mes personnages.
Pour Le choix d’Ivana, je suis donc allé à Sarajevo faire des repérages. En me promenant dans les rues de la ville, j’imaginais les itinéraires que Ivana pouvait prendre. Tous les décors qui se trouvent dans l’album sont inspirés de lieux que j’ai parcourus. Cela s’est fait à différents moments. J’ai fait les repérages à Sarajevo en avril 2009. Pour Nancy, c’est différent, je connais cette ville pour y avoir des amis et j’avais envie de la montrer un jour dans une de mes histoires. De plus sa taille convenait parfaitement à mon récit.
Aborde-t-on l’écriture d’un one shot comme n’importe quel tome d’une série ?
Les séries dont je fais également le scénario, que ce soit Soledad ou Tendre banlieue, ont comme point commun celui de ne pas avoir de héros récurrents. Ce sont les lieux et les thèmes qui unissent les albums entre eux. On peut lire chaque titre séparément sans être obligé de suivre un ordre précis pour comprendre l’histoire. Chaque album est un one shot en quelque sorte, même s’il répond à une cohérence de collection. Je n’ai donc pas eu beaucoup de difficulté pour écrire un récit complet qui serait à part. La différence avec Le choix d’Ivana, c’est que l’histoire, de par son contexte, n’entre dans aucune de mes autres séries.
Que pensez-vous de la possible fermeture du TPIY (tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie) à la fin de l’année 2012 ?
Je pense qu’il y a urgence à arrêter les criminels qui sont encore en liberté et qui risquent de s’en tirer totalement impunis. Le tribunal pénal de La Haye pour l’ex-Yougoslavie essaye de juger un maximum de protagonistes de cette guerre. Je suis étonné du peu d’échos que les médias font de son travail et je trouve cela regrettable.
Peut-on s’attendre à l’écriture de nouveaux one shots ? Avez-vous d’autres projets ?
Oui, on peut s’attendre à de nouveaux albums hors série. Oui, j’ai d’autres projets. Qu’ils soient pour des récits adultes comme pour tous les publics. Le fait que les nouvelles générations d’adolescents continuent à montrer un réel intérêt pour Tendre banlieue me motive toujours. Je suis très touché de constater qu’ils lisent tous les titres sans distinction avec le même attachement. Cette année, Casterman va faire reparaître huit titres de cette série qui étaient épuisés et que les jeunes lecteurs réclament. Nous en avons profité pour refaire une nouvelle présentation avec des couvertures inédites. Après la fin de la réalisation de l’album Le choix d’Ivana, je suis donc revenu, en douceur, vers le monde de l’adolescence. C’était intéressant car pour certaines couvertures, j’ai dû redessiner des personnages que je n’avais plus représentés depuis longtemps. Cela m’a replongé dans l’univers de cette série dont les sujets sont décidément inépuisables. Mais je pense que j’alternerai entre un album dit « pour adultes » et un autre plus tout public, de manière plus régulière que je ne l’ai fait ces dernières années.