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Cité 14 : la résurrection

Rencontre avec Pierre Gabus et Romuald Reutimann

Propos recueillis par L. Gianati et L. Cirade Interview 17/12/2011 à 15:14 5654 visiteurs
Une histoire de bande dessinée découpée en petits formats paraissant mensuellement au prix d'1 €, l'idée semblait intéressante et avait même été mise en avant, en 2007, par le jury des BDGest'Arts. Hélas, en avril 2008, sortait le douzième et dernier tome de Cité 14, laissant le récit inachevé et de nombreux fans orphelins de personnages attachants et hauts en couleur. Il a fallu attendre trois ans, et la reprise de la série par les Humanoïdes Associés, pour connaître enfin la suite des aventures de Michel. Mieux que ça, une deuxième saison a vu le jour et devrait apporter, très bientôt, son lot de révélations. Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, son premier tome, Chers corrompus, est présent dans la sélection officielle du prochain festival d'Angoulême. En attendant, Pierre Gabus et Romuald Reutimann reviennent sur les péripéties d'une série pas tout à fait comme les autres. Rencontre autour d'un verre dans une autre cité célèbre, celle de Saint Malo.


Pourquoi Cité 14 ? Combien y a-t-il de cités dans cet univers ?

Pierre Gabus : Dans l’histoire, il y en a deux. Celle d’où vient Michel et celle où se déroule le récit. Pourquoi 14 ? Parce que ça sonnait pas mal. Et puis, ça nous en laisse douze à découvrir.

Si celle-ci est la quatorzième, cela veut-il dire que c’est la plus décadente ?

Romuald Reutimann : Pas forcément. Elle peut être aussi un point de repère pour faire mieux par la suite.

Il y a donc eu auparavant treize autres brouillons… (sourire)

RR : Voilà. La première était alors la mieux… ou la pire. On ne sait pas encore.

Le choix de personnages animalier et leur cohabitation avec des humains et des extra-terrestres s'est imposé dès le départ ?

RR : Complètement. Cela s’est fait vraiment naturellement. Comme on était dans une grande ville dans laquelle se passaient beaucoup de choses, une sorte de melting pot, on a fait un melting pot de bande dessinée. On y a donc mis des humains, des animaux costumés, des extra-terrestres… Comme dans une grande ville, on a toutes les populations, un peu comme à New York, où les gens viennent de la planète entière.

Les personnages n’obéissent à aucune règle hiérarchique…

RR : Absolument. Sauf les extra-terrestres, considérés comme des immigrés. Ils sont en marge aussi car ils ne fonctionnent pas pareil. Leur environnement a besoin d’être particulier, leurs intérieurs sont

PG : Au niveau des animaux, plusieurs détails laissent penser qu’ils n’ont pas toujours été évolués comme ça. Certains reviennent d’ailleurs à l’état sauvage dans les serres. D’autres ne sont pas encore transformés comme la souris du savant ou les serpents d’Hector. Dans l’épisode 3 de la première saison, il y a un dialogue avec le héron qui laisse supposer qu’il y a eu, à moment donné, un choix.

RR : Mais on ne va pas forcément se prendre la tête à donner une explication rationnelle à cette situation. On est très à l’aise avec ça et ce qui nous intéresse le plus, c’est le côté aventure de la série. On reste avant tout sur l’idée d’un divertissement.

On trouve par ailleurs la marque des polars des années 30/40 mais vous y ajouter une touche de fantastique voire d'obscurantisme : n'avez-vous pas le sentiment d'être très exigeant avec vos lecteurs ?

RR : C’est marrant car l’histoire de la voyance vient tout simplement d’une anecdote…

PG : Oui, ça vient d’un reportage que j’avais vu sur Édith Piaf. (sourire) Marcel Cerdan était mort dans un accident d’avion et elle était tellement abattue qu’elle essayait de rentrer en contact avec lui par l’intermédiaire d’une voyante. Elle ne mangeait presque plus et l'esprit de Marcel Cerdan lui aurait dit de manger. (sourire) C’est de là que j’ai eu l’idée de mettre une voyante, puis Hector… Et petit à petit, on trouve des explications là où il n’y en avait pas au début. Le mélange des univers vient aussi de Romuald qui avait envie de dessiner du polar ou bien de dessiner une histoire avec des extra-terrestres ou bien de dessiner une histoire avec des animaux costumés… sans que rien ne le tente vraiment. C’est en mélangeant tout ça que j’ai trouvé que ça pouvait faire quelque chose de marrant. Après, il fallait que tout soit cohérent. Je ne pensais pas au départ être très exigeant avec le lecteur. Je pensais au contraire que tout ça était très commercial, du mainstream.

RR : Ma grand-mère parvenait à suivre Dallas alors que je n’ai jamais réussi. (sourire) Finalement, si elle y est arrivée, je pense qu’un lecteur de bande dessinée peut suivre Cité 14.

PG : C’est vrai qu’il faut souvent regarder en arrière pour comprendre mais on a essayé de l’écrire pour que, justement, ce ne soit pas pénible de revenir de temps en temps au début. Et puis, quand ça paraissait au rythme d’un épisode après l’autre, on se disait que revenir sur les premiers tomes, ce n’était pas si long que ça.

RR : On a finalement un trou de trois ans alors que l’histoire a été pensée de façon linéaire.

Autour de quelques personnages-repères, d'autres viennent se greffer et des intrigues plus ou moins parallèles enrichissent la trame principale : disposez-vous d'une Bible qui trace le recoupement des intrigues ? ou l'improvisation fait-elle partie de votre mode de création pour Cité 14 ?

PG : Au début, on est parti un peu à l’impro.

RR : Il faut dire que Pierre Paquet, dans la première édition, avait imposé à Pierre (Gabus, NDLR) de donner le titre des douze épisodes. Ce qui fait qu’il a raconté un peu n’importe quoi et que Pierre s’est ensuite débrouillé pour que ça colle au titre. Ça a été une contrainte importante.

PG : Le premier épisode avait été pensé comme une commande d’Olivier Jouvray qui était censé devenir directeur de collection chez une nouvelle éditrice. Le projet était de faire un album de cent pages tous les six mois. Finalement, l’éditrice n’a jamais rien éditée… À partir de ce premier épisode, j’ai commencé à mettre en place différentes intrigues. Pour que tout soit cohérent, j’ai deux grandes feuilles A3 sur lesquelles sont inscrits tous les noms des personnages principaux, avec le numéro des épisodes où je sais que telle scène doit arriver avant telle autre… J’essaie de maîtriser le plus possible.

RR : Oui, il est très organisé !

PG : Mais il reste une part d’impro au moment où Romuald dessine car il ne sait pas exactement où je veux en venir. Et lui dessine des choses que je n’avais pas forcément prévues au départ. Par exemple, il m’a dit : « Tiens, j’ai dessiné des vitres en verre, derrière lesquelles se trouvent des serres. Ce serait bien qu’il y ait des animaux qui veuillent revenir à l’état sauvage.» Et j’essaie de caser ça dans mon scénario, si je trouve que c’est une bonne idée.

RR : En général, j’ai toujours une scène d’avance sur lui, pas plus, c'est-à-dire quatre ou cinq pages. Après, je ne sais pas ce qu’il se passe. D’ailleurs je peux dire que je n’ai jamais lu Cité 14, j’en serais incapable. Je regarde les dessins, c’est tout.

PG : Il a tort, ça lui plairait peut-être. (sourire)

Du point de vue de l'architecture, quelles ont été vos sources d'inspiration ?

RR : J’ai toujours très peu de temps pour me documenter car mon rythme de travail, à peu près une page par jour, ne me le permet pas. Il y a d’autres périodes où j’avale des films, des images… Et je dessine ensuite avec ce dont je me souviens. Je ne travaille pas sur un détail en particulier du décor.

PG : De temps en temps, je lui envoie de la documentation, par exemple pour les docks, des images de Gustave Doré de Londres en 1870. Ça ne correspondait pas à l’époque de Cité 14 mais je trouvais ça intéressant.

RR : Oui, pour les docks, j’avais cherché sur Google Images, j’étais tombé sur Berlin, Chicago, l’Inde… Cité 14 n’est rien en particulier, tout peut être possible. Beaucoup de bandes dessinées dites historiques me dérangent car j’ai l’impression que nombreux sont ceux qui travaillent avec un catalogue de tout ce qui doit apparaître à l’époque concernée. Le problème c’est que ça ne reflète pas la réalité. Chez tout un chacun, vous ne trouverez pas forcément des objets ou des meubles qui datent de la même époque. Chez moi, il y a des meubles de la grand-mère de ma femme, avec un IPhone posée sur une table des années 20… Et ça ne pose aucun problème. Dans Cité 14, on est juste coincé grosso modo entre 1900 et 1950, et je peux faire cohabiter à peu près ce que je veux, du moment que certains éléments visuels permettent de mettre dans une certaine ambiance. Et de toute façon, ce n’est pas une bande dessinée historique.

PG : Je lui ai envoyé des photos des Halles de Paris, des photos de Venise…

RR : Il faut juste relever des « traces ». Par exemple, Venise est caractérisée par une certaine hauteur d’immeubles, une certaine déco mélangeant rigueur et originalité, ses amarres, ses gondoles…

PG : C’est un peu la même chose pour le scénario. Un reportage sur Edith Piaf peut donc me servir aussi bien que la lecture du Masque de Fer.

RR : Ce bric et broc n’est pour moi pas péjoratif. Le mix donne du mix. Les villes champignons sont justifiées par des immigrés qui ont besoin d’un chez eux, qui sont rejetés par des gens qui ont déjà organisé leur quartier, et qui donc vont construire ailleurs, en périphérie. Finalement, Cité 14 me paraît assez naturel dans son fonctionnement. La bande dessinée permet cette démesure, avec très peu de moyens. Autant en profiter.

Corruption, immigration, racisme... Cité 14 est-elle une bande dessinée engagée ?

PG : On m’en parle souvent mais je n’en ai pas l’impression. Pour moi, au départ, Tigerman est un peu Nicolas Sarkozy. (sourire) Pour la petite histoire, quand j’ai écrit la première scène où il intervient, il assure que la libération de l’agent Teulman est imminente. Deux jours plus tard, Nicolas Sarkozy, pas encore élu à l’Elysée, disait à peu près la même chose pour Ingrid Betancourt. Finalement, ils ont tous les deux à peu près eu la même efficacité. (sourire)

Revenons sur les aléas rencontrés par la série : l'origine du feuilleton mensuel à 1€ en petit format, c'était votre idée ou celle de Paquet, l'éditeur original ?

RR : L’idée de l’épisode, du petit format pas cher, c’est nous. L’idée du « 1 € », c’est Paquet.

PG : J’étais plutôt content pour le prix. « 1 € », ça me paraissait symbolique. Au départ, j’y croyais vraiment, je pensais que le concept était sympa. Le lecteur qui voit un truc de ce prix chez son libraire et qui en a déjà dépensé 50… Un euro de plus ou de moins…

Si l’album est sur le comptoir du libraire…

RR : Oui. Notre grande surprise a été de s’apercevoir que les libraires jouaient un rôle primordial. Il y a même des représentants de presse qui ne proposaient pas Cité 14. Et ça continue… J’habite à Cherbourg, où il y a deux librairies anciennes. L’une des deux a vendu plus de mille exemplaires de la première version de Cité 14. Chez l’autre, le représentant ne leur a même pas proposé le coffret avec la saison 1, et celui avec le tome 4 avec la cale pour le même prix.

Au même moment, la collection 32 de chez Futuropolis faisait son apparition, et disparaissait peu de temps après. Les lecteurs sont apparemment très frileux pour ce genre d’initiatives…

RR : On me dit encore que les trucs en noir et blanc, ça ne marche pas. Mais le manga, c’est quoi ? C’est un vrai problème. Avant, la bande dessinée venait vers nous par l’intermédiaire de journaux ou de magazines, alors qu’aujourd’hui, on doit absolument se rendre en librairie pour se la procurer. Le populaire, ce n’est pas ça.

Le changement de format a-t-il changé votre façon de travailler ? La couleur a-t-elle été envisagée ?

RR : Oui, il a été question à moment donné de la couleur, mais on n’a pas donné suite.

PG : Quand les Humanos ont racheté Cité 14, ils souhaitaient rééditer la saison 1 et faire la saison 2 sous la même forme. S’il y avait eu une colorisation pour la saison 2, il aurait fallu faire de même pour la saison 1.

RR : Cette édition est plus fidèle au travail de départ car les planches sont au même format que celui de réalisation et le noir est vraiment noir, contrairement à l’édition de chez Paquet où le noir tournait plutôt au gris en raison de la qualité du papier. Ceci a modifié un peu ma façon de dessiner.

Dans cette deuxième saison, le trait se fait souvent plus épais, notamment dans les scènes d'action ou de bagarre...

RR : Tout à fait. Et ça ne va pas forcément rester. Vu qu’on dessine tous les jours, les planches ne sont pas forcément linéaires. Ça évolue, ça passe par plein de tendances différentes…

Un rythme de parution aussi serré, c'est un moteur ? Une épée de Damoclès ?

PG : Pour nous, qui avons un petit public, c’est plutôt un avantage de faire un feuilleton qui revient tous les deux mois. Pour les auteurs qui ne sont pas encore très connus et qui sortent les tomes d'une série une fois par an, les albums restent une quinzaine de jours en tête de gondole en librairie, puis disparaissent et sont oubliés. Là, avec une parution régulière sur an, certains média commencent à s’y intéresser, des personnes le lisent et en parlent… L’effet bouche à oreille fonctionne bien. De mémoire, le premier tome était paru au mois de septembre et je ne sais même pas s’il avait eu le temps de sortir des cartons.

Abandonner vos personnages à la fin de la saison 1 sans certitude de pouvoir éditer un jour la suite, cela ne vous a pas poussé à envisager de passer à autre chose ?

RR : C’était terrible. On ne savait plus du tout où on en était. On ne savait pas si on devait continuer, Paquet ne nous ayant jamais dit clairement non…ni oui. Il nous a laissés mariner comme ça des mois et des mois sans qu’on ne sache rien. Il a fallu que ce soit les Humanos qui engagent quelque chose avec Paquet pour qu’on ait un espoir.

La saison 2 va clore définitivement le récit ou une suite est envisageable ?

PG : La saison 2 va clore l’histoire. Ensuite, on a prévu d’autres saisons. Mais on ne veut pas se retrouver dans la même situation qu’à la fin de la saison 1, même si les Humanos semblent plutôt confiants et ont même accepté le principe d’une mini-saison concernant un personnage secondaire. Mais même s’ils laissaient tomber pour une raison ou pour une autre, l’histoire serait finie. On pourrait donc faire un break de quatre ans, ce serait moins dramatique.

RR : Un truc qu’on aimerait vraiment faire avec Pierre, c’est que tout ce qu’on produit sur Cité 14 participe à la narration, c'est-à-dire que même si on fait une carte postale, ce qu’il y a dessus puisse enrichir l’histoire. On aimerait faire des saisons longues, des albums de 46 pages en couleur en strips… Tout ça au sein de l’univers Cité 14 et qui tienne compte de tout ce qui a déjà été fait.

Saurons-nous tout un jour à propos des plantes de Michel ?

RR : Absolument. Tout ce que vous ne savez pas dans la saison 1, vous le saurez à la fin de la saison 2 : ce qui s’est passé entre Hector et sa femme, ce qui lui est arrivé, pourquoi, comment, ce qu’il y a dans le coffre, la maladie de Michel, comment est morte Norma… Vous saurez tout !

PG : Les portes vont commencer à se refermer à partir du quatrième tome.
Propos recueillis par L. Gianati et L. Cirade

Information sur l'album

Cité 14 - Saison 2
2. Du Chavoulch dans le Resplandador

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