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Voyage au bout du (nouveau) monde

Entretien avec Patrick Prugne

Propos recueillis par L. Gianati Interview 09/09/2011 à 11:30 7189 visiteurs
Deux ans après le succès rencontré par Canoë Bay, réalisé avec Tiburce Oger, Patrick Prugne s’est installé, pour l’occasion, seul aux commandes de son nouveau projet, Frenchman. Passionné d’Histoire, l’auteur explore une nouvelle fois les contrées sauvages du Nouveau Monde, quelque part en Lousiane, au début du 19e siècle. Rencontre.

Comment avez-vous perçu le vif succès public remporté par Canoë Bay?

Il n'y a pas de recette pour faire un succès, ça se saurait. Avec Tiburce, nous avons avant tout travaillé sur cet album pour nous faire plaisir, en traitant une époque qui nous passionnait. Peut-être que cela s'est senti à la lecture. Le succès immédiat de l'album nous a fait énormément plaisir, c'était la récompense de deux années de travail.

Après deux collaborations successives avec Tiburce Oger ( l'Auberge du bout du monde et Canoë Bay), vous vous retrouvez seul aux commandes de Frenchman. Comment est né ce projet?

Avec Tiburce, nous avons passé de très bon moments de collaboration , que ce soit sur l'Auberge du bout du monde ou Canoë Bay. Le fait que je réalise Frenchman seul n'est pas une fin en soi et il n'est pas improbable que nous ayons à nouveau un projet ensemble.
En fait, j'avais depuis longtemps envie de développer une histoire autour de cet immense territoire français du 17ème et 18ème siècle qu'on appelait Louisiane. En me documentant sur Canoë Bay, j'ai laissé de côté une masse énorme de documentation se rapportant aux coureurs des bois, à ces « frenchmen » qui ont écrit une page de l'histoire américaine. Je savais qu'un jour je reviendrais sur tous ces parcours et destins. J'imagine que toutes ces années de travail et de recherches m'ont permis d'oser me lancer dans l'écriture.

Qu'est-ce qui vous attire dans l'Amérique de la fin 18ème, début 19ème?

Je suis en fait attiré par l'histoire de l'Amérique du nord en général, du premier voyage de Jacques Cartier au Canada en 1534, au massacre des indiens Sioux Lakotas à Wounded Knee en 1890. L'histoire de l'Amérique du Nord jusqu'en 1803 est indissociable de l'histoire de France. Que ce soit Champlain, Cavelier de la Salle, le père Marquette, Jean Baptiste de Bienville ou encore Montcalm, tous ont laissé d'énormes empreintes, que ce soit en Louisiane ou au Canada. La France était omniprésente partout... Par le petit bout de la lorgnette, on s'aperçoit que ce sont pour la plupart des Bretons, des Normands ou des Vendéens qui ont fait à ces époques l'Histoire française de l'Amérique. Et puis je crois que le fait que les Français aient très souvent tenté d'établir des liens cordiaux avec les Amérindiens m'a séduit, même si ce dernier point peut amener nombre de réflexions.

La guerre de sept ans pour Canoë Bay, les guerres napoléoniennes financées par la vente de la Louisiane aux Etats-Unis pour Frenchman. Est-ce important pour vous d'asseoir vos récits sur une solide base historique?

J'aime l'Histoire pour ce quelle amène comme nombre de réflexions. Une vue d'ensemble permet des liens et des rapprochements insoupçonnés. Et puis quoi de plus romanesque qu'une véritable trame historique? Que ce soit pendant la guerre de sept ans de 1756 à 1763 ou lors de la vente de la Louisiane en 1803, les enjeux et les conséquences se rejoignent. À l'époque, le nouveau Monde intéresse peu les puissances européennes et, pour la France, il représente un gouffre financier. Louis XV et Bonaparte ont bel et bien abandonnés ces immenses territoires.

L'un des points communs des deux albums est également le parcours initiatique de deux jeunes héros, Jack et Alban. L'Amérique de cette époque était-elle le terrain de jeu idéal pour deux gamins en quête d'aventures?

Je ne sais pas si l'on peut parler de parcours initiatiques en ce qui concerne Jack dans Canoë Bay et Alban dans Frenchman, dans la mesure où aucun des deux n'est maître de son destin. Il n'y a aucune démarche philosophique dans leurs parcours. Ils sont simplement des acteurs de passage dans la grande Histoire et c'est d'ailleurs ce qui me plaît. L'histoire de l'un ou de l'autre aurait fort bien pu exister. Faire découvrir le monde à travers les yeux d'un enfant dans Canoë Bay a permis à Tiburce de mieux nous immerger dans un conflit au coeur des forêts canadiennes. Pour Alban, dans Frenchman, c'est la même chose. Un jeune conscrit normand de l'armée de Bonaparte affrontant les dangers d'une Louisiane sauvage et hostile, pour lesquels il n'était ni fait ni préparé, cela nous parle...Nés à cette époque, nous aurions pu avoir sa vie.

Sur les couvertures de Canoë Bay et de Frenchman n'apparaît justement aucun des deux garçons, seulement les indiens. Ces derniers sont-ils finalement les véritables héros des deux histoires?

C'est symbolique je pense... J'ai une énorme compassion pour ces peuples amérindiens qui ont toujours été floués et laissés pour compte. En fait ils représentent un monde, leur monde, avec tout ce que cela sous-entend. La question serait de savoir si dans Canoë Bay ou Frenchman, il y a véritablement « UN » héros à proprement parler. Le personnage de Toussaint Charbonneau dans Frenchman, par exemple, ne pourrait-il pas lui aussi être un héros? D'autant plus qu'il a réellement existé... En fait, l'ensemble des protagonistes ne fait qu'un et ce UN est l'histoire de l'Amérique, celle des Indiens.

Quelles sont vos sources de documentation?

La liste des ouvrages que j'ai lus et amassés durant des années sur ces périodes de l'histoire de l'Amérique du nord est relativement importante. Quelques livres ont cependant régulièrement balisé mes sentiers. Je pourrais donc citer La petite guerre et la chute de la Nouvelle France de Laurent Nerich ou Les Iroquois dans la guerre de sept ans de Peter Mc Leod, pour Canoë Bay, America de Denis Vaugeois, Le roman de la Louisiane de Jacqueline Monsigny et Edwards Meeks, ou encore les romans de Gustave Aimard, pour Frenchman. Des illustrateurs américains tels que Don Troiani, Robert Griffing ou Howard Terpning m'ont aussi beaucoup apporté. Sans oublier les maîtres du genre que sont Hugo Pratt avec Fort Wheeling et Milo Manara avec L'été indien. Mais si j'y réfléchis bien, je pense que mes inspirations remontent à Oumpah-pah le peau rouge de Goscinny et Uderzo. Il y avait déjà tout ! Sauf peut-être les Français...

Quelles sont vos techniques d'un point de vue graphique ?

Je travaille de façon très classique. Je ne néglige aucune étape de la réalisation académique d'une BD et suis rigoureusement le plan synopsis-découpage-story-board-finalisation du dessin et mise en couleur. Mon matériel de dessin est relativement sommaire: de bons crayons, de bons pinceaux, de bonnes aquarelles et une table lumineuse qui marche. Ensuite, c'est une question de temps, de travail et d'intuition. Chaque dessinateur utilise « sa » technique, celle avec laquelle il va aller le plus près possible de l'essentiel. Si j'ai décidé d'utiliser la couleur directe, c'est parce que je n'ai pas trouvé d'autres moyens pour retranscrire les ambiances. J'ai de ce fait un peu l'impression d'ajouter la musique du film. Mes recherches ont certes été très longues, mais j'ai beaucoup aimé découvrir toutes les nuances et textures qu'apporte l'aquarelle.

Comment situez-vous la peinture par rapport à la bande dessinée? Les éditions Daniel Maghen permettent-elles justement de faire le lien entre ces deux Arts?

Il est évident que les passerelles entre peinture, illustration et bande dessinée sont nombreuses, même si au départ la démarche est différente. En tant que dessinateur de bande dessinée, la peinture m'apporte beaucoup dans la compréhension de la mise en scène et de ce que nous nommons cadrage. Il suffit de voir, juste pour l'exemple, les recherches préparatoires de grands peintres tels que Michel Ange ou Le Caravage, pour admettre qu'au départ tout passe par le dessin pur, la recherche de l'harmonie des volumes. Dès que la peinture est figurative, elle raconte une histoire, elle suggère une émotion, une ambiance. En cela, elle rejoint un peu la BD.
Il est aussi vrai que réaliser un album pour les éditions Daniel Maghen est très séduisant pour un auteur. La mise en valeur des aquarelles, la maquette et la finition même du livre, flattent notre travail... Mais ça, c'est le côté passionné de Daniel et de toute son équipe... Au final, tout le monde s'y retrouve : le lecteur, l'auteur et l'éditeur.

Quels sont vos projets?

Je fais actuellement des recherches sur la guerre anglo-américaine de 1812 et sur ce que l'on a appelé la guerre des « bâtons rouges » contre les indiens Creeks. Il ne serait pas impossible qu'on retrouve les personnages de Frenchman dans ce contexte. On en reparle dans deux ans si vous voulez...


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Propos recueillis par L. Gianati

Information sur l'album

Frenchman

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