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Par-delà les mondes

Entretien avec Jacques Terpant

Propos recueillis par L. Gianati Interview 14/08/2011 à 12:16 4733 visiteurs
S’approprier l’œuvre de Jean Raspail n’est pas une mince affaire. L’écrivain-voyageur a couché sur le papier des récits merveilleux dans lesquels l’Histoire côtoie l’imaginaire. Jacques Terpant est parvenu, en adaptant Sept Cavaliers, à transporter le lecteur dans cet univers magique. Il récidive avec Le Royaume de Borée dont le thème, très proche de la nature, nous emmène une nouvelle fois très loin, sur la trace des Pikkendorff.

Pour quelles raisons le titre original de Jean Raspail Les Royaumes de Borée s’est-il transformé en Le Royaume de Borée ?

On s’est aperçus qu’il existait déjà un album de bande dessinée qui s’appelait Les Royaumes de Borée, édité chez Soleil. Il s’agissait d’héroïc fantasy, ce qui n’avait rien à voir avec mon histoire. Ils avaient également l’antériorité par rapport au roman. D’autre part, le titre initial ne correspond pas à grand-chose. Il a été fabriqué par la maison d’éditions Albin Michel. Dans le roman, il y a bien la Borée et ses frontières, mais en aucune façon la notion de « Royaumes ». J’ai donc préféré mettre un titre qui correspond davantage au roman.

Les trois albums de Sept Cavaliers sont désormais achevés et sortis en librairie. Quel est le regard de Jean Raspail sur cette adaptation ?

S’il y a Royaume de Borée, c’est qu’après Sept Cavaliers, Jean Raspail m’a proposé tout son catalogue. Il avait déjeuné avec Guy Delcourt à qui il avait exprimé toute sa satisfaction d’avoir travaillé avec moi.

Pourquoi avoir choisi ce roman parmi toute sa bibliographie ?

Sept Cavaliers est un roman un peu plus élitiste et fermé que Les Royaumes de Borée, qui est une saga plus construite et qui se prête très bien à mon dessin. C’est un univers dans lequel je me retrouvais en tant qu’auteur. Avant Sept Cavaliers, mon choix s’était porté sur une autre œuvre de Jean Raspail que, finalement, je n’avais pas trouvé adaptable en bande dessinée. Il s’agissait de Qui se souvient des hommes… qui se déroule en Terre de Feu et qui parle des derniers indiens Alakalufs.

D’ailleurs, Sept Cavaliers raconte également la fin d’un royaume et d’une civilisation…

Oui, tout à fait. Qui se souvient des hommes traite aussi de la fin d’un petit peuple perdu dans la Terre de Feu… C’est l’un des thèmes de Raspail. Avant d’avoir été écrivain, c’était un explorateur qui s’est beaucoup intéressé à l’extinction de peuples plus ou moins reculés.

Comment se situe chronologiquement Le Royaume de Borée par rapport à Sept Cavaliers dont le point commun est la famille Pikkendorff ?

Il n’y a aucun lien chronologique entre les deux séries. Sept Cavaliers est un conte, quelque chose qui n’est pas situé dans le temps et qui se déroule dans quelque chose que l’on pourrait appeler « une quintessence d’Europe ». On s’en aperçoit d’ailleurs dans le nom des personnages : Pikkendorff, nom prussien, Vénier, nom italien, Van Beck, nom hollandais… Dans Le Royaume de Borée, on se situe historiquement de façon plus précise. Le point commun est effectivement que les membres du récit sont aussi des Pikkendorff qui est une famille créée par Raspail.

La fin d’une civilisation pour Sept Cavaliers, la naissance d’une nouvelle pour Le Royaume de Borée, mais toujours cette volonté d’aller explorer des territoires inconnus…

C’est l’un des thèmes forts de Jean Raspail. Il a écrit son premier roman à l’âge de 45 ans après avoir été pendant 25 ans explorateur, dans une période où il dit lui-même qu’il n’y avait plus rien à explorer. Il est donc allé chez les Aïnous du Japon, chez les Alakalufs, ou du moins ce qu’il en restait. Il est également parti sur la trace des derniers indiens dans les Caraïbes, en République de Saint Domingue. Il a couru après les dernières cendres de mondes qui étaient en train de disparaître.

Êtes-vous aussi un grand voyageur ?

Pas du tout ! Je ne voyage qu’au travers de mes livres.

Quel est alors le lien qui vous unit à Jean Raspail ? Pourquoi avoir choisi cet auteur en particulier ?

En tant qu’homme du sud, je suis tout d’abord un grand lecteur de Giono mais aussi de Stevenson. Puis, je suis tombé par hasard sur un article de Jean-Pierre Dionnet, dans Métal Hurlant, traitant de Qui se souvient des hommes… qui est, pour moi, un grand roman de la « découverte ». J’ai trouvé chez Raspail un compromis entre Giono et Stevenson. Il y a un souffle, une nature extrêmement présente… C’est exactement ce que j’aime faire en bande dessinée.

À propos de nature, dès les premières planches du Royaume de Borée, on s’aperçoit qu’elle est un élément très important de la série…

Il s’agit du thème crucial du Royaume de Borée. Le Royaume de Borée est en quelque sorte un western… à l’Est. C’est une société occidentale, fascinée par la découverte, une sorte de broyeuse, avec en face un « petit homme couleur d’écorce » qui lui, est l’homme des matins du monde, qui vit en harmonie avec la nature. Il va se retrouver confronté à cette société qui avance et qui conquiert. Seuls quelques membres de cette société vont s’apercevoir du mal fait à ce petit homme, les Pikkendorff.

Un autre mystère qui entoure le premier tome du Royaume de Borée est le narrateur dont on ne sait pratiquement rien…

C’est le fil rouge de la série. Dans le roman de Jean Raspail, ce personnage n’arrive qu’à mi-roman. J’ai souhaité l’utiliser dès le début par souci de découpage, en fragmentant le livre par époque et par personnage. J’ai commencé au 17e siècle avec Oktavius, puis il y aura Henrick au début du 18e siècle… Il y aura en tout quatre époques et donc quatre tomes. C’est le narrateur, Hans Kleinkrutzwald, petit professeur d’ethnologie comparée, qui fait les recherches sur la Borée. Son rôle va devenir de plus en plus important au fil de la série, pour devenir finalement acteur lors du dernier tome qui se passe en partie à notre époque.

Quelles sont, pour vous, les contraintes et les difficultés liées à l’adaptation de romans en bande dessinée, en particulier ceux de Jean Raspail ?

Quand on lit un roman, on doit savoir si l’on est capable de l’adapter en bande dessinée. Par exemple, j’aurais adoré adapté Qui se souvient des hommes… mais le ton adopté était trop extérieur au monde, il s’agissait exclusivement d’une narration. C’était donc très difficile car la bande dessinée, c’est aussi des dialogues. Je m’attache justement à ce que dans les dialogues, il y ait un ton qu’on retrouve dans celui de l’auteur. Je crois aussi que la clé d’une bonne adaptation est de s’approprier le roman. J’ai parfois lu d’autres adaptations dont le regard était trop extérieur, trop artificiel. C’était du simple travail de commande.

Il a sans doute fallu effectuer certaines coupes dans le roman pour rentrer dans le format "bande dessinée"…

Oui. C’est d’ailleurs encore plus le cas pour Le Royaume de Borée que pour Sept Cavaliers car le roman est plus touffu, avec plus de personnages. Il faut toujours se méfier que quelque chose écrit par l’auteur ne prenne trop de place dans la bande dessinée et sorte ainsi le lecteur de l’histoire. Par exemple, dans Sept Cavaliers, quand les cavaliers quittent la ville, il y a un garde à l’entrée qui leur dit : « Que Dieu vous garde ». En quelques lignes, Jean Raspail nous raconte que ce personnage se dirige ensuite vers le cimetière où il se tire un coup de fusil. Si je raconte cette scène dans « Sept Cavaliers » au moment où mes personnages principaux s’en vont, j’emmène d’un seul coup le lecteur vers tout à fait autre chose, lui fait prendre un chemin de traverse et nuit donc à mon histoire. C’est ainsi qu’il faut faire son choix, savoir si on prend ou non tel ou tel chemin de traverse.

Jean Raspail situe assez précisément Le Royaume de Borée, aux confins de l’Europe du Nord. Pourtant, la Borée reste un monde imaginaire. Quelles sont vos sources de documentation ?

C'est très simple. Le terme principal étant la nature, je prends les animaux, la végétation de ces régions-là. Une fois que l’on maîtrise ces éléments, on fait à peu près ce que l’on veut. Le fait de ne pas situer très précisément les choses et le monde est une solution de facilité pour ne pas se laisser enfermer par l’Histoire. Là où je reste proche de la réalité, c’est pour les costumes, les armes qui sont issus de l’époque à laquelle se déroule le récit. En ce temps-là, la Russie n’avait pas encore subi l’occidentalisation de Pierre le Grand qui a ouvert ce pays vers la culture de l’Est en construisant Saint-Pétersbourg. Mais si on regarde comment est habillé le père de Pierre le Grand, on peut penser à un oriental. Ainsi, dans les costumes, notamment chez les Chapak, il y a encore un côté un peu oriental.

Quelles sont vos techniques de travail d’un point de vue graphique ?

Je reste assez classique. J’utilise la couleur directe du type aquarelle, tout en conservant le trait noir, contrairement à d’autres dessinateurs qui l’ont abandonné. Quand la peinture s’est mise à regarder, depuis une vingtaine d’années, vers la bande dessinée, ce qu’elle en a retenu, c’est justement ce trait noir.

Vous avez déjà travaillé pour de nombreux scénaristes (Headline, Bonifay...), vous venez d’adapter deux romans de Jean Raspail, n’avez-vous jamais eu l’envie d’écrire votre propre scénario ?

Quand on adapte un roman, on fait déjà son propre scénario.(sourire) Mais vous avez raison… Adapter Raspail a été l’étape intermédiaire pour écrire des choses totalement originales. C’est d’ailleurs fait puisque j’ai écrit un autre scénario que je n’ai pas le temps de dessiner pour l’instant. L’histoire se déroule à Fort de Chartres, dernier fort français dans l’Illinois, en 1763. Après la vente de l’Amérique par Louis XV, c’est le dernier endroit où l’on va rendre les clefs aux anglais. Je me suis rendu compte que l’Amérique française de ces années-là est une Amérique totalement métissée. Dans les actes de naissance de Fort de Chartres de cette époque, 17 naissances sur 20 étaient issus d’une mère amérindienne, il y avait 500 Français et 2000 Indiens.. La vision qu’on a de l’Amérique n’est donc pas la bonne : les Anglais n’avaient pas en face d’eux, comme ils le pensaient, des Français. J’ai trouvé que ce qui s’est passé en Amérique ressemble étrangement à ce qu’il s’est passé des années plus tard en Indochine, et encore, plus tard, en Algérie, c'est-à-dire des militaires français perdus au milieu d’autochtones.
Propos recueillis par L. Gianati

Information sur l'album

Le royaume de Borée - La Saga des Pikkendorff
1. Oktavius

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