Comment avez-vous découvert ce roman de Marcel Aymé ? Qu’est-ce qui vous a donné envie d’en réaliser une adaptation ?
À vrai dire, je ne me souviens plus comment je l’ai découvert. Tout ce dont je me rappelle c’est de l’avoir lu, un été, dans la cour de la maison de mes parents. J’ai tout de suite été séduit par le sujet et par l’auteur qui, pour moi, évoquait « Le passe muraille ». J’ai toujours été attiré par les histoires mettant en scène un petit évènement surnaturel qui vient bouleverser le quotidien d’un personnage. La lecture n’a fait que confirmer ma première impression. En effet, comment ne pas être intrigué par l’histoire d’un homme qui, du jour au lendemain, sans explication, change de visage et devient séduisant. Et le roman creuse en profondeur le sujet, faisant émerger des questions : Quel est le rôle de l’apparence dans les rapports humains, les rapports amoureux ? Quel est le lien entre ce que l’on est profondément et l’image que l’on a de soi ? Bref, un récit qui, sous l’aspect du divertissement et de la fantaisie, amène à l’introspection. C’est bien sûr un thème qui trouve un écho dans notre société, à une époque où l’apparence est prépondérante, où l’on met en scène sa vie sur FACEBOOK, où l’on se fait lifter, siliconer, rafistoler pour mieux passer à la télé ou au cinéma. Il semble devenu impossible de se contenter du corps que l’on a et d’apprendre à vivre avec. La narration aussi m’a attiré. L’histoire nous est racontée à la première personne et nous suivons en permanence le fil des pensées et des réflexions du personnage de Raoul Cérusier, nous permettant ainsi de nous mettre à sa place et de ressentir ce qu’il ressent.
A-t-il été difficile de convaincre les ayants droit ? Comment la petite fille de l’auteur juge-t-elle le résultat ?
Je me suis entièrement reposé sur l’éditeur pour convaincre la petite fille de Marcel Aymé de l’intérêt de cette adaptation. Je crois savoir qu’elle a apprécié mon travail et je ne la remercierai jamais assez d’avoir accepté de me laisser marcher dans les pas de son grand père.
Vous remerciez également, en début d’album, un « Sébastien ». S’agit-il de Sébastien Gnaedig, déjà rencontré lors de Quintett ? Comment a-t-il accueilli ce projet ?
Il s’agit effectivement de Sébastien Gnaedig qui avait suivi, chez Dupuis, le début de la réalisation de Quintett. Il est depuis plusieurs années l’un des directeurs de collection de Futuropolis. J’avais parlé du projet à plusieurs éditeurs et il a été le premier à réagir, à lire le roman et à être prêt à me suivre. C’est lui qui m’a encouragé à travailler sans encrage. Le dessin est réalisé directement au crayon et assombri après le scan. Cela permet d’avoir une sensibilité et une spontanéité du trait qui collait bien avec le sujet. Et puis, j’aime expérimenter, essayer d’autres techniques graphiques…
Vous définissez votre style graphique comme un « réalisme interprété ». C'est-à-dire ?
Je veux dire par là que ma principale source d’inspiration est l’observation de la réalité. Mais je ne cherche pas à la représenter telle qu’elle est, je cherche à en tirer la substance et à servir au mieux le propos du récit. Mon dessin s’est ainsi construit de détails observés ça et là (poches sous les yeux, épatement du nez…) et passé par le filtre de la narration.
Quelles sont les contraintes liées à l’adaptation d’un roman ?
La première des difficultés a été pour moi de m’affranchir de mon admiration pour le roman. Chaque mot, chaque phrase est une perle et j’avais envie de tout mettre, ce qui était bien sûr impossible. Il m’a donc fallut d’abord définir ma propre démarche. Car entre la transcription littérale et la libre interprétation, une multitude d’approches sont possibles. Pour ma part, je souhaitais rester fidèle à la trame du roman tout en apportant mon interprétation. Par exemple, le personnage de Roland/Raoul a certains aspects « petit bourgeois » que j’ai volontairement gommés pour que l’on puisse mieux s’identifier à lui. Le roman est très dialogué et comporte assez peu de descriptions, ce qui m’a permis de puiser dans les dialogues et d’avoir une grande latitude dans la représentation des décors et des personnages. Par ailleurs, nous suivons les réflexions du personnage et il a parfois tendance à se répéter ou à reprendre, pour la développer, une idée abordée dans une scène précédente. Je me suis donc efforcé d’ordonner les propos du personnage et d’en tirer la substance. Je dois dire que pendant toute la réalisation de l’album, l’ombre de Marcel Aymé a plané au dessus de mon épaule et je me demandais s’il apprécierait mon travail. Je ne le saurai jamais…
Le changement de visage a provoqué chez Raoul une véritable remise en questions, une occasion unique de regarder par-dessus son épaule le chemin parcouru. Avez-vous été concerné par ce sentiment, que beaucoup d’hommes ressentent à l’approche de la quarantaine ?
Je n’ai pas attendu la quarantaine pour me poser des questions et je pratique régulièrement le doute et l’introspection… c’est peut-être aussi pour cela que le personnage de Raoul/Roland, m’a plu. En réalité, je me méfie des certitudes, des habitudes, des principes… Pour Raoul, il a fallu une métamorphose pour qu’il se mette enfin à se poser des questions. Pour ma part, je crois que nous sommes tous en état de métamorphose permanente. Il vaut donc mieux rester vigilant, en éveil…
Le récit est également une succession de face-à-face, un véritable jeu de miroir : Raoul/Roland bien sûr, mais aussi Julien le pragmatique/Antonin le rêveur, la Sarrazine femme fatale/Renée l’épouse (presque) fidèle sans oublier les deux enfants de Raoul, un garçon et une fille…
Oui, sa métamorphose est l’occasion d’aller au-delà des apparences. Julien Gauthier, l’ami de Raoul, qui ne croit pas à son histoire, montre par là même qu’il est fidèle à leur amitié. La Sarrazine, sous ses dehors de séductrice, s’avère être une jeune femme sincère et sensible. L’épouse de Raoul, Renée, montre qu’elle n’est pas aussi parfaite qu’il n’y paraît. Le récit alterne les points de vue, et s’amuse à faire des comparaisons. Et puis, le nouveau visage de Raoul le met face à des choix qu’il n’avait jamais eu à faire. Il a le choix entre sa femme qui représente son ancienne vie et la Sarrazine qui représente une nouvelle vie. Or choisir, c’est renoncer et la réaction de Raoul tend à prouver qu’au-delà des apparences, l’on n’échappe pas à ce que l’on est au fond, ni à la vie que l’on s’est forgée avec le temps.
Vous avez signé votre premier scénario avec Chambre Osbcure. Dans quel domaine vous sentez-vous le plus à l’aise, l’écriture ou le dessin ?
Je me sens autant narrateur que dessinateur. D’ailleurs, il ne me vient quasiment jamais d’idées purement visuelles. Elles sont toujours sous tendues par une histoire, une mise en scène…Par contre, j’ai davantage d’expérience graphique que scénaristique. Je n’ai donc pas encore développé d’automatismes d’écritures ce qui me donne un grand sentiment de liberté. Le travail d’écriture oblige à s’absenter du réel, à se projeter totalement dans les scènes pour mieux les visualiser, en imaginer les dialogues etc… et maintenant que j’ai goûté à ce plaisir, je vais avoir du mal à m’en passer.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le projet que vous évoquez sur votre blog, celui d’un nouveau récit introspectif se déroulant dans un Paris contemporain ?
Ce projet, que j’appellerais pour l’instant « LHOMKI » est à paraître chez Futuropolis. Comme pour La belle image, il s’agit d’un récit introspectif et intimiste mettant en scène un personnage qui subit un phénomène surnaturel. Mais cette fois-ci, l’histoire nous est racontée du point de vue d’un narrateur neutre et omniscient, qui nous parle du héros comme d’un sujet d’étude ethnologique. Le thème trouvant un écho tout particulier à notre époque, j’ai décidé d’en situer l’action dans le Paris contemporain. Même si, graphiquement, ce cadre me séduisait moins de prime abord, je dois reconnaître que j’ai un plaisir fou à représenter notre société. Et puis, pour une fois, je n’ai pas à chercher très loin la documentation. Elle est là, autour de moi…
Il est possible que je mène un second projet en parallèle, mais je ne peux pas en dire plus pour l’instant…