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Ozanam au plus haut des cieux

Entretien avec Antoine Ozanam

Propos recueillis par D Wesel Interview 13/04/2011 à 13:32 4851 visiteurs
Des récits courts dotés d’une forte personnalité, telle pourrait être la description du travail d’Antoine Ozanam, un scénariste inclassable qui surprend et se renouvelle d’album en album. Il revient sur le devant de la scène avec deux actualités : la suite et fin de We are the night, un polar très racé, et Les âmes sèches, une série de trois albums avec trois dessinateurs différents. L’occasion de faire le point avec le principal intéressé…

La deuxième et dernière partie de We are the night vient de paraître chez Ankama. Il s’agit d’un polar assez sombre qui multiplie les personnages et passe sans cesse de l’un à l’autre. Quelles sont les difficultés liées à ce type de narration et pourquoi avoir fait ce choix ?

Bon, il va falloir que j’explique plein de trucs...

Même si je ne fais pas partie du mouvement Oubapo (Ouvroir de bande dessinée potentielle), il m’arrive de m’interroger sur les différentes formes narratives en BD. Du coup, j’ai été assez étonné de voir que le genre « choral » n’était pas ou peu utilisé, alors qu’il existe depuis très longtemps en littérature ou au cinéma. Ce fut donc la première étincelle. Ensuite, il a fallu attendre d’avoir l’histoire qui s’y prêtait.

Un jour, j’ai reçu un coup de fil de Kieran, qui me demandait un coup de main pour le scénario de son projet de fin d’études à Émile Cohl (école de BD à Lyon). Au départ, il ne s’agissait pas d’en faire un album. J’ai tout de suite pensé à cette forme narrative. De son côté, Kieran m’a parlé de son envie de faire un polar. J’ai rebondi avec une histoire courte que j’avais dans les cartons (et qui devait y rester, vu le peu de journaux publiés actuellement). Il était question de trois types qui volaient la voiture d’une nana et qui, en fait, lui volaient aussi sa mort, puisque la voiture était sabotée. Je me suis donc mis au boulot en écrivant le « dossier » et les quatre premières pages, matière dont avait besoin Kieran. Il a quant à lui dessiné les pages et fait les recherches de personnages.

On avait donc un « dossier éditeur » prêt. On s’est dit que ce serait bête de ne pas tenter le coup. Surtout qu'on était content du résultat. Les éditeurs ont été très réticents. Ils nous ont répondu que ça ne se faisait pas. Qu’autant de personnages, c’était trop. Que les lecteurs allaient se perdre. Qu’on n’allait pas s’attacher à eux… D’ailleurs, quelques mois plus tard, le jury d’Émile Cohl a exprimé le même avis. Mais là, on s’en foutait, puisque les éditions Ankama avaient accepté le projet. Run avait directement compris où on voulait en venir. Une fois qu’on a eu le contrat, les choses ont commencé à se compliquer. Car au départ, j’avais fait ça en rigolant. Je n’imaginais pas tout écrire ! Le développement d’une histoire comme celle-là est forcément plus difficile, le découpage s’approchant plus d’un plan de métro, dont chacune des lignes serait un personnage, que d’un découpage scène à scène. Et en plus, ce qui est vrai, c’est qu’on a très peu de temps avec chacun des personnages pour les rendre intéressants. Il faut traquer les incohérences… et n’oublier personne en cours de route. Mais c’est justement ça qui est rigolo. J’adore les contraintes.

Pourquoi un titre en anglais ?

C’est le hasard. Il arrive souvent que le titre de travail que j’ai choisi disparaisse. Ça a été le cas ici. C’est Kieran qui a trouvé le titre. Et une fois proposé, ce fut une évidence pour tout le monde.

Il y a souvent une certaine violence dans tes récits et We are the night n’échappe pas à cette règle. Un choix conscient ?

Oui, c’est bizarre. Je ne me l’explique pas trop. Il est vrai que je suis attiré par les choses en marge, là où la violence est sans doute un peu plus présente qu’ailleurs. Raconter le bonheur et les bons sentiments, c’est sans doute plus difficile. Là, il faut être un sacré scénariste. On est aussi plus « à nu » quand on raconte des choses douces. Il va falloir que je me mette ça comme contrainte !

Autre projet qui fait l’actualité : Les âmes sèches. Les trois tomes seront publiés de manière très rapprochée. Un choix personnel, ou dicté par l’éditeur ?

Les deux, mon capitaine ! En fait, j’ai la chance d’avoir une belle relation de travail avec Didier Borg chez KSTR/Casterman. Nous avons parlé « série » et nous sommes tombés d’accord sur plusieurs points, notamment sur le fait que l’attente entre chaque tome était frustrante pour tout le monde. On s’est donc imposé ça comme contrainte supplémentaire ! Au départ, il s’agissait de sortir un album tous les deux mois, je crois… Puis les choses ont évolué jusqu’au planning définitif.

Tes différents travaux sont tous très variés, abordent tous les genres. Pourtant, à la lecture, on ressent comme une cohérence dans ta bibliographie. Peut-on parler d’une « patte Ozanam » ?

Ce n’est sans doute pas à moi de répondre à cette question. Moi, j’écris les histoires que j’ai en tête, c’est tout. Mais je sais deux choses. La première, c’est que la cohérence vient peut-être du fait que c’est à chaque fois sincère. Pour chaque histoire, c’est une envie qui dicte l’écriture. Pas le fait de croire que ça va se vendre ! Le second point, c’est que je n’ai pas envie de me répéter. Si je ne faisais que du polar, par exemple, j’aurais peur d’utiliser toujours les mêmes ficelles.

Tu as fait une incursion en science-fiction avec Éclipse. Cette expérience fut-elle concluante ? As-tu d’autres projets dans cette veine ?

J’ai adoré travailler sur Éclipse ! J’ai ressenti un peu de frustration à la fin, car j’aurais bien voulu continuer. Même si Sébastien Vastra et moi sommes allés jusqu’au bout de l’histoire que l’on s’était fixée, je trouve ça dommage. Nous n’avons pas été suivis par l’éditeur, malgré un bon démarrage, car il y a eu un changement d’équipe. Et oui, j’ai d’autres projets de SF… Mais rien sur les rails pour l’instant.

Quel regard portes-tu sur ta propre production ?

On va dire qu’il n’y a pas juge plus critique que moi-même ! Hé ! Hé ! Mais j’ai de la tendresse pour certains projets. Il y a même quelques bouquins que je trouve bons, voire très bons si je ne parle que du dessin !

Tu as manifestement une préférence pour les one-shots et/ou les récits courts. N’est-il pas difficile d’abandonner certains personnages après un seul album ?

Disons qu’au départ de ma petite carrière, j’ai commencé par faire des albums de 46 pages, comme tout le monde. Mais j’ai été vraiment blessé par l’arrêt de deux séries coup sur coup. Ça m’a fait un peu réfléchir ! Je voulais que le lecteur puisse avoir la fin et qu’on puisse me juger sur l’intégralité. C’est à la même époque que j’ai rencontré Didier Borg. Sa vision était la même que la mienne.

Le format proposé est le même, à peu de choses près, que le format des ‘trades’ américains. Forte pagination, petit format, couleurs… Ça convient bien aussi au fan de comics que je suis ! Dans ce format, le fait d’avoir deux pages en plus ou en moins n’importe pas vraiment. C’est une souplesse que j’apprécie beaucoup. Après, oui, il y a des inconvénients. D’abord parce qu’il est beaucoup plus difficile de vendre des one-shots que des séries. Se faire un nom est plus dur… et le fait de clore une histoire implique qu’effectivement, on « abandonne » les personnages. C’est la règle du jeu. Mais je préfère ça plutôt que d’accepter de faire une suite juste parce que le succès est au rendez-vous.

Les séries arrêtées avant leur terme sont de plus en plus légion. Le fait de privilégier les récits en un volume serait donc une façon de se prémunir contre de telles déconvenues ?

Tout à fait. Ce qui est drôle (et triste à la fois), c’est qu’on stoppe des séries en plein milieu et qu’on « oblige » les auteurs à faire des suites sur des histoires terminées. Juste parce qu’il y a succès ou non. Et après, on s’étonne que le public a du mal à suivre…

Tu travailles avec beaucoup de jeunes auteurs. Comment les déniches-tu ?

J’adore le dessin. Je fouille pas mal, que ce soit sur le web ou dans l’édition venant de l’étranger. Du coup, je tombe sur des artistes super doués… Et puis, il commence à y avoir le bouche à oreille. J’ai de plus en plus de propositions… Comme je suis plutôt ouvert et que je privilégie le talent à la notoriété, je travaille sans me soucier de leur âge.

Comment travailles-tu avec tes différents dessinateurs ? Au moment d’écrire un scénario, sais-tu toujours qui va le dessiner et cela influence-t-il ta façon d’écrire ?

Justement, j’ai absolument besoin de savoir qui va dessiner l’histoire pour pouvoir l’écrire vraiment. Comme tous les scénaristes, j’ai des idées en tête ou dans mes cartons… Mais il me faut le déclic du dessin pour avancer. C’est aussi pour cette raison que je préfère n’avoir que quelques pages d’avance sur le dessinateur lors de la réalisation. Je sais que cela peut dérouter certains dessinateurs… Aussi, il m’arrive de travailler autrement. J’essaie d’être assez souple dans ma méthode de travail. En revanche, j’ai toujours un peu de mal à faire des story-boards, pour la simple raison que je trouve ça trop directif. Pour moi, le dessinateur n’est pas qu’un illustrateur du scénario. Il est le co-narrateur. Il peut apporter des idées ou des solutions. Je crois franchement que les meilleures BD sont faites par des duos remplis de connivences (quand c’est fait par des duos). Je n’aime pas l’idée du dessinateur mercenaire qui pourrait dessiner n’importe quoi, pourvu que l’éditeur l’ait accepté.

Quels sont les projets qui t'occupent actuellement ?

Je viens d’avoir le feu vert pour la seconde saison des Âmes sèches (trois nouveaux albums de 115 pages), ainsi que pour un deuxième épisode de Pills (avec un nouveau dessinateur, car Guillaume Singelin est occupé ailleurs). Je continue aussi mes collaborations avec Rica, Kyung-eun Park, Kieran et Lelis. Et je suis sur le troisième tome d’une série que je réalise avec Joël Jurion (qui termine pour l’instant le tome 2). Ça devrait sortir en 2012 au Lombard.

À part ça, j’ai une grande envie de me mettre sur des séries classiques : 46 pages couleurs, héros récurrents, mais albums auto-conclusifs. Je compte faire ça avec des gens que j’estime énormément comme Bandini ou Tentacle Eye. Pour le reste, c’est bien trop tôt pour en parler, mais je n’ai jamais eu autant d’envies qu’en ce moment.

As-tu eu des coups de cœur, récemment ? Et de manière plus large, quelles sont tes références en bande dessinée ?

Mes trois derniers coups de cœur sont le dernier Capricorne, Le livre des destins T4 et Asterios Polyp.

Andreas est sans doute celui que je mets au plus haut dans ma ‘top list’. Autant pour ses scénarios que pour son dessin. Il n’y a que lui pour faire ce qu’il fait. Après, il y a pas mal de bouquins qui m’ont influencé. De Silence à La crève, en passant par Murmure ou les Allack Sinner. La liste est très longue ! En ce moment, je suis de nouveau dans ma période Corto Maltèse. À tel point que je postulerais bien pour reprendre la série (rires).


Le site d'Antoine Ozanam : http://ozanambd.blogspot.com/ ; le blog : http://idiotcherchevillage.blogspot.com/
Propos recueillis par D Wesel

Information sur l'album

Les Âmes sèches
1. Les Âmes sèches 1

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