Comment un éditeur déniche-il un livre comme Trop n'est pas assez ?
S. Ewenczyk : C’est un ancien représentant du Comptoir des indépendants qui était à Berlin au moment de sa sortie qui m’en a parlé. J’ai contacté l’éditeur (Avant-Verlag) qui me l’a envoyé et l’ai lu en un week-end. Ce fut pour moi l’occasion de remercier mes parents de m’avoir poussé à apprendre l’allemand à l’école : pour la première fois de ma vie, ça m’avait servi à quelque chose ! J’ai vraiment trouvé ça très fort et j’ai rapidement contacté l’éditeur pour acheter les droits. Tous les gros éditeurs étaient dessus, mais ils ont réagi plus tardivement, parce que ce sont de grosses structures. La différence, c’est qu’avec de petites structures comme Çà et là, on peut réagir plus rapidement : il n’y a pas de problème de chaîne, de demande d’autorisation, on peut être beaucoup plus réactif. J’ai présenté le projet à Ulli, j’ai pu lui dire que si on signait ensemble, ça pouvait être notre priorité, qu’on pouvait se mettre au travail immédiatement afin que le livre soit prêt avant Angoulême. Ulli a été sensible à ces arguments, elle-même travaillant comme éditrice, notamment avec son site "Electrocomix" sur lequel elle publie d’autres auteurs. Elle sait aussi que si un gros éditeur peut lui proposer une bonne avance, son bouquin ne sera pas pour autant une priorité comme ça peut l’être chez nous. Nous nous investissons pleinement dans la promotion de son bouquin : Ulli est venue pour son lancement, elle est revenue pour la remise du prix Artémisia, elle est là aujourd’hui, elle va entamer une tournée pendant deux semaines en France. C'est une démarche moins évidente chez un gros éditeur.
La version française est-elle identique à celle publiée en Allemagne ?
Si la plupart du temps, nous avons tendance à essayer d’améliorer l’existant, que ce soit la couverture, le papier, mais aussi le format auquel on peut trouver des défauts, ce ne fut pas le cas pour Trop n’est pas assez. Je dois dire que j’ai trouvé la version allemande idéale. La sensation que l’on a en lisant le livre est vraiment parfaite, donc on s’est attaché à conserver la même chose. L’éditeur, Avant-Verlag, basé à Berlin et spécialisé dans l’alternatif fait vraiment de bonnes choses, c’est lui qui publie Winshluss, Blutch, Sfar... Mais la diffusion reste néanmoins très confidentielle là-bas.
Vous disiez il y a quelques années lors d’une interview : « la scène anglo-saxonne est selon moi la plus intéressante du monde ». Qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
Je pense que c’est toujours le cas, mais ponctuellement, vous pouvez avoir de remarquables ouvrages qui paraissent dans d’autres coins du monde ! Je dois concéder que je ne connais pas bien ce qui se fait en Asie, mais le dynamisme de la scène indépendante aux États-Unis est quand même énorme, mais c’est aussi parce que le marché le permet, ils ont un réel lectorat. L’Allemagne ne dispose pas de cet atout, cette absence de marché fait qu’il y a peu d’éditeurs, même si l’envie de créer est importante. Aux États-Unis, toutes les conditions sont réunies pour que les auteurs puissent faire leurs bouquins dans de bonnes conditions. Alors, même si je cherche de la manière la plus volontariste possible à ouvrir le champ, la moitié de ce que nous présentons reste d'origine anglo-saxonne. On a quand même publié un auteur Philippin cette année (Gerry Alanguilan – Elmer), un finlandais qui est dans la sélection officielle (Ville Ranta – L’exilé du Kavevala).
Quels sont les projets de votre maison d’édition pour l’année à venir ?
Nous allons continuer sur notre lancée sur les séries qui sont déjà enclenchées, donc, on va terminer l’Anthologie d’American splendor avec le 3ème volume. On va aussi terminer la série autobiographique des Alec (Campbell Eddie). Et, à la fin de l’année, on va publier en cartonné l’intégrale des Alec, un vraiment gros livre en 740 pages. Puis, nous allons publier des auteurs tchèques que nous avons repérés à Francfort qui ont fait un livre sociologique et documentaire sur les Roms particulièrement intéressant. En tout et pour tout, nous allons publier quinze livres cette année. Nous allons donc avoir un planning assez chargé avec quelques pépites trouvées aux États-Unis, mais aussi un livre Taïwanais qui marquera pour nous notre première publication asiatique. Il s’agit d’une jeune auteure qui vit en France depuis une douzaine d’années et qui raconte son enfance à Taïwan. Enfin, on va aussi faire un autre 90 livres cultes à l’usage des personnes pressées qui est notre best-seller de l’année dernière. Nous continuons donc sur la lancée. On a même demandé à l’auteur (Henrik Lange) de préparer un troisième volume dans cette série, il doit paraitre en juin prochain et s'intitulera 90 autres livres cultes.