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La Chair de l'araignée

Entretien avec Hubert

Propos recueillis par L. Gianati Interview 08/12/2010 à 13:58 4387 visiteurs
Avec la Chair de l’araignée, Hubert prouve, si besoin était, que la bande dessinée possède de nombreux atouts pour traiter de sujets sensibles. Grâce notamment au remarquable travail graphique de Marie Caillou, l’auteur apporte un nouveau regard sur l’anorexie mentale, et de façon plus générale, sur les troubles alimentaires. La tentation était alors grande d’en savoir un peu plus sur les origines d’un tel ouvrage et sur la façon dont les deux pensionnaires de l’Atelier du Coin l’ont abordé.

La chair de l’araignée est-il un projet que vous aviez en tête déjà depuis longtemps ?

Hubert : Je tournais autour depuis quelques années, mais je ne trouvais pas l’angle exact. C’était toujours soit trop autobiographique, et ça devenait nombriliste, assez confus et pas très intéressant, soit trop fictionnel, et ça se diluait parce que ça devenait totalement extérieur. Je me trouvais alors en position de spectateur. C’est finalement le dessin de Marie qui m’a donné la distance exacte. Son dessin parle du réel, mais avec une distance, une tension et une apparente froideur qui cache une grande tension et une grande sensibilité. J’ai essayé de coller à ça. Finalement, l’histoire est un amalgame de sources diverses, des choses que j’ai pu vivre, des choses que des amies m’ont racontées, que j’ai pu lire ou voir. Mais si l’histoire est fictionnelle, les sensations, le mode de pensée, les sentiments viennent du vécu. C’est une fiction racontée de l’intérieur.

Les éditions Glénat n’ont-elles pas été réticentes à publier un ouvrage traitant d’un tel sujet ?

Hubert : Non, Franck, l’éditeur de Mille Feuilles, a tout de suite été enthousiaste. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons signé chez Glénat. Il était important de sentir que nous serions soutenus. Par contre, d’autres éditeurs à qui nous avions présenté le projet ont eu des réactions de rejet assez directes. Ça m’a rassuré. J’avais peur d’avoir écrit quelque chose de trop « mignon ». Je ne voulais surtout pas que ça puisse passer pour une apologie.

L’anorexie isole et touche plus particulièrement une population féminine. Pour quelles raisons avoir introduit un personnage masculin, atteint lui aussi par cette maladie ?


Hubert : Nous ne parlons pas d’anorexie mentale au sens propre du terme, mais de troubles du comportement alimentaire, ce qui est plus large (on pourrait dire que le personnage féminin est anorexique alors que le garçon est plutôt boulimique anorexique). Et je m’intéresse moins au corps et aux pratiques alimentaires, qui ne sont qu’un symptôme, qu’à ce qui se passe dans leur esprit. Je voulais déplacer le point de vue à l’intérieur d’eux, ne pas écrire l’histoire du point de vue de la société, mais du leur. Tous deux rejettent leur corps, ils rejettent ce qu’ils ressentent comme un déterminisme insupportable. Ils cherchent à contrôler leur corps pour le rendre plus supportable. Ils sont dans une dialectique hypercontrôle/dérapage, lequel renforce le besoin de contrôle. Mais pour eux, leur façon de vivre est finalement banale, d’autant plus qu’ils se confortent l’un l’autre : c’est d’ailleurs ce qui les réunit. Leur relation fusionnelle est une fuite hors du regard de la société.
Dans la première version du scénario, c’est d’ailleurs le point de vue du garçon qui était le plus présent (comme par hasard !). C’est dans le travail avec Marie que le personnage féminin a pris plus d’ampleur.
Si ce genre de trouble touche majoritairement des filles, il y a également des garçons qui en souffrent, et il semblerait d’ailleurs que ce soit un phénomène en hausse.


Les deux adolescents n’ont pas de noms dans l’album et se ressemblent beaucoup physiquement. L’anorexie efface-t-elle également l’identité de chacun ?


Hubert – Ce n’était pas réellement le propos. Je crois qu’ils ont chacun un caractère très différent. Simplement, aucun nom ne s’est imposé pendant l’écriture, ça me semblait superflu. Je pense que cet anonymat renforce le côté subjectif, immergé, de la narration, et son côté abstrait. Quand à leur ressemblance physique, ça teint au côté gémellaire, fusionnel, que nous voulions montrer.
J’ai l’impression que ceux qui ont ce genre de problème ont au contraire une personnalité assez forte, avec énormément de volonté ! Ceux que j’ai côtoyés étaient plutôt brillants, très cérébraux mais plutôt plus centrés sur eux-mêmes que sur le monde extérieur. L’intelligence et la volonté peuvent être utilisés à mauvais escient ...

Les causes supposées de la maladie des deux adolescents sont à peine esquissées. Un point commun néanmoins : les origines sont familiales et remontent à l’enfance…

Hubert : Comme dans tout problème psychologique aussi grave, les causes sont nombreuses et peuvent varier d’un cas à l’autre. Il y a néanmoins de nombreuses pistes qui sont esquissées. Pour ce qui est de la famille, c’est beaucoup plus vaste : ils sont à peine sortis de l’adolescence, et c’est un âge où l’on se construit par rapport à son environnement familial.
Tel que j’ai pu le ressentir, ce genre de problème est un trouble lié à la construction de l’identité. C’est sans doute pourquoi il touche majoritairement des adolescents ou post-adolescents. Mais surtout, je ne voulais pas faire quelque chose de didactique. Je ne suis pas médecin, je n’ai pas la prétention de pouvoir expliquer de façon exhaustive les origines de cette maladie.

Contrairement au Lucille de Debeurme, vous abordez la maladie de front, quitte à choquer le lecteur, comme par exemple avec la scène décrivant la « crise » de la jeune fille…

Hubert : La scène en question est sans doute assez crue, mais très mentale, puisqu’elle glisse rapidement vers quelque chose de totalement onirique.
Comme le thème central était le rapport corps/esprit, il fallait aussi traiter du corps, du dégoût qu’il provoque chez eux, de la volonté d’aller vers ce corps abstrait, désincarné, par opposition au corps charnel, viscéral. Nous avons essayé de faire ressentir les choses plutôt que de les décrire de l’extérieur.
Ce n’était pas une volonté de choquer, mais un passage nécessaire dans l’histoire, un contrepoint . Nous avons essayé d’éviter de tomber dans le voyeurisme ou le sordide. Nous aurions pu sans problème rajouter pas mal de scènes « trash », ce n’est vraiment pas difficile avec le sujet.

Le récit est également parsemé d’images mentales et fantastiques soulignées par un symbolisme très fort. Comment peut-on les interpréter ?

Hubert : Ce sont des projections, des images mentales, comme des rêves éveillés, liés à l'état flottant que provoque l'hypercérébralité. Dans cet état, on est détaché de son corps, si bien que le réel a moins d'importance que ce qui se passe dans la tête et devient assez poreux. C’est un état flottant. C’est pourquoi les scènes oscillent souvent entre le réel et une forme de fantastique.
Ça tient beaucoup à la façon dont le scénario a été écrit, en grande partie en écriture automatique, même si je l’ai retravaillé ensuite pour lui donner plus de cohérence et intégrer les remarques de Marie.
Ça permet de raconter certaines choses de façon allusive qui sinon seraient très longues à développer. Et ça oblige le lecteur à un peu de travail de décryptage ! Tout n’est pas donné du premier coup, pré-mâché, et chacun peut avoir sa propre interprétation du récit. J’ai toujours aimé cacher des choses à l’intérieur des histoires que j’écris, que l’on peut comprendre lors d’une deuxième lecture, ou pas du tout, suivant sa propre sensibilité !

Comment avez-vous choisi Marie Caillou pour le dessin ? Est-elle également sensible au thème abordé ?


Hubert : Je n’ai pas choisi Marie pour le dessin. J’ai commencé à écrire pour elle, pour son dessin, par association libre. Et ce qui est sorti était la scène de la crise de la jeune fille. Le dessin est une part majeure du langage en bande dessinée. Il dit déjà avant qu’on ait commencé à raconter, il donne le ton. Je n’aurais pas pu faire cet album avec quelqu’un d’autre. C’est d’ailleurs le cas pour tous mes projets. J’écris pour et avec un dessin précis.

D’où lui vient cette façon insolite de représenter le nez de ses personnages ?

Hubert : C’est une longue histoire ! Au début, Marie voulait que les personnages soient des animaux, et elles les avaient dessinés avec des oreilles et une queue de chat. Au final, ces deux éléments ont été supprimés parce qu’on s’est rendu compte que ça parasitait le propos, mais quand on a voulu enlever la truffe, les visages perdaient de leur charisme. On a longuement débattu entre nous, après avoir fait lire des pages à des amis, et avec notre éditeur. Les nez-truffes sont restés sur la sellette jusqu’à la fin, mais en fin de compte, on n’a pas réussi à les remplacer par des nez-nez. Et au final j’aime bien le côté non réaliste, légèrement cartoon, que cela donne à l’album. Ça renforce le côté fictionnel.

Les cases et la typographie sont droites, sans contours. Cette relative austérité est-elle un miroir à la rigueur et à l’absence de fantaisie que s’imposent les deux adolescents ?


Hubert – C’est avant tout lié à la façon de travailler de Marie. Elle dessine exclusivement sur Illustrator. Cette rigueur qui servait parfaitement le propos est une part importante de sa façon de dessiner. Ça aurait été artificiel et assez ridicule de tenter de faire du tremblé ou de la typo manuelle !

À votre avis, à quel public est destiné La Chair de l’Araignée ? Quelles ont été les premières réactions de vos lecteurs ?

Hubert – Je dois avouer que ce n’est pas le genre de chose dont je me soucie en écrivant ! Je m’en remets en général à mon éditeur sur ce sujet. Ce n’est clairement pas pour les enfants, c’est certain.
Je ne savais pas du tout quelle genre de réaction allait provoquer l’album à sa sortie. Et s’il y a des gens qui sont rebutés par le sujet, nous avons eu des retours extrêmement forts de lecteurs qui ont été touché par l’histoire. J’avais bien sûr peur de ne pas avoir été juste sur un sujet aussi délicat. C’est une vision très subjective. Mais il semblerait qu’il y ait des lecteurs ayant vécu des choses assez similaires qui s’y retrouvent et qui nous disent que nous avons assez bien retranscrit les sensations et la façon de penser. C’est le plus important pour moi. Et je suis également heureux de voir que les lecteurs sont sensibles à la beauté et à la rigueur du travail de Marie, qui ne ressemble pas à ce qui se fait habituellement en bande dessinée franco-belge.
Propos recueillis par L. Gianati

Information sur l'album

La chair de l'Araignée

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