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Sur un air d'opéra

Rencontre avec Sébastien Ferran

Propos recueillis par M. Natali Interview 30/03/2010 à 16:18 4640 visiteurs
Quand les adaptations fleurissent et que les regards sont portés sur les grands noms, comment un jeune auteur, peu visible et peu côté, peut-il surgir des limbes et faire apprécier son travail ? Sans doute par l'enthousiasme et l'engagement qu'il y met, en expliquant ses choix et ses motivations. Parlant du deuxième tome de L'Anneau des Nibelungen, Sébastien Ferran se raconte et raconte son oeuvre. Un travail auquel il croit, noyé dans la masse des sorties, mais auquel il serait dommage de ne jeter qu'un coup d'oeil, blasé, alors qu'il est porté par la passion.

Avant d'entreprendre Ulysse et L’Anneau des Nibelungen (Emmanuel Proust), quel a été votre parcours ?

J’ai fait cinq ans en école d’arts graphiques à l'ESAG ainsi qu'une thèse sur les adaptations de la mythologie grecque en BD. C’est un thème qui m’intéressait et m’intéresse beaucoup et à l’époque, j’avais vraiment envie de me lancer là dedans, d'où Ulysse. Plus tard, ce fut L’Anneau des Nibelungen car j'avais un peu fait le tour des gars en jupettes ! (rires)

Les adaptations de grands classiques et des légendes fleurissent sous l'égide de multiples éditeurs. Le premier tome de L'Anneau des Nibelungen a précédé de quelques semaines le Crépuscule des dieux scénarisé par Nicolas Jarry, puis Alexandre Alice a publié Siegfried quelques mois plus tard. Est-ce que ça n’a pas été trop difficile de voir apparaître d'autres adaptations portées par des noms déjà bien connus ?

Si, bien sûr. D’autant plus que les maisons d’éditions où sont parues ces autres séries sont quand même plus en vue. Il existait déjà des versions BD de cette légende (ndlr : L’Anneau des Nibelungen de Leiji Matsumoto ou encore L’Anneau du Nibelung de Numa Sadoul), mais je voulais vraiment travailler dessus et je ne m’attendais pas à cette concurrence. C’est un peu le risque quand on adapte un mythe qui a tant influencé notre culture européenne.

Pourquoi avoir choisi ce mythe des Nibelungen ?

En fait, j’ai découvert la légende des Nibelungen grâce à Excalibur (1981) de John Boorman dont un passage – la mort du roi Arthur - reprend le thème de la « Marche Funèbre de Siegfried » de Richard Wagner dans le Crépuscule des Dieux. J’ai tout de suite été séduit par cette musique et j’ai voulu en savoir plus. L’ambiance du film et la bande sonore m’ont aussi rappelé la trilogie de Peter Jackson, Le Seigneur des Anneaux, reprenant l’œuvre de Tolkien. Et en cherchant plus de renseignements, je me suis aperçu que finalement Tolkien avait davantage démocratisé une légende (celle de l’anneau) qu’il ne l’avait inventée. Bon, il a bien inventé une langue elfique (rires). En tout cas, ces films ont éveillé mon intérêt pour l’histoire des Nibelungen et j’ai essayé d’en savoir plus. J’ai donc regardé toute une série de films de Fritz Lang, en particulier l'un d’eux, Nibelungen (1924), en deux volets. Il m’a beaucoup inspiré.

Pouvez-vous nous en dire plus sur vos sources d’inspiration en général ?

Pour L’Anneau des Nibelungen, en dehors de l’opéra de Wagner, essentiel, j’ai donc trouvé une grande inspiration visuelle dans ces deux films de Fritz Lang qui reprennent la légende médiévale d’origine (avec des Huns). Tout spécialement pour le héros. Mon Siegfried est une copie conforme de l’acteur qui joue ce rôle dans Nibelungen, Paul Richter. Ils se ressemblent vraiment beaucoup, grands, blonds… (rires). J’ai aussi été influencé par le travail de mise en scène de Robert Wilson dans le Siegfried qui fut joué au Théâtre du Châtelet, à Paris. J’ai aussi beaucoup d’autres sources d’inspiration, comme les Chevaliers du Zodiaque ! Si, si ! (rires).
Le design de leurs armures m'a toujours fasciné, et je l'ai un peu repris pour la Walkyrie. D'ailleurs, l'une des saisons de l’animé se passe à Asgard où les chevaliers ennemis ont des noms qui viennent de la légende des Nibelungen (ndlr : cette partie n’existe pas dans la version manga).

Pour votre adaptation du mythe des Nibelungen, vous avez donc choisi de suivre Richard Wagner plutôt que le texte originel. Mais il s’agit d’une tétralogie et vous proposez une trilogie...

Il s’agit d’abord de raisons éditoriales. Quand j’ai proposé mon projet à Emmanuel Proust, il l’a accepté tout de suite mais à condition qu'il paraisse dans sa collection Trilogies. Je devais donc m’astreindre à livrer une histoire en trois tomes, ce qui n’était pas évident étant donné la foule d’éléments que contient la légende. À cause de cet impératif, j’ai dû faire de nombreuses coupes, en particulier dans La Walkyrie (le premier tome). J’ai fait des coupes dans la romance entre les parents de Siegfried. Je ne pouvais pas tout dire, ni tout expliquer et j’ai donc centré l’album sur les personnages de la Walkyrie, Brünnhilde – quand même ! -, et de Siegfried. C’est pour ça que l’histoire d’amour qui est au départ de la vie de Siegfried est si vite traitée… C’est dommage, mais bon. D’ailleurs, en parlant de coupes et d’adaptation, j’ai eu des problèmes similaires dans Ulysse. Il y a de nombreux personnages et je ne pouvais pas tous les intégrer alors j’ai apporté quelques changements chez Circé qui prend une place bien plus prépondérante que dans l’Odyssée, mais l’ensemble fonctionne bien au final.
L'adaptation est toujours un crève-cœur quelque part pour celui qui adapte, parce qu'il faut toujours sacrifier des passages au profit d'autres afin de rendre l'ensemble cohérent scénaristiquement.

Comment travaillez-vous ? Scénario puis story-board avant de passer au dessin ? Quelle place pour les recherches ?

N'ayant pas de formation de scénariste à la base, je scénarise et dessine tout à la fois sous la forme d'un story-board assez détaillé.
Comme j'invente au fur et à mesure que j'écris et dessine, il est en général très surdécoupé.
Quand vient le moment du dessin définitif, je reprends des images, j’enlève des cases, j’aère. Il peut même m'arriver de complètement changer certaines scènes par rapport au story-board. Les recherches pour les personnages principaux sont faites avant le story-board. Par exemple, Siegfried, pour moi, c’est celui qui veut trouver l'amour et la Walkyrie est sa femme idéale, contrairement à Albérich qui a fermé son cœur. C’est comme ça que j’ai construit le personnage, en prenant aussi en compte le fait qu’il ne ressent pas la peur. Il en est affranchi. Sauf quand il contemple la Walkyrie. C’est comme ça que je le vois. Quand le story-board est prêt, je passe au crayonné. Je mets en place les décors. Puis je fais l’encrage, en y mettant beaucoup de détails. Mon éditeur me reproche parfois d'en mettre trop, mais je n'y peux rien, j'adore ça. C'est la faute à Druillet ou Andreas ! (rires)
J’essaie aussi de conserver une certaine homogénéité au niveau des couleurs par ailleurs, par rapport aux saisons. Le tome 1 se situe au printemps/été avec une forêt encore bien verte. Le 2e en automne avec beaucoup de couleurs crépusculaires, et le 3e se déroulera dans la neige.
Après ça, je scanne les planches et je travaille la mise en couleurs sous Photoshop. Beaucoup me disent aussi qu’ils préfèrent quand je fais du noir et blanc, mais dans L’Anneau des Nibelungen, c’est de la grosse épopée, alors côté couleurs, il faut que ça claque, comme du Wagner ! Pour les décors, comme le palais du Walhalla, je m’inspire beaucoup d’images que je trouve sur le net. Vive Google ! (rires)
Je n’ai pas eu à faire trop de gros bâtiment dans le tome 2, mais il y aura pas mal de décors dans le tome 3 et je n’en suis qu’au début.

Vous vous inspirez de l’opéra de Wagner. L’avez-vous écouté ? Travaillez-vous en musique ?

J’ai écouté la Tétralogie pendant que je terminais Ulysse. Ca mettait une sacrée ambiance ! C’était grandiose (rires). Et de façon générale, j’aime bien bosser avec un fond sonore. J’écoute un peu de tout. Et aussi du Wagner (rires).

Après le dernier tome de L'Anneau des Nibelungen, quels sont vos projets ?

Je crois avoir fait le tour des adaptations, alors, pour ce genre, je m’arrêterai après le tome 3 de L’Anneau des Nibelungen. Pour moi, les histoires sont d'abord portées par les personnages, donc si je change de registre je garderai cependant la même forme d'écriture, à savoir centrée sur les héros. J’aimerais revenir à une tradition de comédie humaine, mais sous un angle un peu différent.
A ce titre, je trouve que le manga et le comics sont mieux adaptés que la BD franco-belge pour développer des personnages, du fait de leur format feuilletonesque.
Donc pour l’instant, je préfère me concentrer sur la fin des Nibelungen, mais j'ai des idées de projets pour la suite, et je commence déjà des croquis et des recherches de personnages pour d’éventuelles futures séries.
Propos recueillis par M. Natali

Information sur l'album

L'anneau des Nibelungen (Ferran)
2. Siegfried l'invincible

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