À mi-chemin des récits maritimes chers à Stevenson et de la fantasy animiste de Miyazaki, Enrique Fernandez construit un face-à-face superbe et déconcertant entre un adulte revenu de tout et une fillette à la confiance intacte en la vie. Nanti d’un graphisme de toute beauté, L’île sans sourire est une fable sensible et enchanteresse qui se double d’une étonnante et magnifique réflexion sur le bonheur et l'art de le conserver au chaud de son coeur. Une oeuvre appelée à faire date.
Cette histoire ressemble avant tout à un conte illustré, est ce votre avis ?
E. Fernandez: Oui, c’était l’idée. Faire une espèce de fable en ayant à l’esprit les contes classiques, avec des personnages étranges et inquiétants, qu’ils existent simplement. Tu dois accepter l’existence de ce petit monde particulier sans chercher de justification à l’existence des êtres qui l’habitent ni à leur comportement. J’ai toujours aimé qu’on me raconte des histoires, les contes classiques, le folklore populaire et ses traditions orales, etc. Tout ça est plein d’un imaginaire visuel très vaste, très intéressant et très attirant. C’est plein de personnages extrêmes et la fois d’éléments fantastiques qui apparaissent de la façon la plus naturelle et la plus simple, comme s’ils avaient toujours été présents ici et que ce seraient nous ceux qui aurions cessé de les observer depuis longtemps.
Le graphisme est étonnant, vivant, avez vous pensé Dessin Animé en le dessinant?
Merci beaucoup ! J’ai travaillé quelques années dans le dessin animé, et j’ai toujours été influencé par les œuvres des grandes compagnies/studios comme Disney, Dreamworks et Ghibli entre autres. En regardant les films de ses producteurs, j’ai toujours trouvé voyants la quantité de travail de grande qualité qu’il y avait dans chaque photogramme, et le peu de temps que restaient à l’écran les nombreux efforts de ces grands artistes. Surtout au niveau des scènes. Grâce aux livres d’art (making-off) sur ces dessins animés, tu peux admirer tranquillement ces scènes, leur immense technique, tu peux te perdre dans leurs filigranes, leurs détails. Cela a été une des mes motivations pour travailler de la façon dont je le fais, inspirer par le travail de tous ces gens de l’animation que j’admire et qui ne cessent de me surprendre par leur habilité à trouver de nouveaux recours graphiques. C’est le milieu où je rencontre le plus d’expérimentations graphiques, le plus de recherches des formes, du mouvement, de l’expressivité.
Où puisez vous votre inspiration ?
J’aime regarder des documentaires sur la nature, spécialement les plus bizarres, ceux qui te montrent des êtres étranges qui paraissent venir d’une autre planète. Les livres de voyages, l’architecture, la photographie, le cinéma… Nous avons l’immense chance de nous trouver à un moment où l’information visuelle de tous les médias est accessible immédiatement via internet, et l’inspiration peut arriver à n’importe quel moment : en sautant d’un lien à l’autre de la page web d’un illustrateur, à celle d’un musicien, d’un photographe, etc. En général, l’idée pour un album vient en écoutant de la musique, en recevant une sensation, et en essayant de l’attraper à l’intérieur d’une histoire.
Etes-vous édité en Espagne ? L’accueil est-il différent en France et en Espagne ?
Oui, tous mes livres, sauf « La Mère des Victoires », sont actuellement édités ici, en Espagne. Bien que ce soit un petit marché en comparaison du marché franco-belge, l’œuvre est très bien reçue et intéresse beaucoup, chose que j’apprécie beaucoup.
Cette histoire est un voyage chimérique où les enfants comprennent ce qui est incompréhensible pour les adultes. Perd t’on cette faculté en grandissant ?
On perd la faculté d’accepter la « magie » de beaucoup de choses. Nous apprenons à tout rationnaliser, à tout justifier et à trouver mille et une explications pour tout, même si cela ne nous convainc pas la plupart du temps, et nous nous bloquons en pensant que quelque chose ne fonctionne pas dans nos raisonnements. Mais pas par notre faute ou par notre raisonnement intellectuel, on rejette plutôt la faute sur la propre cause externe que nous sommes en train d’analyser. En ce sens, les femmes semblent avoir plus d’intuition pour découvrir, certainement pas les mécanismes, mais bien les sensations qui expliquent notre réalité et, spécifiquement, notre comportement. C’est quelque chose qui me paraissait
intéressant de faire apparaître dans une Bd, mais pas de façon trop évidente.
Si vous deviez faire découvrir la bande dessinée à un ami, laquelle lui offririez-vous ? Pourquoi ?
Je l’inviterais à entrer dans ma maison et à choisir ce qui lui plairait le plus. D’expérience, même si tu connais bien ton ami, tu es surpris de voir ce qui l’attire. Même comme ça, je crois que tout le monde devrait avoir chez soir Blacksad, Hellboy, Skydoll et Drawers de Wendling. Ce sont les quatre auteurs, ou paires d’auteurs, qui m’ont motivé à décider sérieusement de me dédier à la BD et ceux que, par chance, je peux suivre en admirant qu’ils continuent toujours à progresser artistiquement.
J’aimerais bien citer les auteurs qui m’ont influencé pendant plusieurs années, et même si j’en oublie sans doute, en voici quelques uns : Corben, Toppi, E. Breccia, Nine, Bernet, Beroy, J. Giménez… Que ceux que je n’ai pas nommés me pardonnent, pour le moment, j’en reste ici.
Merci beaucoup pour l’interview et un grand bonjour/salut aux lecteurs de Bdgest.
Bande Annonce de l'île sans sourire: http://www.dailymotion.com/video/x91dbj_lile-sans-sourire_creation