l'histoire et se mettre en quête du seul manuscrit capable de les guider vers le
tombeau d'Alexandre.
Comment s’est passée votre rencontre ? Comment en vient-on à collaborer sur
un tel projet ?
Isabelle Dethan: Un simple mur nous séparait: on bosse dans le même
atelier! La rencontre fut donc relativement facile... Je cherchais un dessinateur
pour mettre en scène un scénario que je ne pouvais pas dessiner faute de temps,
Julien , lui, était en quête d'une histoire...J'aimais bien son style de dessin - j'ai
besoin de voir les personnages pour pouvoir leur imaginer une vie et leur donner
de la profondeur; si le style graphique ne me plait pas totalement, je ne fais rien
de bon! - Je suppose que de son côté, Julien a estimé que j'étais une scénariste
correcte, en tout cas confirmée!
Julien Maffre: J'avais déjà présenté des projets-refusés- aux éditeurs. Je
faisais alors mes propres scénaris, mais je dois admettre que je manquais (et
manque encore) d'expérience et de pratique pour assurer une bande dessinée en
solo. Je me retrouvais dans une impasse, et le désir de collaboration pointait son
nez. Par un heureux concours de circonstance (l'atelier du marquis, en
l'occurence), Isabelle m'a proposé une histoire, et là a commencé notre
collaboration. Je me suis aperçu que nous avions des styles de narration proches,
et comme en plus j'aime ses albums, c'était la meilleure chose qui puissem'arriver!
Pourquoi se pencher sur Alexandre le Grand et faire de la quête de son
tombeau un album historico-policier ? Qu’est ce qui vous a séduit ?
Isabelle Dethan: Julien souhaitait un arrière-plan XIXe siècle; et moi,
depuis le temps que je me documente sur l'Egypte pour les Terres d'Horus et
Khéti, j'avais accumulé une masse d'anecdotes passionnantes sur les débuts tragi-
comiques de l'archéologie dans l'Egypte du XIXe: des pilleurs de tombes, des
aventuriers de tout poil, des apprentis égyptologues patriotes prêts à tout pour
remplir les musées de leurs pays respectifs, il y avait de tout à l'époque, là-bas! Et
ça n'hésitait pas à casser des temples entiers à la dynamite pour ramener un joli
bas-relief en Europe! Sans compter les reglements de compte, etc: Mariette lui-
même, pourtant premier Directeur des Antiquités égyptiennes, n'a pas hésité à
s'emparer de trésors antiques, arme au poing, bon, pour la bonne cause: les 2 kg
de bijoux en or découverts dans la tombe d'une reine risquaient fort d'être fondus
pour rejoindre les caisses de Saïd Pacha...Bon, je m'égare (même si j'utilise ce
genre d'anecdotes dans l'album), revenons à nos moutons: pourquoi le tombeau
d'Alexandre? Je cherchais un trésor fabuleux, et qui en plus d'être réel, n'aurait
jamais été retrouvé: un ami égyptologue m'a alors signalé que celui qui
retrouverait la sépulture du conquérant grec trouverait dans le même temps celle
de Cléopâtre et de tous les Ptolémées!! Yes! ÇA, c'était du trésor, du rêve, du
mythe!!!çA, ça justifiait qu'une tripotée d'aventuriers s'unissent, s'entretuent, se
trahissent!!
Julien Maffre: Le XIX° siècle m'intéressait. Pour le "tombeau", j'ai été séduit
justement par le mélange des genres: un fond historique fort, un aspect
aventure/découverte à la Indiana Jones, et une construction très "polar". En tant
que dessinateur, c'est amusant de trouver le bon équilibre entre la documentation
liée à la période et la part de liberté que l'on peut s'octroyer (costumes,
architectures). Il y a aussi tout un jeu graphique à exploiter sur
l'opposition/mélange entre les cultures européennes et égyptiennes: on peut faire
une scène dans un batiment qui aurait sa place à Paris, mais qui se trouve à
Alexandrie!
Disciple de Champollion, Mariette a bouleversé, plus que tout autre le destin de
ce pays. Comment avez-vous procédé pour les recherches ?
Isabelle Dethan: Comme je l'ai dit plus haut, c'est essenciellement en
faisant des recherches pour mes autres series que j'ai trouvé de la matière pour
celle-ci...Et puis, je bénéficie toujours de l'aide d'un historien de l'Egypte ancienne,
Arnaud Duhard, de Tiyi Egyptologie, à Tours...
Julien Maffre: Isabelle avait déjà pas mal de documention liée à l'Egypte.
J'ai recoupé ça avec des recherches sur Internet. Pour le coté européen XIX°
siècle, j'ai puisé mon inspiration dans quelques films, en particulier "the age of
innocence" de Scorsese. Quant à la part de liberté citée plus haut, j'ai appris par
exemple, grace à Isabelle, que les colons européens vivant en Egypte s'étaient
créé leur "propre mode" en mélangeant les vêtements des deux cultures. C'est ce
genre de détails qui m'a permis d'aborder le "tombeau" d'une façon un peu plus
décomplexée que je ne l'aurais fait avec une histoire se passant en France par
exemple.
Un premier album chez Delcourt c’est angoissant ou stimulant ?
Les deux! On a à la fois l'envie de bien faire et la peur de se planter. C'est le
premier "bébé" en quelque sorte, et même si je ne suis pas entièrement satisfait
au niveau dessin de ce premier tome, j'estime (à tort ou à raison) avoir fait des
progrès. Aujourd'hui, je me focalise sur le second tome en tâchant de faire mieux.
Quelles sont vos influences ?
Isabelle Dethan: ...côté saga, c'est Bourgeon qui a berçé mon
adolescence; et puis Cosey, aussi. Je ne sais pas si on peut parler d'influences, en
tout cas, il y avait là de vraies histoires qui vous amenaient très loin! Pour le motif
« filles de petite vertu », j'ai sans doute subi l'influence de Maupassant, un auteur
XIXe que j'adore!...et puis de Zola aussi, mais sans le côté pessimiste!
Julien Maffre: Elles sont trop nombreuses pour être toutes citées. Dans le
désordre et en en oubliant, on va dire Giraud, Hermann, Wendling, Otomo, Forest,
Samura, Blain, Mignola, Paul Pope, Bonhomme, Loisel, De Crécy, ... et hors bd,
Schiele, Toulouse-Lautrec, les orientalistes... Ces influences ne sont pas toutes
directement "visibles" dans mon dessin, mais elles m'ont construit graphiquement.
En rapport direct avec le tombeau d'alexandre, il y a toutes ces grandes aventures
historiques: les rois maudits de Druon, les tours de bois maury de Hermann, Rome
en série télé, ... Ces histoires ont pour moi l'alchimie idéale: le désir de réalisme et
de précison historique, alliée à l'inspiration et l'intégration de faits réels et sans
pour autant oublier que le plus important, ce sont les personnages...
Si vous deviez faire découvrir la bande dessinée à un ami, laquelle lui offririez-
vous ? Pourquoi ?
Isabelle Dethan: Je l'ai fait, récemment !... Du Cosey, justement! Et puis,
sinon, Garulfo et De Cape et de Crocs, impressionnants de maîtrise scénarito-
graphique ; La Marie en Plastique de Rabaté, c'est drôle , ironique et tendre, et
puis tous les Alan Moore pour les scénarii, géniaux, Mignola, évidemment, pour
l'ambiance graphique, ...et plein d'autres! Et s'il lui reste du temps, à cet ami, qu'il
aille donc se regarder une ou deux bonnes séries télé americaines, un zeste de
Rome, un chouia de Dexter, une pincée de Galactica, ça lui fera le plus grand bien!
Julien Maffre: On va dire Little Nemo De McCay, parce c'est un objet
artistique qui dépasse le cadre de la bande dessinée, et qui compte parmi les plus
grandes oeuvres du XX° siècle. C'est un bon début.