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Le bloc - la cité en mode caméra à l'épaule

Entretien avec Alexis de Raphelis

Fabrice Mayaud News 11/11/2008 à 13:26 2615 visiteurs
Qu’est ce qui vous a incité à opter pour la bande dessinée pour traiter ce sujet ?

Alexis de Raphelis : Je pense qu’il s’agit avant tout d’une question de moyen. Je suis pas mal attiré par le cinéma à la base mais je pense que c’est un média qui nécessite beaucoup de temps pour arriver à ses fins. Le roman est pour sa part un domaine dans lequel je ne me sentais peut-être pas forcément à l’aise. La BD se trouve à mi-chemin entre les deux, même si je voyais plus ça comme un film, d’ailleurs la mise en scène est assez cinématographique, un peu « caméra à l’épaule ».

Sur votre blog, vous exposez vos travaux graphiques et donnez ainsi à voir la diversité de vos travaux.

AdR : En effet, je pense d’ailleurs orienter davantage mon travail à venir dans une direction plus « manuelle ».

Donc au contraire de votre album Le bloc où le dessin est particulièrement dépouillé et les couleurs très basiques.

AdR : Oui, c’est essentiellement pour des soucis de narration et afin d'apporter l’éclairage nécessaire au sujet. Il était primordial pour moi que les visages et les dialogues ressortent, d’où le choix du blanc pour les mettre en valeur. Ensuite, le choix de la bichromie vient pour poser l’ambiance générale, relativement lourde, voire étouffante, comme pour un huis-clos. Dans l’absolu, je ne souhaitais pas en rajouter en utilisant un trait lâché alors que le propos était déjà assez dur. C’est pourquoi j’ai opté pour la ligne claire. Ensuite, il y a certaines scènes pour lesquelles j’ai essayé une approche plus esthétique, en particulier au moment où ils sortent du quartier, dès lors, ça devient plus apaisé. L’étouffoir se relâche un temps, mais ils sont vite rattrapés.

Quel travail préparatoire avez-vous effectué sur vos personnages ?

AdR : En fait, il s’agit de toutes les images que j’ai accumulées pendant mon enfance : des gens, des visages, des caractères avec lesquels j’ai grandi dans mon quartier. Après, les noms diffèrent, mais c’est principalement basé sur la réinterprétation de mon vécu.

Et ensuite, comment votre album s’est-il concrétisé avec votre éditeur ?

AdR : C’est un projet assez bizarre, parce qu’à la base, je ne viens pas du tout de la bande dessinée, je fais de l’architecture. Initialement, j’avais écrit un scénario pour mon ami Bastien Vivés (1). L’idée de travailler sur la banlieue, même s’il n’en vient pas, le motivait pas mal. C’est une fois le scénario terminé qu’il m’a poussé à le dessiner moi-même. Mais me lancer dans la bande dessinée me paraissait assez compliqué !!! Du coup, les premiers éditeurs auxquels j’ai proposé ce projet ont été réticents, tant pour des raisons de forme, le noir et blanc, que pour le fond. A un moment donné, j’ai hésité à abandonner le projet, mas ça me tenait assez à cœur, et finalement, c’est Sarbacane qui m’a répondu favorablement. Par la suite, il y a eu un gros travail de réécriture. C’est un petit miracle qu’elle existe cette BD !!

Qu’avez-vous essayé de montrer dans les rapports entre les différentes générations ?

AdR : Il y a les petits, les « moyens » et les grands, même si ça reste très schématique de dire cela, avec un côté un peu « loi de la jungle » ! Et en même temps, c’est assez hiérarchique, il y a les grands frères, s’il y a un grand frère, c’est plus facile, ou pas, quand l’envie d’imiter se pointe… Tout ça, c’est assez bateau. Mais c’était plutôt l’idée de montrer qu’à un certain âge, on peut avoir le choix entre privilégier son destin personnel ou alors un destin de groupe. Dans le groupe, on s’y sent bien, en sécurité. Si l’on choisit de tracer vraiment sa route, on peut très vite se marginaliser… Dans le quartier, les sentiments s’expriment vraiment difficilement, qu’ils soient amicaux ou amoureux, ils amènent toujours des conflits, ce n’est jamais simple. Rien que le fait d’aimer une fille, …

Si quelqu’un est tenté de suivre sa propre voie, il est rejeté par le groupe ?

AdR : Disons que ça dépend de ce qu’il veut faire. En fait, le schéma est assez étrange. Je pense que pendant une certaine période, il y a un passage obligé par le groupe, histoire d’être accepté, et à un moment donné, quand les rapports sont devenus puissants, la compréhension peut être plus facile. C’est un peu comme ça que je l’ai vécu. Par contre, si l’on se marginalise vraiment dès le début, de notre fait ou non, parce que l’on a des parents qui ne veulent pas nous laisser traîner ou sortir, ça devient très compliqué de se faire sa place.

Paradoxalement, dans Le bloc, vous laissez votre lecteur à l’extérieur du bloc !

AdR : Ça, c’était voulu, au même titre que je n’ai pas montré d’adultes. Mes personnages sont un peu livrés à eux-mêmes. Dans ces quartiers, les appartements ne sont pas immenses, et souvent, sont très peuplés et ce n’est pas un cliché de dire cela. Les parents ne parlent pas toujours français, les gosses rentrent chez eux, il peut très bien il y avoir deux autres frères dans leur chambre et pas de bureau. Alors ils jettent leurs affaires de cours sous le lit et partent dehors direct. Et de toutes les manières, même pour moi qui a une éducation plus classique, dehors, c’est là qu’on a envie d’être !

Dans le même temps, la souffrance peut s’exprimer plus facilement à l’intérieur, dans la solitude. C’est ce qui est montré quand Amara se retranche chez lui.

AdR : Exactement. D’ailleurs, je suis en train d’écrire la suite, et cet aspect des choses, cette quête d’intimité, y sera plus développée. Là, je voulais poser une espèce de base. Dans ce premier tome, la psychologie des personnages n’est pas encore très fouillée. Or, tout est question de comment faire vivre ses sentiments. C’est un peu ce que j’essaye d’exprimer dans la scène où il essaye de téléphoner. Il se rend compte qu’il y a quelque chose qui se passe, et qu’il peut en profiter pour s’extraire du groupe pour joindre la nana qu’il kiffe. Bien sûr, cette dernière ne le comprend pas et n’a peut être pas les moyens de le comprendre, il appelle super tard et elle le jette, alors que lui, c’est le seul moment où il peut être tranquille. Ca ne marche pas !

Dans cet album sur des jeunes, il y a une absence quasi-totale de références musicales, est-ce voulu ?

AdR : Ça, c’est peut-être inconscient. J’en discutais récemment avec des amis et il y a aussi peut-être le fait que souvent, que ce soit dans la musique, ou plus largement dans le domaine culturel, l’on oppose la banlieue à quelque chose : les flics, l’Etat, la justice… Il y a toujours cette idée sous-jacente qu’il faut qu’ils soient en opposition, et ça, c’est vraiment un cliché. Alors que ce sont d’abord des gens qui vivent entre eux, ont leur propre quotidien. C’est en partie pour ça que j’ai voulu faire quelque chose « in vitro ». Du coup, alors que dans mon projet initial il y avait pas mal de séquences plus gratuites, j’ai élagué pour avoir un résultat plus brut de décoffrage. Mais je dois admettre qu’au début, j’avais l’intention de faire une sorte de B.O. avec sur une page, regroupés, les titres que j’avais écoutés lors de la création de l’album.

Cent pages pour un premier album, comment avez-vous géré cela ?

AdR : Ça m’a fait peur, d’autant qu’à la base, c’était cent soixante ! Puis après, j’ai pas mal raccourci. Au début, il y avait pas mal de scènes sur le foot, parce que c’est un sport qui a une certaine importance dans ces quartiers, ne serait-ce qu’au niveau des valeurs qu’il véhicule, de ce qui s’y passe, comment les gens se rencontrent. Et ça, j’ai voulu l’enlever pour avoir vraiment quelque chose de centré sur l’essentiel : l’atmosphère. Avec ce type de dessin, qui n’est pas celui avec lequel je m’exprime habituellement, ça m’a demandé de la rigueur, quand bien même il s’agit d’un univers que je connaissais bien. Rien que l’idée de refaire des têtes identiques sur plein de pages… j’ai eu l’impression que ces visages évoluaient pas mal au fur et à mesure du récit.

Donc, a priori, il y aura une suite ?

AdR : Oui, je suis actuellement dessus. Ce deuxième tome sera plus axé sur les personnages et leurs différentes psychologies, je vais les confronter à l’extérieur en les sortant de leur contexte habituel. Ce sera une sorte de road-trip où le caractère oppressant lié au quartier n’aura plus lieu d’être. Comme j’ai pas mal d’insatisfaction sur le premier, j’aimerais bien changer de style graphique à cette occasion…

Vous allez donc les sortir du bloc ?

AdR : Sans que ce soit autobiographique, mais je sais que ça m’a apporté beaucoup de partir. J’ai mis deux ans avant de revenir chez moi. J’avais vraiment besoin de prendre un recul maximum sur toute mon enfance, toute cette violence, et tout ce que ça englobait. Maintenant, et même si c’est toujours subjectif, j’ai un autre regard…

Cette interview est réalisée dans le cadre du festival de Saint Malo, comment percevez-vous cet événement ?

AdR : J’ai le sentiment que c’est assez familial, dans tous les domaines, mais je n’ai pas beaucoup de recul par rapport à ce type de manifestation !


1/ Elle(s), Hollywood Jan et Le goût du chlore
Fabrice Mayaud