Dessinée avec un trait qui évoque immanquablement celui de Sempé et rehaussée d’aquarelles tendres et joyeuses, cette série est irrésistible ! Les psychologues avaient le test de Rorschach, désormais les médecins auront le test de Pico : les lecteurs qui rient moins de dix fois à la lecture de cet album souffrent, de toute évidence, d'une affection des zygomatiques !
Un point tout de même à améliorer : pour le moment, Pico et sa soeur ont des personnalités très proches, au point d'être relativement interchangeables. La série gagnerait à leur donner une caractérisation plus marquée.
En plaçant l'enfant au cœur de l’album, vous minez la bonne conscience de la société des adultes et partez à la recherche de leurs origines. Comment revendiquez-vous cette inversion de rôle entre enfants et adultes ?
Dominique Roques : Il n’y a pas inversion des rôles. Pico et Ana Ana sont vraiment des enfants. Mais ils ont déjà une petite expérience de la vie et ils s’en servent à fond. Ils savent des choses et les utilisent avec logique.
Les adultes leur ont appris ces choses et cette logique mais semblent l’avoir oublié : les adultes oublient souvent l’enfant qui est en eux et autour duquel ils se sont construits.
Je voudrais que ce soit cet enfant-là qui mine la bonne conscience de l’adulte : l’enfant qu’il étouffe en lui et qui s’appelle Pico ou Ana Ana ou autrement.
L'enfance serait-elle un moment privilégié pour se frayer un nouvel horizon ? Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Dominique Roques : L’enfance c’est le présent, le plaisir et l’ennui à l’état pur. En même temps, l’enfant grandit en réfléchissant et en s’opposant aux adultes par des questions. Il veut savoir et non pas être formaté. Savoir est un mot de la même famille que saveur. La saveur de la vie, c’est peut-être la source d’inspiration.
Le dessin, mi-pastel mi-Sempé, est un véritable écrin aux histoires, avez-vous trouvé le trait « juste » immédiatement ?
Alexis Dormal : J’ai beaucoup travaillé avant de trouver le dessin de Pico. J’ai cherché un trait qui réponde à l’humanité des textes de ma mère.
Pour le rendu graphique, j’ai choisi le crayon et l’aquarelle. J’aime la spontanéité du crayonné et de la couleur directe. Avec ce rendu, j’ai l’impression d’être aux côtés de Pico, de croquer sa vie au vol, sur un carnet de voyage… Même si ces dessins sont plus longs à réaliser qu’on ne pourrait le penser.
A qui s’adressent ces histoires ?
Dominique Roques : Ces histoires s’adressent à tous ceux qui veulent bien rire de la vie que nous menons. Et à tous les âges… et j’espère que les petits à qui il manque encore certains mots et certaines notions harcèleront les adultes pour qu’on leur explique.
Comment est-ce de travailler avec sa mère/son fils ?
Dominique Roques : Travailler avec son fils, c’est pouvoir s’engueuler jusqu’au drame, claquer la porte et puis oublier aussitôt. « On s’est engueulé ? Quand ? ».
Alexis Dormal : Etymologiquement, « travailler » veut dire « souffrir ». Comment pourrais-je souffrir aux côtés d’une personne que j’aime énormément ? Je ne « travaille » donc pas.
Quelle part de liberté vous accordez-vous dans le travail ?
Dominique Roques : Dans mon écriture, ma liberté c’est ma sincérité. Et cette sincérité passe par mon admiration pour des auteurs et pour d’autres personnes qui disent quand le roi est nu.
Qui a trouvé le nom des enfants ? D’où viennent-ils ?
Dominique Roques : J’aime le mot « bogue » parce qu’il est court et rond, parce qu’il évoque la bogue de châtaigne, et parce qu’il évoque aussi le bug de l’ordinateur et donc le pétage de plombs. « Pico », c’est pour le picot de la bogue de châtaigne. « Pico Bogue » a une sonorité qui rebondit comme une balle. Ana Ana… c’est un fruit. Devinez lequel.
A-t-il été facile de convaincre une maison d’édition ?
Dominique Roques : On envoie aux éditeurs et ils disent oui ou non. (« non » se traduit par : « n’est pas dans notre ligne éditoriale »). Merci à ceux qui ont dit oui !
Si vous deviez faire découvrir la bande dessinée à un ami, laquelle lui offririez-vous ?
Dominique Roques : Je montrerais à l’ami tout ce que j’aime. Sempé (ce qu’il a fait seul), Quino, Franquin (Les Idées Noires, notamment), F'murrr, Bretécher, Watterson, Goscinny et Uderzo (tous les Astérix), Raymond Briggs. Et puis récemment il y a Ferri et Larcenet. A l’ami de choisir.
Quant à moi j’aimerais qu’on m’offre toute une librairie, pour y faire des tas de découvertes.
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Propos recueillis en mai 2008