Winshluss se serait-il assagi ? Maniant l'humour noir à la perfection, l'auteur de Pinocchio produit en général des œuvres qui ne sont pas à mettre entre toutes les mains. Pourtant, Dans la forêt sombre et mystérieuse est non seulement un album tout public mais il a reçu de surcroit la Pépite d'or 2016 du Salin du livre de jeunesse de Montreuil. Un changement radical de direction ou une pause avant de revenir vers des routes plus sombres et escarpées ?
Angelo demande à l’un des personnages d’arrêter de fumer. Était-ce à vous qu’il s’adressait ? (sourire)
Winshluss : Non, personne ne me dit ce que je dois faire, même pas mon fils.
Écrire une bande dessinée pour adultes et pour la jeunesse, est-ce vraiment différent ?
W. : Il suffit de bannir les images violentes et d’insérer un message positif. Ce n’est pas si compliqué finalement.
C’est tellement peu compliqué que pour une première BD jeunesse, l’album a été récompensé à Montreuil et sélectionné à Angoulême…
W. : C’est clairement une surprise pour moi. Recevoir un prix par un jury composé de lecteurs que je visais à l’origine, ça m’a vraiment fait plaisir.
Est-ce la paternité qui vous a orienté vers un récit jeunesse et fait changer votre façon d’aborder les histoires ?
W. : Je n’aurais jamais fait ce bouquin si je n’avais pas eu de gamin. J’en ai deux en fait. J’ai voulu cristalliser ça, la renaissance de l’innocence incarnée par un gosse : les questionnements, la naïveté. J’ai plutôt tendance à m’emparer de ce genre de choses, plutôt que de vouloir le détruire. Ce n’est pas non plus quelque chose de démagogique dans lequel je me suis enfermé, je n’ai pas écrit ce bouquin pour mes enfants. C’est juste le produit de ce que je ressens, ce n’est pas pour me faire pardonner quoique ce soit. Même si je suis un papa génial et exécrable à la fois, je n’ai rien à me reprocher.
Les références sont donc autant personnelles que venant de contes célèbres comme ceux de Grimm ou de Perrault ?
W : J’ai été élevé aux contes, ceux qui se trouvaient sur des disques écoutés dans de vieux mange-disques. Il y avait Blanche-Neige, Barbe Bleue, Le Petit Poucet… Tout ça me fascinait. Au même titre que Pinocchio qui est le seul que je suis allé voir au cinéma puisque dans ma famille, on n’y allait pas. J’aime bien partir de quelque chose de facile, comme un conte. J’ai plutôt tendance à tout intellectualiser, et derrière mes strates de conneries, j’essaie de faire passer un message. J’ai construit le bouquin comme ça, sous forme de feuilleton avec des personnages qui incarnent des situations, comme des sortes de paraboles. L’écureuil, c’est un message de tolérance, à ma manière. Ce n’est pas parce que j’accepte l’idée qu’un écureuil décide de devenir un oiseau que ça marche forcément. Le message est donc qu’il faut essayer, même si ça ne fonctionne pas. Dans notre époque, quand on fait quelque chose, il faut que ça marche absolument. C’est une vision plutôt de droite : rien n’est fait pour rien.
Tenter des choses sans masque plutôt que de le faire travesti…
W. : Oui… Sans être le porte étendard de la cause homosexuelle, il y a aussi l’allégorie d’un mec qui n’est pas un mec et qui aimerait être autre chose. Je viens de province et quelqu’un qui était homosexuel là-bas vivait un enfer. Cela pouvait être le cas aussi pour quelqu’un qui avait les cheveux longs, qui écoutait du black métal ou avait un piercing. Notre société est incapable d’accepter les différences, même avec toutes les mascarades sur le respect et la tolérance qui ont eu lieu. Les gens projettent toujours ce qu’ils sont par rapport aux autres. Ce serait tellement plus simple de n’en avoir rien à faire et de laisser tout le monde faire ce qui lui plait.
Le décès d’un proche, comme celui possible de la grand-mère d’Angelo, est-ce l’une des premières épreuves qu’un gamin doit affronter ?
W. : Dans toutes mes bandes dessinées, j’aborde toujours quelque chose de personnel. Le premier traumatisme que j’ai subi a été le décès de ma grand-mère. C’est vrai que les grands-parents tombent généralement les premiers. La grand-mère de toujours a disparu et c’est quelque chose de très étrange pour les gamins. On comprend qu’on ne peut pas revenir en arrière, on comprend aussi qu’on nous a menti. C’est à ce moment-là qu’on a soupçonné qu’il y avait quelque chose de bizarre dans l’existence. Il y a ensuite la période pré-pubère et adolescente où se joue le drame de l’amour, où tout ce qu’on avait envisagé se casse la gueule. On se rend compte qu’on a été nourri de mensonges depuis l’enfance. C’est aussi l’un des sujets du livre : l’éducation et ce que l’on transmet aux enfants.
Mais finalement, la grand-mère revient à la vie dans le livre. Avez-vous hésité sur cette conclusion ?
W. : J’ai décidé de tordre le coup au destin et de devenir pour l’occasion Dieu en faisant revenir cette grand mère que j’adorais. Être artiste, c’est ça aussi, pas seulement de jouer au psychanalyste.
Au-delà du fait d’évoquer la peur de l’abandon, l’oubli d’Angelo sur une aire d’autoroute lui permet aussi de partir seul à l’aventure…
W. : Un récit initiatique démarre toujours par quelqu’un qui est perdu. Pour moi, l’abandon est la perte des repères, c’est donc le début de la culture et de la compréhension des autres. Sortir du cocon, c’est être obligé de s’intéresser à un environnement qui n’est pas le nôtre. C’est comme ça qu’on progresse. Après toutes ses péripéties, Angelo ne sera plus jamais le même. Quand on observe la société aujourd’hui, les gens refusent d’avoir peur, dans le sens noble du terme. On a beau nous proposer un concept de civilisation, l’homme reste un animal. La réflexion comme la civilisation, ce sont des efforts, quelque chose de violent. Si on est fainéant et qu’on se laisse aller, on devient un animal. On est en train aujourd’hui de devenir des animaux.
On évoquait les contes traditionnels, il y aussi un peu de Miyazaki dans le récit…
W. : Oui, on me l’a effectivement déjà fait remarquer. Pour être honnête, maintenant je dis oui. (sourire) J’ai habité au Japon et je ne pensais pas que ça avait pu m’influencer. Mon process naturaliste ou écologique est vraiment une démarche profonde. Que deviendrait-on au bout de trois jours sans chaussure ni électricité ? Là encore, on redeviendrait des animaux. Je n’ai pourtant jamais été un hippie mais j’y viens de manière naturelle, simplement parce que je ne suis pas satisfait des réponses nihilistes ou déprimantes que j’ai. Il est bien malin de constater que le monde tourne mal, tout ça à cause d’un système économique foireux qui crée de la misère et de la violence. Fort de ce constat, comment j’avance ?
Angelo quitte aussi une certaine forme de civilisation pour se retrouver dans la nature…
W. : On adore les enfants pour ces raisons-là. Rien n’est impossible pour eux alors que nous, adultes, on se met souvent des barrières. On s’est encombré de pressions culturelles, de choses matérialistes… On avance dans la vie tout en étant de plus en plus chargé. Pour un enfant, rien n’est inscrit dans le marbre et il peut aller là où il le souhaite, sans contrainte.
L’utilisation de la couleur directe adoucit-elle le trait pour le rendre plus enfantin ?
W. : Non. La couleur directe m’a surtout servi à aller plus vite. Il m’arrive aussi parfois d’être très bordélique avec mes couleurs en utilisant le feutre. La nature, c’est quand même aussi un grand bordel, un chaos. C’est pour ça que la religion déteste autant la nature.
Le récit était-il chapitré dès le départ ?
W. : J’avais au début l’idée de quelques chapitres. Puis j’en ai rajouté pour équilibrer l’histoire. Je voulais un récit feuilletonesque un peu "old school" à la Pinocchio. Je n’avance jamais totalement dans l’inconnu. Mais à la fin, j’ai effectivement rajouté l’épisode du singe.
Finalement, qu’à pensé votre fils de ce livre ?
W. : Il pense que c’est normal que son père fasse des bandes dessinées, c’est ça qui est hallucinant. Il ne frime pas mais ça lui fait aussi plaisir. De toutes façons, ce n’est pas du tout un livre pour lui dire que je l’aime. Cela va bien au-delà de ces considérations.
Dans cet album comme dans Pinocchio, vous évoquez des voyages en voiture plutôt pénibles. Souvenirs d’enfance ? (sourire)
W. : Oui ! On voyageait en 4L et les voyages duraient deux jours. On partait au Pays Basque et je savais très bien que pendant le trajet j’allais vomir. Mon père conduisait doucement et c’était une sorte de torture comme s’il attendait le moment où j’allais gerber.