Thomas pour Fnac.com a écrit:Surprise de cette fin d’année, l’Apocalypse a eu la bonne idée d’éditer la version française du Livre de Léviathan, de l'américain Peter Blegvad, avec pour traducteur Christophe Claro - l’homme qui traduit les auteurs réputés difficiles comme T. Pynchon, W.T. Vollmann et M.Z. Danielewski, entre autres - avec un soin tout particulier dans la fabrication de l’objet.
Digne héritier du Little Nemo de Winsor McCay et du Krazy Kat de George Herriman - ou encore du Calvin et Hobbes de Bill Watterson- Léviathan s’impose dès les premiers strips comme une bande dessinée inclassable et virtuose. Musicien reconnu, Peter Blegvad arrive au Neuvième Art grâce à un heureux concours de circonstances : souhaitant expliciter quelques chansons de son disque Kew Rhone il met en image les paroles et les diagrammes présents dans le livret de l’album « de manière à les rendre encore plus compliqué pour le lecteur… » . Voilà pour les premières planches, mais ayant besoin d’argent, il récidive rapidement en créant quelques strips de ce qui deviendra le Livre de Léviathan pour le journal The Independent sous la forme de comics hebdomadaires de 1992 à 1999.
Président de l’Institut Londonien de Pataphysique, Peter Blegvad associe images et mots dans un bestiaire singulier et très personnel, navigant entre ses obsessions pour le lait et d'autres objets insolites - faites un tour sur son site pour vous en faire une idée. Poésie vivante entre les lignes, collages volubiles et cartoons façon Peanuts et Calvin et Hobbes, les personnages du Livre de Léviathan oscillent entre humour et réflexions philosophiques. Allusion au Léviathan de Hobbes -tout comme chez Bill Watterson - ce choix souligne l’intention première du cartoonist de jouer avec le regard de l’enfant autour des structures de la communauté et du contrat social. Ce sont les considérations d’un gros nourrisson sur une société postmoderne, les pensées rationnelles du chat de Lévi sur les vies humaines ou un certain regard sur le réel et l’illusion. Peter Blegvad utilise la puissance et la justification de l’imaginaire du jeune garçon avec une réflexion mature et distancié qui donne cet écart comique propre à ce type de strips, toujours sur le fil entre humour, ironie et réflexion.
Héritage des comics strips des grands quotidiens, ce Léviathan – l’enfant roi et centre du monde - entreprend un dialogue à sens unique avec le monde des adultes : c'est ainsi le Mythe de la Caverne de Platon que l’on rejoue à travers le prisme de l’enfance…
Quant aux parents sans visages, ces derniers ne sont que les faire-valoir du héros et prennent finalement moins de place que le chat – compagnon de route, sorte de guide - et le doudou du jeune maître. La place est libre pour notre jeune Léviathan. Comme ses confrères, Peter Blegvad joue sur cette incompréhension du langage pour les parents de Lévi et celle du discours à vocation philosophique pour ses lecteurs. Cette dualité, véritable ressort de la plupart des gags, permet ce glissement vers le rêve et l’onirisme de ces planches.
L'album offre un monde à échelle non-humaine, où l’enfant peut décortiquer et mettre en évidence les défauts et les failles de ce qui nous paraît être un univers normal. Un ouvrage baroque et protéïforme proposant un regard romantique et acéré sur la modernité doublé d’un humour extravagant et poétique, dans un jeu permanent entre le non-dit et la farce.
Du coup on remercie la maison d'éditions de Jean-Christophe Menu qui nous offre ici une publication à la hauteur du travail graphique de Peter Blegvad, et l’on ne se quitte pas sans allez voir quelques planches sur le site dédié.
Publié le 19/11/2013