INTERVIEW DE BRIGITTE FLEURAT D'où vient le projet ? Que vouliez-vous apporter aux enfants par cette démarche ? Nous sommes deux collègues qui partageons (entre autres) un intérêt marqué pour la bande dessinée. Nous avions travaillé les deux années précédentes avec des dessinateurs de BD dans le cadre de partenariats proposés par le festival BDMania, et nous avions envie de travailler ensemble et avec les enfants sur un projet un peu plus approfondi.
Nous savions que cette année scolaire, nous n’aurions pas des classes très chargées mais que beaucoup de nos élèves avaient des difficultés dans le domaine du langage, oral ou écrit. Parallèlement, nous avions constaté les difficultés croissantes des enfants à avoir des relations apaisées les uns avec les autres. Il nous a semblé que le projet de vivre l’élaboration d’un vrai livre, de l’idée à l’objet pouvait être de nature à stimuler leurs efforts dans l’apprentissage de la langue, et que les mettre en situation de collaborer pour créer, leur apporterait le côté enrichissant, la part de plaisir du « vivre ensemble ».
Comment avez-vous choisi le thème ? Au départ, l’idée était de situer les histoires dans le milieu scolaire pour faciliter les recherches graphiques de décors mais les enfants n’étaient pas inspirés du tout, et ils en sont venus à parler de leurs peurs ; l’idée de récits de cauchemars s’est alors installée. Quant à la construction de l’album, j’avais été impressionnée par la composition scénaristique de Fabien Vehlman dans l’album Coïncidence, qui laissait s’exprimer des auteurs différents et se terminait par une dernière planche donnant une unité de sens à la compilation, et j’en avais parlé avec Caroline Daunas ma collègue : c’est elle qui a eu l’idée d’une sorte de « Freddy » comme personnage récurrent, et la dernière scène a été imaginée avec la complicité de son époux.
Comment avez-vous entraîné Supiot dans l'aventure et que vous a-t-il apporté ? Nous avions fait la connaissance d’Olivier Supiot à l’occasion du festival BDMania d’Arnage. En décembre 2006, il était intervenu dans ma classe et j’avais apprécié ses qualités pédagogiques, son enthousiasme et sa très grande gentillesse, que ce soit avec les enfants ou avec les adultes. L’univers de la série Marie Frisson étant un univers de cauchemar, nous avions pensé qu’il ne serait pas dépaysé par une intervention dans le cadre de notre projet.
Je suis allée le voir au festival de Laval en mars 2007, je lui ai expliqué les grandes lignes du projet et lui ai demandé s’il accepterait d’une part le défi d’adapter un récit de cauchemar imaginé par les enfants, d’autre part de venir expliquer sa démarche aux élèves dans les classes.
Il a tout de suite été enthousiasmé par la proposition.
Nous lui avons transmis le récit avant les congés de Toussaint, il est venu le 13 novembre 2007 et à présenté dans chacune des deux classes sa manière de procéder : Nous avions recopié le texte en grand format, il y soulignait les informations et les mettait en parallèle avec les documents qu’il avait rapportés : recherches sur les personnages, recherches sur les différents lieux, recherche des temps forts de l’histoire, essais de découpage et story-boards…
En décembre, le week-end du festival 2007, il a rapporté les deux planches terminées. Olivier était un peu anxieux de savoir ce que les enfants en penseraient. Ils ont été impressionnés et ravis. Les planches ont été étudiées minutieusement dans les deux classes et sont longtemps restées exposées. Certains y découvraient parfois un nouveau détail qu’ils n’avaient pas encore remarqué.
Les enfants se sont beaucoup inspirés de sa démarche pour créer leurs planches : éléments de l’univers réel de la chambre en écho avec des éléments de l’univers du cauchemar, gros plan sur le visage au moment du passage entre réalité et rêve etc…
Concrètement, comment avez-vous procédé ? Nous avons élaboré un calendrier prévisionnel pour que les enfants puissent tenir leur album dans les mains avant la fin de l’année scolaire.
Sept./oct 2007 : constitution des groupes, acculturation BD, oralisation et cohérence des récits, création du portrait du personnage récurrent, rédaction par les élèves de CE2 du récit d’un cauchemar pour Olivier Supiot
Nov./déc. 2007 : adaptation par Olivier Supiot et intervention dans les classes, étude de ses planches dans les classes, rédaction des 13 récits, entraînement au dessin
Janv./fév. : recherches graphiques (personnages, lieux…), essais de narration séquentielle, découpage et story-boards, entraînement à l’encrage et à la mise en couleur.
Mars/avril/mai : réalisation par groupes
La difficulté était de réaliser chronologiquement les planches, tout en faisant travailler tous les enfants en même temps. Nous avons procédé par strip pour format A3, avec au moins un dessinateur, un encreur, un coloriste par groupe, chaque strip étant numéroté sur le story-board : quand le dessinateur avait terminé un strip au crayon, il faisait valider par l’adulte qui préparait un calque, et passait au strip suivant. L’encreur travaillait sur le calque, puis faisait valider par l’adulte. On photocopiait alors sur papier à dessin, et on passait au coloriste. Les 3 enfants travaillaient le plus possible côte à côte pour se concerter en cas de doute. L’idée de compréhension a été omniprésente : « Dessine pour faire comprendre ton histoire, comprends le dessin et encre ou choisis les couleurs pour mieux faire comprendre au lecteur ». Ce n’est pas toujours réussi : par exemple, l’affection obstinée d’une enfant pour les roses et les rouges nous a obligés a rechercher des stratagèmes pour rendre le dessin lisible : esthétiquement, c’est… particulier !
Les bandes ont été découpées et recollées sur feuilles A3 par les enseignantes, et il a fallu redonner un peu de fraîcheur à l’encrage pâli par la mise en couleurs.
Nous n’avons pas eu le temps de faire un travail approfondi sur les dialogues et les lettrages, que j’ai négociés avec le graphiste Christian Cagnoli. Il est lui-même plutôt connaisseur en matière de BD et c’est lui qui a proposé la composition des 2ème et 3ème pages de couvertures.
Mai/juin : Etude du « chemin de fer » prévu avec le graphiste qui a accepté de venir à l’école pour faire une démonstration de son art en vidéo-projection le 15 mai. C’est lui qui a négocié le devis avec l’imprimeur avec lequel il travaille. J’ai demandé à l’imprimeur s’il accepterait de recevoir les deux classes et il nous a proposé un programme de visite de l’imprimerie, le 12 juin, où les enfants assisteraient à la sortie de presse de la couverture de leur livre. Ce sera, je pense, un moment inoubliable. Mon seul regret est que les enfants de familles de Gens du Voyage ne seront plus là : ils reprennent la route courant mai en général. La plupart d’entre eux sont semi-sédentarisés et reviendront à la rentrée 2008, nous leur garderons leur exemplaire de l’album, mais certains n’attendront pas la rentrée et m’ont demandé de téléphoner quand leur BD sera sortie.
Les albums devraient être livrés entre le 20 et 25 juin.
Samuel Chauveau, le libraire BD du Mans, n’est pas seulement un partenaire financier, il m’a mis en contact avec une équipe graphiste-imprimeur qui s’est attachée à valoriser notre réalisation. De plus, il nous a proposé d’organiser une séance de dédicace à la librairie.
La boucle est bouclée : Les enfants auront vécu la genèse d’un livre, de l’idée à l’objet diffusé… Ils auront au moins une petite idée du travail que représente la création de livres. Ceux-là manipuleront l’objet avec peut-être un peu plus de respect que d’autres…
Comment avez-vous financé le projet ? Comment pensez-vous atteindre l'équilibre ? Le premier partenaire financier, c’est la municipalité qui coordonne et finance depuis 7 ans le festival BDMania à Arnage. La plus grande partie du budget du festival est consacrée au partenariat avec le milieu scolaire, de la maternelle au lycée professionnel, et la municipalité tenait à valoriser un travail de fond issu de ce partenariat.
Elle a voté une subvention et la prise en charge de la prestation de l’animateur dessinateur Troud.
Nous avons une subvention de l’Office Central de la Coopération à l’Ecole pour l’aspect coopératif du projet.
Nous avons le soutien financier de la librairie Bulle.
Nous attendons encore des réponses de l’Etat et du Conseil Général de demandes de subventions dans le cadre du CUCS (projet culturel nécessitant la coopération entre les publics Gens du Voyage et Sédentaires)
Le Crédit Mutuel d’Arnage nous aide aussi.
Nous avons vendu avec bénéfice des petits porte-clés.
Nous espérons atteindre l’équilibre à l’aide des souscriptions, puis de la vente des albums.
La grosse déception, c’est l’absence de participation des partenaires institutionnels : l’éducation nationale avec la DRAC, et l’association de parents d’élèves, les deux disposant d’enveloppes financières limitées, ont déterminé des critères d’attribution de subventions sur les même bases : projets culturels avec hébergement ou participation de professionnels. Nous n’entrions pas dans ce cadre.
A qui est destiné l'album ? D’abord, il est destiné aux enfants-auteurs eux-même : il est une trace tangible et durable de l’acquisition de connaissances et de compétences générées par sa réalisation. Ensuite, aux familles qui s’attachent à ce que font leur enfant. Il peut peut-être intéresser les professionnels de l’enseignement et de la bande dessinée. Et enfin, je crois que l’album peut être lu avec plaisir par d’autres enfants qui y trouveront une complicité avec les auteurs… et avec tendresse par tous les parents d’enfants de l’âge de CE.
Les enfants se sont-ils investis dans le projet ? Ont-ils tous pris conscience que l'objet final serait une vraie BD ? C’est assez inégal selon les enfants, mais d’une façon générale, oui, ils se sont investis profondément dans le projet, autant dans l’expression des peurs enfantines que dans la réalisation elle-même. Certains ont eu besoin d’encouragements rapprochés pour finaliser en gardant la même qualité de travail, c’était parfois assez dur car nous les avons poussés à donner le meilleur de ce qu’ils pouvaient faire à leur niveau. Les plus lents n’ont pris conscience que le livre existerait vraiment que lorsque j’ai rapporté de chez le graphiste une page avec une des planches scannée et imprimée avec le titre, les bulles et le numéro de page.
Faire une BD, ce n'est pas toujours une partie de plaisir, c'est aussi du travail. Quelles sont les étapes que les enfants ont préférées et celles qu'ils ont moins goûtées ?
Pour répondre a cette question nous avons réalisé un questionnaire auquel les enfants ont répondu.
Résultats questionnaire sur la réalisation de l’album de BD 19 élèves de CE1 / 19 élèves de CE2 Questions CE1 CE2 total % 1- Quel moment as-tu préféré ? Ateliers de lecture de bandes dessinées
5
4
9
23,7%
Ecriture du récit du cauchemar
3
3
7,9%
Découpage et story-board avec Troud
4
4
10,5%
Dessin, encrage, mise en couleurs
11
11
22
57,9%
2- Quel moment as-tu le moins aimé ? Ateliers de lecture de bandes dessinées
8
8
21,1%
Ecriture du récit du cauchemar
4
9
13
34,2%
Découpage et story-board avec Troud
9
1
10
26,3%
Dessin, encrage, mise en couleurs
6
1
7
18,4%
3- Qu’est-ce qui t’a semblé le plus difficile ? (2 réponses maximum autorisées) Trouver l’idée du cauchemar
10
5
15
23,8%
Ecrire le récit du cauchemar
5
5
10
15,9%
Découper le récit en cases
4
10
14
22,2%
Dessiner
4
4
6,3%
Encrer
Coloriser
3
1
4
6,3%
Travailler en groupe
8
8
16
25,4%