Il arrive de temps à autres que de jeunes auteurs présentent un premier album dont la maîtrise n’a rien à envier à leurs aînés, même les plus chevronnés. Ce fut le cas pour « HEL » l’année dernière mais aussi de « Le Grand Siècle », récit d’aventure historique haletant dans la tradition d’Alexandre Dumas. A l’occasion de la sortie du second tome, BDGest braque ses projecteurs sur Simon Andriveau qui nous livre un album surprenant, quittant la terre ferme pour une aventure maritime.
INTERVIEW SIMON ANDRIVEAU
Quel est votre parcours ?
Simon Andriveau : Après un bac ES, j’ai fait l’école Emile-Cohl à Lyon puis j’ai suivi la formation dessinateur d’animation à l’école Gobelins, à Paris. En sortant de là, je suis rentré à BUF Compagnie, une entreprise d’effets spéciaux numériques afin de devenir animateur 3D. J’ai bossé sur pas mal de projets intéressants et moi qui étais assez bordélique et crado, j’y ai appris une certaine rigueur, un sens de la finition aussi. Après deux ans passés devant un écran j’ai eu envie de redessiner un peu et surtout de raconter mes propres histoires. Je me serais volontiers frotté à un film d’animation mais, pour commencer, faire une BD me paraissait le moyen le plus raisonnable de combiner dessin et travail d’auteur. Alors voila, j’ai pris un congé de deux mois (facile quand on est intermittent) pour monter mon petit dossier et j’ai été voir les éditeurs. Je n’avais pas trop de pression parce que en cas d’échec je retournais bosser dans ma boîte.
- Comment choisi-t-on de s’attaquer au 17ème siècle et à « l’historique » ?
C’est assez motivant de dessiner des choses que l’on n'a pas l’habitude de faire, des chevaux, des carrosses, des bateaux... Après, le fait que ça se passe dans la deuxième partie du 17ème siècle, c’est un ensemble de circonstances qui font que cette époque correspond mieux qu’une autre à l’intrigue que l’on met en place. Si j’ai un réel désir de verser dans l’historique, l’époque, quelle qu’elle soit, me sert de toile de fond, l’aventure étant avant tout humaine.
Je ne suis pas un grand amateur de BD et mes connaissances sont assez limitées, mais j’avais l’impression que de traiter une saga historique avec ce genre de graphisme et de dialogue c’était un peu nouveau. Depuis j’ai découvert Le Scorpion et Isaac le pirate et j’ai peut-être tort mais je vois une similitude dans la démarche. En fait, je trouvais assez marrant de se démarquer des très grands auteurs comme Martin, Juillard ou Pellerin qui ont instauré des codes très marquants dans la BD historique. Très franchement, ce n’est pas toujours facile, car on a vite tendance à se faire happer par le détail.
- A-t-il était facile d’imposer ce projet auprès d’une maison d’édition ?
Disons que cela n’a pas été un chemin de croix, même si le terme «imposer» me semble un peu fort. J’ai été voir Jean-David Morvan que j’avais connu plus jeune, il m’a mis en relation avec quatre maisons : Soleil, Delcourt, Dargaud et Dupuis. Soleil a été assez vite emballé tandis que chez Delcourt, ils étaient un peu plus mitigés, ils m’ont demandé de refaire des essais de dessin. J’ai tenu bon, parce que j’étais assez motivé à l’idée de travailler avec Thierry Joor, directeur éditorial. Quant à Dargaud, ils ont refusé. Dupuis a rappelé mais le contrat était déjà signé chez Delcourt.
- Etre seul aux commandes d’un album, est-ce grisant, angoissant ou les deux ?
Je me souviens d’une nuit d’insomnie, quelques semaines après la signature du contrat ou je me demandais vraiment ce que je foutais. Je quittais un job intéressant qui payait bien, avec plein d’opportunités et tout... Là, j’avoue que ça a été l’angoisse. L’autre angoisse c’est aussi de se rendre compte qu’être auteur de BD, comme dirait Renaud, ça coûte rien mais ça rapporte que dalle.
Quant à être grisant, non. Le mot est n’est pas approprié. Peut-être que si j’étais auteur à succès cela le serait davantage. Je ne peux pas dire, mais j’ai du mal à faire le lien entre le fait d’être auteur de BD et être grisé.
- Pourquoi avoir choisi de quitter la terre ferme pour des aventures maritimes dans ce deuxième tome ? S’oriente-t-on vers une série maritime ?
Quitte à se servir du 17ème siècle en toile de fond, autant utiliser toutes les opportunités illustratives et scénaristiques qu’il propose. La marine et les colonies sont devenues sous Louis XIV (plus précisément sous l’impulsion de Colbert) un enjeu important. Sans s’orienter vers une série maritime, cela m’aurait semblé dommage de faire l’impasse là-dessus. L’histoire va se passer sur 40 ans, j’ai envie de balader le lecteur un peu partout.
- Finalement la vie de Benoît est souvent jalonnée par des hommes. Où sont les femmes ?? Y en a-t-il davantage au tome 3 ?
En cela Benoît ressemble un peu à Tintin... Hier comme aujourd’hui, la parité n’est pas de mise en BD. Mais si cela vous fait plaisir, je promets de mettre un peu plus de gonzesses dans les prochains tomes.
- Le langage très contemporain n’enlève rien au souffle épique pourtant certains pourront s’émouvoir de cet anachronisme, vous l’avez envisagé ?
Oui, on me fait souvent la remarque. En règle générale, ça dérange plutôt. En fait, j’aurais du mal à faire parler un paysan ou un marin du 17ème de façon policée. Et puis pour être tout à fait franc, je trouve que j’utilise un langage châtié. Mémé parlait pareil. Je ne comprends pas que l’on s’en offusque, c’est quand même un monde.
- Quelles ont été vos influences pour Grand Siècle ? Puis en général ?
C’est assez vague comme question. Démarrons par le dessin. Quand j’ai commencé Grand Siècle, je n’avais pas dessiné depuis deux ans. Avant cela j’avais appris l’animation à Gobelins ou je m’étais essentiellement attaché à faire du croquis, à travailler le mouvement, je voulais être animateur 2D et j’avais travaillé assez dur pour ça. J’avais complètement occulté l’aspect finition du dessin que je trouve aujourd’hui encore tout à fait rébarbatif. Il a fallu que je me mette à trouver un encrage, à sortir du rough au crayon. Dans mon esprit, la BD franco-belge, c’était plume et encre de chine. J’ai regardé les auteurs qui utilisent cette technique comme Franquin, Loisel, Brescia...
En règle générale, j’aime les oeuvres (cinéma, illustre, peinture...) avec du grain, du mouvement. Lorsque les choses sont dures à trouver et que le support porte les traces de cette recherche. Je déteste faire un effet pour un effet. Je me rends compte que pour des questions commerciales, on est toujours un peu obligé de faire du tape-à-l’oeil, mais j’aime les choses naturelles, qui coulent de source.
- Comment vous êtes-vous documenté ? Tant sur les voiliers que sur la géographie des Antilles du 17ème ?
Avec des livres et internet. Encore une fois, je ne cherche pas à faire quelque chose d’académique, je donne une allure générale à mes costumes et mes bateaux. Il y a une grosse part d’interprétation. Tout comme je ne nomme pas précisément les îles où se retrouvent Benoît et Alphonse.
- Quelle votre technique de dessin ?
Pour Le grand siècle, je fais un crayonné sur un format A3 que j’encre avec plume et encre de chine. Je voulais faire la couleur en tradi, mais Delcourt n’a pas voulu...
- Quels sont vos projets ? Seriez-vous tenté par un one shot après cette série ?
J’ai de plus en plus envie de me remettre à l’animation et, le dernier tome bouclé, je vais sans doute me lancer dans un petit court... En ce qui concerne la bande dessinée, je pense que je ne ferai plus que des one-shots.
Dossier préparé par Stéphane Farinaud et Alexandra Choux
Propos recueillis par Alexandra Choux