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ierre Dubois passe pour être l'elficologue de la bande dessinée, c'est-à-dire un grand connaisseur des lutins, fées et autres farfadets… bref, de toutes ces légendes qui font la richesse de notre patrimoine. Il a pour habitude de puiser dans cette tradition pour en retirer de vieilles histoires et les adapter en albums. Avec Le Grimoire du Petit Peuple, il se met lui-même en scène et nous invite à l'écouter, lui et ses histoires, bien installé dans une salle obscure de son vieux manoir…
Malgré ce point de vue original (que certains ne pourront s'empêcher – à tort ou à raison – d'interpréter comme un excès de vanité), l'album reste fort traditionnel et finalement peu surprenant. Il n'est pas aisé de porter un jugement sur ce type de recueils: les différentes histoires, forcément très courtes, seront inévitablement frustrantes et peu propices à un développement intéressant. Une chose est sûre cependant: Le Grimoire du Petit Peuple ne pourra éviter la comparaison avec les Contes du Korrigan (et autres séries parallèles) édités depuis maintenant plusieurs années par Soleil. Si le concept est bien le même, c'est-à-dire une compilation d'histoires courtes racontées au lecteur, l'orientation des deux séries est quant à elle différente. Alors que les auteurs des Contes du Korrigan s'efforcent de livrer des albums les plus homogènes possibles, notamment en articulant leurs contes autour d'un fil rouge (et donc d'une véritable histoire, aussi mince soit-elle), Pierre Dubois ne se donne pas cette peine et les différents contes présents dans ce premier volume ne sont liés que par leur thème commun: le Crépuscule.
C'est indéniable, Pierre Dubois possède un vrai talent de conteur et une bien belle plume. Malheureusement, il semble parfois oublier que tous les lecteurs ne possèdent pas sa connaissance des histoires qui lui sont si chères. Il nous submerge de noms totalement inconnus, d'être bizarres dont nous n'avions jamais entendu parler auparavant, et ne semble guère se soucier du manque d'informations qui, parfois, rend la lecture inutilement compliquée. Le comble quand on veut inviter son audience à s'évader… Ces différentes histoires sont donc parfois fort belles mais peinent à nous captiver d'un bout à l'autre de l'album. On pourra donc privilégier une lecture ponctuelle et indépendante des contes qui composent ce premier volume.
C'est au niveau des dessins que cet album est irréprochable. Dès la couverture, Civiello nous donne envie de partir à la découverte du monde crépusculaire qu'il nous invite à partager. L'auteur de La graine de folie offre au livre une présentation impeccable, bien dans l'esprit du scénariste qui veut faire de son album un vieux grimoire recelant les merveilles de l'imaginaire. Les dessinateurs qui participent à ce projet ont tous des styles totalement différents. Ils n'aident donc pas à l'homogénéité de l'album mais s'efforcent a contrario de donner un caractère propre à l'histoire qu'ils doivent illustrer.
C'est Gradimir Smudja qui ouvre le bal, lui qui avait su imposer sa patte avec Vincent et Van Gogh et Le Bordel des muses. Il nous offre une représentation figée mais haute en couleurs du premier conte et joue avec la mise en page pour donner à ses planches un air de tableau liturgique. Visuellement superbe mais l'ensemble manque forcément de fluidité. Changement de ton avec Thomas Labourot. Fort de sa reprise de Troll, il nous sert un graphisme dépouillé, au trait jeté, presque 'cartoon' pour un récit plein d'action et de mouvement. Une réussite en soi même si ce graphisme est fort déstabilisant. Suit Etienne Le Roux, auteur notamment d'Amenophis IV et du Serment de l'Ambre. Dans un style plus fouillé, il nous fait visiter l'Écosse et ses terres brumeuses, ses landes désertées et ses ruelles mal famées. Ses planches sont superbes, sans même parler des représentations du Conteur, sublimes et s'apparentant à de véritables gravures. Vient ensuite la plus grande (mais aussi la plus belle) surprise de cet album: Hervé Tanquerelle. Etrange, effectivement, de retrouver dans pareil ouvrage le dessinateur du Professeur Bell et du Legs de l'Alchimiste tant son graphisme, proche de celui de Joann Sfar, est à mille lieues des autres auteurs ici réunis. Mais les amateurs seront ravis de retrouver son trait si particulier. C'est à Laurent Cagniat qu'il revient de clôturer ce premier tome. Dans un style beaucoup plus classique, il livre un travail de qualité mais qu'on aimerait plus enlevé. Il n'atteint pas ici le niveau de Vauriens ou de Pitchi Poï.
En définitive, ce premier volume du Grimoire du Petit Peuple est assez déconcertant. Décevant en certains aspects et réjouissant en d'autres, il ne sera de toute façon pas indispensable, son intérêt résidant dans la diversité des dessinateurs présents. On annonce d'ailleurs les deux prochains tomes pour mars et septembre 2005 avec au programme la participation de Bertail, Gajic, Lereculey, Ségur et Vermot-Desroches. Et ça, ça donne quand même diablement envie.
Une anthologie de contes. Cinq histoires écrites par Pierre Dubois, mais dessinées par cinq dessinateurs différents. De par son format, je trouve qu'il est difficile d'écrire une histoire dans laquelle on peut se laisser emporter, parce qu'elles sont trop courtes. Bref...
- Le Veilleur du crépuscule (Gradimir Smudja) - 3/5
Pas mal. Pas mon dessin préféré, mais une bonne histoire d'avertissements ignorés et de malédiction jetée.
- Diarmid Bawn et les Fir Darig (Thomas Labourot) - 0/5
Aucun intérêt, ni graphiquement ni scénaristiquement. Une histoire de distillateur qui se transforme en cheval...
- Le Conte du Spunkie (Etienne Le Roux) - 4/5
L'une des deux meilleures histoires de l'album. Trop courte, bien sûr, mais pour ce que c'est, plutôt bon. Un homme mauvais, pour échapper à la potence, fait un pacte avec un démon. Mais était-ce le bon choix?
- Le Conte de la Muzayyara (Hervé Tanquerelle) - 4/5
L'autre meilleure histoire de l'album. Un homme se laisse charmer par une femme qui est en fait une goule. Divertissant.
- Jack in the Green (Laurent Cagniat) - 3/5
Histoire plutôt bonne d'un homme qui charme les femmes par fourberies et mensonges. Je n'aime pas trop le dessin par contre.
Concept intéressant, mais les histoires manquent malheureusement un peu de profondeur.
A posséder ou à lire absolument !
Une idée remarquable que d'avoir rassembler autant d'histoires différentes (et d'auteurs) dans un même volume.
J'ai acheté les trois tomes d'un coup...vivement la suite.
Pierre Dubois mérite vraiment son titre d'elficologue de la BD !!!