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La douce

13/12/2007 11748 visiteurs 7.0/10 (2 notes)

E lle est morte depuis déjà quelques heures, son corps sans vie étendu sur le lit conjugal. L'homme, debout, l'air hagard, ne peut détacher son regard de celle qui fut sa femme. Comment en sont-ils arrivés là ? Il se souvient de leur première rencontre. Lui, prêteur sur gages, avait 41 ans. Elle, 16 ans, était sans le sou. Un monde les séparait, pourtant ils s'unirent... surtout pour le pire : des disputes incessantes, un rapport de force continu avec son lot d'humiliations et de trahisons. Petit à petit, les blessures morales se sont faites plus acerbes, plus profondes, jusqu'au jour où...

Après Le Portrait de Nicolas Gogol, Loïc Dauvillier récidive avec l'adaptation d'une nouvelle d'un autre géant de la littérature russe du XIXe siècle : Fedor Dostoïevski. La Douce fut écrit en 1876 et présente la particularité d'être un long monologue dans lequel un homme prend à partie son lectorat, l'interpelle, cherche à le séduire et à se justifier des actes qui ont conduit à cette terrible tragédie.

Il est présenté comme un ancien militaire, exclu de l'armée, dont la lâcheté n'a d'égale que l'amertume qui semble l'animer. Le pouvoir qu'il n'a jamais pu exercer sur les autres, faute de courage, il va l'obtenir par son métier d'usurier. Les rencontres quotidiennes avec les pauvres gens, obligés de se séparer de leurs biens les plus précieux pour tenter de subsister, lui donnent un sentiment de totale domination. Et quand il la rencontre, elle, une de ses clientes, victime comme tant d'autres de la société russe, il ne peut imaginer une seconde qu'elle puisse échapper à son contrôle. Pourtant, celle qui paraissait si fragile, si craintive, si romantique, va affronter cet homme qui la considère plus comme un objet malléable à souhait que comme une véritable épouse. C'est à ce titre que le travail de Dauvillier est particulièrement intéressant. Il parvient à montrer d'une part cette lente transformation d'une jeune fille à peine sortie de l'adolescence en une femme écorchée vive, amère, parfois cruelle, et d'autre part le combat à mort que se livrent ces deux êtres, prêts à tout pour remporter cette guerre psychologique.

Mikhaël Allouche, déjà dessinateur de L'Apparition aux éditions Carabas, parvient à dynamiser ce récit que le contenu aurait pu rendre complètement austère et hermétique. L'expressivité des visages est ainsi très réussie. Les yeux de l'homme expriment tantôt la folie, tantôt la condescendance voire l'arrogance et même l'amour, dans un de ses rares instants d'humanité. L'auteur utilise par moments un symbolisme facilitant la compréhension, par exemple quand le prêteur sur gages est illustré comme un géant aux mains démesurées face à la jeune fille qui, face à lui, semble minuscule. Il présente également quelques planches, pleine page, de toute beauté : les portraits des deux époux, magnifiques de sensibilité, sont emplis d'émotion et de compassion.

Une fois de plus, Dauvillier prouve son talent en adaptant une œuvre plutôt méconnue de Dostoïevski, un exercice difficile qui aurait pu accoucher d'une histoire terne et sans relief. Au contraire, le résultat est passionnant, émouvant. S'il fallait émettre un léger regret, ce serait sans doute l'absence de quelques pages supplémentaires qui auraient permis au lecteur de s'immiscer davantage dans la vie du couple et à l'auteur d'éviter quelques raccourcis un peu gênants. Néanmoins, il serait malvenu de faire la fine bouche : La Douce est un très bel album, réussi et accompli.


Lire la chronique du tome 2 du Portrait

Par L. Gianati
Moyenne des chroniqueurs
7.0

Informations sur l'album

La douce

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L'avis des visiteurs

    Erik67 Le 02/09/2021 à 15:30:40

    J'avoue ne pas être un fan des œuvres de Dostoïevski dont cette bd est tirée. J'ai bien compris qu'il s'agit d'une passion destructrice entre un homme de 41 ans et une jeune femme pauvre de 16 ans.

    J'avoue également ne pas avoir saisi le sens de la fin de ce récit qui semble tragique. J'aurais aimé une approche un peu plus facile d'accès. Ce n'est manifestement pas le cas. Les intellectuels apprécieront sans doute plus que moi. Noirceur et tristesse seront au rendez-vous.

    Comme dirait Mylène, pourvu qu'elles soient douces !