« Plus que tout, je refuse catégoriquement le terme de ‘femmes de réconfort’ ! Puisqu’il signifie quelque chose de chaleureux et de doux. Nous n’étions pas des ‘femmes de réconfort’, mais des victimes de rapts et de viols commis par l’armée japonaise !», Jan Ruff O’Herne.
Récemment co-publié par Au Diable Vauvert et 6 Pieds Sous Terre, Femmes de réconfort est un véritable documentaire en bande dessinée sur une facette encore trop méconnue de la Seconde Guerre Mondiale en Extrême-Orient. Jung Hyung-a s’attaque au sujet pour expliquer qui sont ces femmes enlevées, parquées, violées et instrumentalisées par les militaires nippons et comment ce système s’est mis en place. Ce faisant, elle fournit une véritable leçon d’histoire à travers une vaste enquête mêlant témoignages et rappels historiques.
Articulé en plusieurs parties, l’album introduit le sujet à travers l’histoire de Jan Ruff O’Herne, une hollandaise qui a été « femme de réconfort » et dévoile ce douloureux pan de son passé ainsi que la honte liée au viol. Elle sert d’exemple et de révélateur tout en interpellant sur la frilosité toujours d'actualité de la société coréenne vis-à-vis des agressions sexuelles. Elle souligne également le courage de ces êtres meurtris qui combattent depuis 1992 pour la reconnaissance de leurs souffrances. L’autre grand récit est celui d’Aso, un des médecins militaires en charge de l’hygiène des « femmes de réconfort ». Il détaille par le menu le système mis en place par l’armée impériale, depuis ses débuts en Chine et en Corée jusqu’à sa réutilisation par les autorisations japonaises après la défaite. Et il explique les différentes manières dont des jeunes filles ont été enlevées à leurs familles, arnaquées et trompées par des promesses d’embauche pour finalement en faire des esclaves sexuelles. Un intermède sous forme de dialogue s’attache à définir la terminologie exacte recouvrant l’expression « femmes de réconfort ». Un autre propose une réflexion sur le trafic d’êtres humains et les violations des droits internationaux. Enfin, un dernier récit intitulé « Carnet de voyage d’une pièce rapportée » témoigne de la vie d’une de ces coréennes, Lee Ok-Sun Halmuny, tombée aux mains des Japonais en Mandchourie, et de ce qu’elle est devenue après la guerre.
Très simplement, en replaçant les événements dans leur contexte, en multipliant les références, et sans jamais tomber dans la surenchère, Jung Hyung-a parvient à donner une vision juste de ces atrocités et de la cruauté du système des esclaves sexuelles si parfaitement organisé et rationalisé par l’armée nippone. Elle met en lumière toute l’horreur, la perversion morbide et le cynisme. Le parallèle avec Maus d’Art Spiegelman est évident dans le sujet choisi : celui de l’indescriptible commis par l’homme. Cependant le traitement est très différent de même que le graphisme.
Le dessin simple, parfois caricatural, de l’auteure et le ton pédagogique donne l’impression d’être devant un documentaire illustré facile d’accès. Le recours à un certain humour avec des personnages exubérants renforce le discours et souligne encore, grâce à ce décalage, toute l’ignominie des « maisons de réconfort ». Ainsi, le cas d’Aso interpelle et choque d’autant plus qu’il est tourné en dérision. Profondément convaincu d’être investi d’une mission divine visant à combattre les maladies vénériennes et à empêcher le viol des civiles, ses pensées grandiloquentes et ses atterrements face aux pratiques non hygiéniques de certains soldats prêtent à rire, tandis que ces actions ou son désintérêt pour les blessures des « femmes de réconfort » font froid dans le dos.
Mine d'informations, témoignage frappant et hommage à ces femmes dont les vies ont été brisées durant la Guerre du Pacifique, Femmes de réconfort est un ouvrage exceptionnel et indispensable. Incontournable.
Employer le terme « femme de réconfort » est en soi déjà un euphémisme car traiter un être humain comme un objet n’est guère réconfortant. Cela concerne bien entendu les femmes souvent mineures qui furent arrachées à leur famille pour servir d’esclaves sexuelles à l’armée impériale nippone. C’est un véritable scandale qui ne fut dénoncé que bien des décennies plus tard et qui fait l’objet d’une véritable amnésie de la part du Japon à l’inverse de l’Allemagne qui a reconnu les crimes nazis.
Cet ouvrage fait suite à ma lecture de Anne Frank au pays du manga et cela constitue un excellent complément. Le massacre de Nankin en 1937 est également largement évoqué. On s’aperçoit qu’il y a une extrême droite largement active au Japon qui tente de nier les faits avec une parfaite mauvaise foi que je ne lui connaissais pas jusqu’à alors. Cela ne sera certes pas la première fois qu’un gouvernement pratique le déni de la réalité à commencer par les Turcs avec le génocide arménien. Ce négationnisme n’est guère excusable et il faut des ouvrages comme celui-là pour nous expliquer ce qui s’est réellement passé.
Toutes les guerres sont affreuses. La guerre propre n’existe pas. Cette lecture ne sera guère agréable car les viols ne sont guère un sujet plaisant. Il y a toute la souffrance de ces vieilles dames qui ressort. C’est triste. Rien ne nous sera épargné, à commencer par les faux recrutements afin d’enrôler toujours plus de nouvelles femmes. On verra également que les hollandaises feront partie du lot en raison des conquêtes japonaises dans le Pacifique et en l’occurrence l’île de Java. Quand la tromperie ne fonctionnait pas, les Japs recouraient à l’enlèvement. En tout, on évoque près de 200 000 victimes. Ce n’est pas négligeable. Le maire d’Osaka avait déclaré que les femmes de réconfort avait été une réelle nécessité. L’atomisation également, aurais-je envie de lui répondre courtoisement…
J’espère que le Japon présentera un jour des excuses complètes et honnêtes, en assumant sa responsabilité légale et en offrant des garanties pour que ces crimes ne se répètent jamais. Ce récit va faire découvrir au grand public la réalité de ce terrible drame. La lecture de ce documentaire précis et honnête sera certes pénible mais nécessaire également.