C
hine, 1927. Depuis plus de quinze ans le vénérable empire s’est effondré, laissant ce pays immense en proie au chaos. Seuls les « seigneurs de la guerre » - redoutables chefs militaires de province, parviennent à imposer leur loi. Dans ce contexte, deux organisations politiques que tout oppose, nationalistes du Kuomintang et communistes, unissent leurs forces afin de reprendre le contrôle du pays.
À Shanghai, ville où règne misère et corruption, Li Fuzhi, notre héros, est un porteur de « pots de miel ». Cet exquis euphémisme signifie plus prosaïquement qu’il est affecté à la collecte des excréments de la ville. Une profession symbolique ? Ce jeune homme intelligent et lucide, parce qu’il a clamé en public sa révolte contre la « Bande verte » (sorte de mafia locale), attire l’attention du parti communiste. L’ayant gagné à sa cause, celui-ci en fait l’un ses agents les plus fervents. C’est dans ce contexte que le destin de cet homme va basculer, précisément quand le Kuomintang se retourne violemment contre son ancien allié !
L’auteur, qui a derrière lui une carrière de réalisateur de dessin animé, est passionné par la Chine qu’il a visitée à plusieurs reprises. Li-Fuzhi, tome inaugural d’une grande fresque intitulée « Extrême-Orient », est son premier album. Si l’histoire qu’il propose s’ancre dans une époque bien précise, sa série n’a rien d’une plate reconstitution historique. Bien au contraire. C’est davantage le parcours d’un homme ordinaire pris dans l’engrenage d’évènements qui le dépassent, et auquel, en dépit d’un cadre culturel différent, il est facile de s’identifier.
Tout cela est limpidement remis en contexte par une page de présentation et il n’est nul besoin d’être spécialiste de l’histoire de la Chine pour apprécier cet ouvrage. La construction sous forme d’un flash-back nous permet de replacer le récit dans une perspective plus large et ménage une forme de suspense puisque nous ne faisons qu’entrevoir des éléments d’une vie dont la totalité ne nous sera révélée qu’au tome suivant. L’accent est mis essentiellement sur l’action et le rythme est soutenu, l’auteur n’hésitant pas à opérer un « grand bond en avant » dans la chronologie (si j’ose m’exprimer ainsi), cependant qu’il n’oublie pas de nous faire partager les états d’âme de son héros.
Le récit est servi par un découpage aéré, l’auteur distribuant de grandes cases disposées sur trois bandes par pages où s’exprime pleinement son dessin. Le dessin de Franck Bourgeron justement, au diapason de la narration, est une des révélations de cet album. Très maîtrisé, il est vif et rapide, exécuté avec force hachures. Les amateurs des albums de la collection Poisson Pilote s’y retrouveront… les autres également ! Enfin, les couleurs renforcent la tension dramatique par leurs tons sourds et restituent merveilleusement l’atmosphère de la Chine.
Confortant les ambitions la très belle collection Equinoxe, « Extrême-Orient » est sans conteste une des grandes réussites de l’année. Série prévue en deux tomes, nous en attendons la conclusion avec impatience.
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