Lincoln 5. Cul nu dans la plaine

E ntraîné par son divin chaperon en terre mexicaine au lendemain d’une probable cuite, Lincoln se trouve mêlé, involontairement cela va sans dire, à un mouvement révolutionnaire local. Homme de peu de conviction guidé par la seule boussole de son intérêt personnel, l’homme à la mâchoire proéminente n’est pas prêt de succomber à un quelconque idéal. A une passionaria, faut voir.

Lincoln c’est un fait est entré dans le petit monde de la BD avec fracas, apportant un bol d’air frais et un ton neuf. C’était en 2002, et depuis lors, les lauriers ont régulièrement plu sur les différents tomes de la série et l’annonce d’une nouvelle aventure fait donc son petit effet. Le tandem composé de cet échalas mal embouché escorté par un Saint Père d’opérette qui lui sert de conscience vaut son pesant de haricots rouges (pourquoi l’avoir choisi lui, on ne se lasse pas de se poser la question).

Avec son titre prometteur que la décence évitera de rapprocher du précédent, Châtiment corporel, pour éviter toute conclusion hâtive, Cul nu dans la plaine s’ouvre avec la gourmandise habituelle si j'ose dire. Mais il lui manque quelque chose à cet album. Les personnages sont pourtant là, Lincoln en tête qui n’est pas près de s’acheter une conduite ni une once de moralité. Le duo de vieillards, l’un angélique l’autre diabolique, aussi, complices comme jamais pour observer leur incorrigible brebis ne pas suivre leurs conseils. La faune traditionnelle de gueules burinées toujours prêtes à maltraiter leur prochain pourvu qu’ils en tirent un bénéfice, itou. Le quota de « putain », « merde » et « chier » est atteint. Les bourre-pif, les trahisons diverses et variées, les personnages de caractère ne manquent pas non plus à l’appel.

Alors quoi ? Il y a ici sans doute plus de trop que de pas assez. Les répliques d’ordinaire cinglantes sont noyées dans des dialogues si copieux qu’il ne reste plus d’appétit pour le trait d’esprit à venir. La multiplication des seconds rôles qui éloignent Lincoln des projecteurs dilue l’intérêt plutôt qu’il aère le récit. Enfin, le changement de trait qui accompagne le foisonnement inhabituel de cases rend déjà nostalgique de l’économie traditionnelle, des hachures plus marquées et des crayonnés apparents ancienne mouture. De là à penser que le mieux et la profusion sont l’ennemi du charme…

Lincoln opère sa mue et une catégorie de lecteurs fait la moue. Comme l’enfant gâté, aussi prompt à se plaindre que les mêmes recettes soient reproduites qu’à se lamenter lorsqu’on tente de lui rafraîchir son mets favori. A moins qu’il s’agisse simplement d’un coup de mou passager. Et alors, le cul, nu ou pas, c’est entre deux chaises qu’il finit.

Chronique du tome 3 : Playground
Chronique du tome 4 : Châtiment corporel