De cape et de crocs est une série de grande qualité au rythme de parution parcimonieux et qui, depuis presque dix ans, tient en haleine ses lecteurs. La sortie de chaque nouveau tome est attendue avec la plus grande impatience, et fait désormais figure d’événement.
L’histoire a commencé à Venise quand Don Lope de Villalobos y Sangrin le loup et Armand Raynal de Maupertuis le renard mirent la main sur une carte au trésor qui allait les conduire jusqu’aux mythiques îles Tangerines. En chemin, le duo fut rejoint par nombre de personnages savoureux, au rang desquels on compte un Turc fort en caractère, un lapin irrésistiblement mignon, un savant à peu près fou, deux dulcinées aux formes arrondies, ainsi qu’un méchant vindicatif et une bande de pirates stupides. Après bien des péripéties et les mystères entourant le légendaire archipel enfin percés, les auteurs, pour cette sixième aventure, nous avaient promis la Lune, eh bien, la voilà !
Après un voyage sans encombre, nos héros alunissent en douceur sur la face visible du satellite. L’exploration de l’astre dans sa partie cachée va leur ménager bien des surprises et apporter moult révélations quant aux mœurs des Sélénites. Mais ce serait compter sans la ténacité du cruel Mendoza et de ses troupes qui sont à leurs trousses…
De cape et de crocs doit sa réussite à une savante alchimie qui fonctionne sur la base d’aventures pleine de rebondissements, qui puisent dans le roman de cape et d’épée. Elles sont écrites sur un ton enjoué, et sont colorées d’un humour constant, qui évolue à plusieurs niveaux. Les personnages forment une « faune » improbable où se mêlent animaux humanisés et humains aux pulsions… bestiales. Les dialogues enfin, pimentent l’action de leur référence quasi constante aux classiques des lettres françaises tout droit sortis de nos Lagarde et Michard, remixant avec malice Molière, Corneille et La Fontaine...
À grande attente, petite déception ? Tous les éléments qui ont fait le succès de la série sont bien au rendez-vous dans Luna Incognita. On retrouve le rythme soutenu, l’inventivité dans les détails saugrenus et charmants (on est heureux de constater que le lapin Eusèbe s’est enfin trouvé un compagnon à sa mesure), pourtant… Cette Lune qu’on nous avait promise a quelque chose de trop terrestre pour vraiment nous surprendre. Les références toujours nombreuses, sont moins subtiles et davantage tournées vers le cinéma populaire : elles ne tombent pas nécessairement à propos. La multitude des personnages commence à devenir quelque peu problématique, certains rôles attachants se voyant ici malheureusement sacrifiés (mais où sont les pirates ?). Le dialogue est moins inspiré qu’à l’accoutumée et l’on regrette un peu les tirades en vers d’Armand. Le graphisme de Masbou qui joue sur la complémentarité d’un dessin humoristique et d’une mise en couleur saisissante aux effets virtuoses, demeure quant à lui égal à lui-même.
Tout cela étant dit, cet album reste d’un bon niveau, il comblera les attentes des fans en manque, et il constituera pour tous un excellent divertissement. On attend bien sûr la suite de cette exploration lunaire et les développements de l’intrigue pour enfin connaître le rôle que les auteurs ont réservé à un soi-disant gentilhomme gascon à l’appendice nasale… péninsulaire.
>> interview Ayroles et Masbou du 28 janvier 2006
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