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esse est pasteur. Il ne sait pas vraiment comment il l’est devenu, ni pour quelle raison, si ce n’est son questionnement perpétuel sur l’existence de Dieu. Un samedi soir, déprimé par l’hypocrisie de ses ouailles, il décide d’aller boire une bière au bar du village. L’alcool aidant, il finit par étaler au grand jour les secrets médiocres et parfois effrayants que chacun lui confesse : le barman coupe sa bière, le notable le plus en vue de la région fraude, deux fils à papa ont échappé à la prison pour viol collectif grâce à des pots de vin… Personne n’est épargné. Il est donc normal que, le lendemain matin, tout le monde soit présent à l’église, se demandant quelles nouvelles âneries le révérend, passé à tabac par les victimes de sa malencontreuse honnêteté, leur offrira en pâture. Mais c’est ce dimanche qu’une jeune tueuse à gage ratée, un vampire irlandais et une créature mi-diable mi-ange choisissent pour débarquer en ville… Attention les yeux !!
En 1994, Garth Ennis et Steve Dillon, fraîchement débarqués de Hellblazer, sont bien décidés à faire exploser leur humour noir et leur bile au grand jour. Preacher est né de cette envie d’envoyer paître les bien-pensants et les culs bénis, pulvérisant avec rage les poncifs et la moralité de leurs semblables. Détail qui aura son importance, les deux auteurs sont de purs britanniques, Ennis irlandais et Dillon anglais. Leur aventure américaine devient dès lors un parcours quasiment révolutionnaire dans l’âme. Il est à noter que cette série a connu une première édition chez le Téméraire, qui s’est arrêtée suite à l’effondrement de cet éditeur, après l’équivalent d’une trentaine de numéros parus (sur 75 au total). Panini reprend l’édition à zéro, avec une nouvelle traduction, l’intégralité des couvertures et de nombreuses coquilles, malheureusement.
Ennis est une teigne. Capable de raconter les histoires les plus infâmes avec un humour aussi décapant qu’irrésistible, il se fait ici un malin plaisir de piétiner la sainteté ou même la divinité, et mélange allègrement fantastique (Cassidy, le vampire irlandais), ésotérique (Dieu, les anges et toutes ces sortes de choses) et chronique sous acide (tout le reste). C’est avec une véritable virtuosité qu’il explose tous les carcans, ne se refusant rien, puisque Vertigo est une collection adulte. Il est ainsi indéniable que ces premiers numéros bénéficient d’une excellente qualité d’écriture et de narration, même si l’on sent que le potentiel de tels énergumènes est encore loin d’être exploité à plein régime.
Dillon, de son côté, a un trait classique mais d’une grande efficacité. La rigueur de son dessin contrebalance la frénésie de l’histoire, et ce sentiment d’équilibre permet de comprendre pourquoi ces deux larrons se suivent depuis tant d’années. Il est à noter que les couvertures de la série sont toutes signées Glenn Fabry, auteur ayant lui aussi collaboré à Hellblazer, et que leur qualité vaudrait presque à elle seule d’ouvrir le recueil. Il intervient d’ailleurs tout au long de ce premier volume, accompagné de ses comparses, pour donner son avis sur ses couvertures ou apprendre des anecdotes croustillantes au lecteur.
Preacher est indéfinissable. Classique absolu du comics pour adultes, il chamboule en quelques numéros les schémas bien établis, et s’offre le luxe de ne rien respecter. Rien.
Bénéficiant d'une réputation sulfureuse, porté au pinacle par de nombreux fans qui retrouvent dans ses pages un écho malin à leurs pires désirs de transgression, "Preacher" est un drôle de livre... Comic book à l'américaine, avec tout ce que cela comporte de codes adorés par les uns, honnis par les autres, il est réalisé par deux britanniques (un anglais et un irlandais), ce qui était sans doute la seule manière d'aller aussi loin dans la provocation, en particulier anti-religieuse. Cet mauvais esprit, que l'on qualifierait facilement de punk, s'exerce en effet à longueur de pages aux dépends de tous les codes habituels, s'acharnant particulièrement sur la bêtise crasse de l'Amérique profonde, arriérée et fascisante... ce qui réjouit finalement à bon compte les Européens que nous sommes, certains de notre supériorité morale sur ces péquenots obsédés par les armes et une morale d'un autre temps (encore que...). Mais tout cela ne serait pas grand chose, en tous cas ne serait pas très sympathique finalement, si Ennis et Dillon ne nous offraient surtout un grand délire mélangeant violence "tarantinesque", science fiction et ésotérismes goguenards (les anges qui gèrent le monde parce que Dieu s'est fait la malle...), et fantastique déjanté (encore un beau retour du mythe éternel du vampire...). Bref, on ne sait jamais ce qu'on est en train de lire, et c'est tant mieux, d'autant qu'on rit aussi beaucoup aux vannes méchantes qui volent, un peu aux dépends de toute le monde (le monde du Rock en prend ça et là pour son grade, aussi...). Ainsi, si chacun des épisodes (six, je crois, mais je ne suis pas sûr) qui composent ce premier recueil, "Mort ou Vif", fonctionne admirablement, grâce en particulier à un graphisme simple mais efficace, on ne peut pas en dire autant de l'ensemble de l’œuvre, tant il semble que Ennis se perde un peu en route, abandonne son sujet initial pour aller explorer des chemins de traverse (l'histoire du serial killer new yorkais) qui diluent un peu notre intérêt. Il faudra donc voir comment se poursuit la série pour vraiment statuer sur son importance et sa qualité. A souligner aussi les remarquables couvertures de Glenn Farby, auxquelles cette édition rend un hommage justifié... même si le travail de Farby est quand même assez éloigné des personnages de Dillon !