11 septembre 2001. Tournant dans l'histoire de la société moderne ? Probablement. La veille, Stanley et Marion étaient eux, à un tournant de leur vie. Après...
Contrairement à ce que laissent penser les premières pages, World trade angels n'est pas réellement un récit de ce qu'ont été les évènements (vocable aussi pudique que craintif pour éviter d'être plus précis et réouvrir la plaie) de ce jour. Ce n'est pas un reportage, ce n'est pas un véritablement témoignage. L'histoire d'un amour oui. Le récit d'un traumatisme, d'une errance qui commence également.
"A quel moment la nouvelle réalité avait-elle pris le pas sur l'ancienne ?"(...)"Ma souffrance était devenue une seconde peau, je l'avais choisie, en quelque sorte. Elle me protégeait."(...) "Sauf que tu es encore ici, parmi les vivants(...) mais tu ne peux rien rejouer, tu ne peux que regarder le passé. C'est comme au musée : interdiction de toucher aux objets exposés".
Il cherche une réponse. Il cherche une issue. Plus ou moins à son corps défendant. La facilité serait de tout laisser tomber mais les liens qu'entretiennent les hommes, les anges et les fantômes tracent peut-être la voie d'une thérapie pour retourner au milieu de ceux qui sont encore en vie. Pour bâtir ce parcours, le style pictographique de Laurent Cilluffo est idéal, à la fois hautement symbolique, totalement dépouillé, construit sur des codes minimalistes d'une précision et d'une éloquence exemplaires. L'écrin idéal pour entendre et ressentir le silence assourdissant qui envahit l'espace lorsque la voix off qui résonne dans le crâne de Stanley s'interrompt. Celle-ci sonne juste, son rythme et ceux des dialogues tiennent en haleine. Et l'on reste sans voix, respecteux et grave, concentré et dans l'attente de ce qu'il va devoir affronter. Le déroulement du récit est implacable dans sa logique, le retour en arrière impossible. Certaines images, sous l'apparente douceur d'une ligne claire et de couleur rassurantes, frappent, comme cette "Liberté éclairant le monde" qui vous tourne le dos.
Raconté autrement l'impact n'aurait pas été le même, illustré autrement non plus. Ceux qui resteront sur le seuil de ce roman graphique pour des raisons de forme ou par appréhension par rapport au sujet qui lui sert de cadre se priveront d'une expérience rare.
Dans la droite lignée des Acme Novelty, cette bd graphique, non sans évoquer un certain "A l'ombre des Tours Mortes" d'Art Spiegelman, est touchante de par son ton, est de par sa "naïveté". Colin et Ciluffo nous livrent un roman graphique en toute candeur. C'est vraiment pas mal.