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évélé par son émouvant album "Pilules Bleues", Frederik Peeters a délaissé l’autobiographie pour "Lupus", une série de science-fiction surprenante dont il vient de faire paraître le deuxième tome.
Deux jeunes un peu désabusés, Tony et Lupus, sont amis depuis l'enfance. Ils s'accordent une année sabbatique pour se lancer dans un périple spatial dans le but avoué de se payer du bon temps avec au programme, pêche au gros et défonce à gogo. Au cours d'une escale, les deux compères avaient recueilli Sanaa, une pauvre petite fille riche en fugue. Leur voyage monotone s'en était trouvé passablement perturbé. Et pour cause. Dans une réaction en chaîne absurde, Tony trouve la mort tandis que Lupus commet l'irréparable en abattant l'homme de main que le puissant père de Sanaa avait mis à leurs trousses.
Ce deuxième volume s’ouvre quelques heures après le drame. Lupus et Sanaa sont en cavale et cherchent à se faire oublier, et comme elle n’a jamais vu d'arbre, Lupus met le cap sur Nécro, une planète "mouroir" caractérisée par l'exubérance de sa végétation. Pour nos héros, cet épisode sera comme une "parenthèse enchantée".
Lupus est un récit ample et linéaire tout entier centré sur ses personnages. Et en dépit de son contexte SF, c’est une série qui puise son inspiration dans notre univers présent. Avec cette destination très sélecte où viennent s’éteindre les vieux riches du système dans de luxueux complexes d'habitations, Peeters offre une critique à peine déguisée de notre propre société, dominée par la technologie et ses contraintes déshumanisantes. Aussi, en conduisant ses personnages derrière le décor de ce paradis factice, l’auteur nous donne l’exemple d'hommes qui ont choisi une autre manière de vivre, plus harmonieuse.
Peeters impose un ton nouveau, profondément méditatif. Ici l’influence du manga est sensible dans la restitution des silences comme dans le jeu des regards qui en disent plus long que bien des discours. "Lupus" c’est aussi une histoire d’amour originale. Car Lupus aime Sanaa mais n'ose pas le lui dire. Ils forment un étrange couple de fortune où l'incompréhension cède peu à peu à la complicité.
Ici les personnages évoluent : Lupus, ce grand échalas un peu coincé, ne savait pas où il allait. Contraint d’émerger de la brume où le maintenaient les psychotropes, dès lors il fait face et se confronte à lui-même. Et malgré l'angoisse liée à l'incertitude de son destin -mais peut-être aussi grâce à elle- il va vivre plus intensément ces moments de plénitude que lui procure son séjour sur Nécro. Sanaa quant à elle, conserve son charme mystérieux mais semble s’épanouir.
Dégagé de l’influence de Blutch, Peeters impose un dessin efficace, tout entier dévolu à la narration et à la psychologie de ses personnages. Le découpage, par son évidence, démontre le savoir-faire d’un grand auteur.
Cet album charmera tous ceux qui ont apprécié le premier tome en ce qu'il conforte les qualités exposées précédemment. Pour les autres, c'est l'occasion de découvrir cette remarquable série qui, sous les dehors d'une science-fiction discrète, nous tend un si troublant miroir de nos interrogations contemporaines.
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