«London calling, yes, I was there, too
An' you know what they said ? Well, some of it was true !
London calling at the top of the dial
And after all this, won't you give me a smile ?»
Après avoir annoncé à sa mère avec beaucoup de prudence qu’il partait en reportage au Kurdistan, Zerocalcare se met en route pour une des régions les plus dangereuses de la planète. Dans un premier temps, il se retrouve à Mesher à la frontière turco-syrienne, à seulement quelques kilomètres du front avec, en face, les miliciens de Daesh. Pas rassasié pour autant, il atteindra même, lors d’un deuxième voyage, l’enclave de Kobane, en pleine zone de combat.
Initiatique, autobiographique, journalistique, humoristique et effrayant, Kobane Calling recueille tous les états d’âme à travers lesquels l’auteur est passé lors de ses tribulations proche-orientales. Comme pour la majorité des lecteurs, Zerocalcare ne connaît que très succinctement la réalité de la terrible guerre civile syrienne et des horreurs de l’État Islamique. Loin des discours bien-pensants des dirigeants occidentaux et des images-chocs et anonymes des journaux télévisés, il rencontre les véritables acteurs de ces drames : combattants, intermédiaires louches et victimes. Appliquant la méthode «Joe Sacco», il parle, interroge, s’interroge et cherche à comprendre en se mettant en scène au cœur de l’action. À hauteur d’homme, il rend compte des faits et, par la même occasion, démystifie nombre d’idées préconçues, tout en tentant, dans la mesure de ses moyens, de donner un portrait cohérent de ces montagnes et autres déserts arides.
Même s’il partage de nombreux points communs – une intégrité à toutes épreuves et la musique punk, par exemple - avec l’auteur de Gaza 1956, Zerocalcare est également un enfant d’internet et de la culture populaire des années 80. Résultat, pour ce qui est du ton et de l’intensité, c’est du côté de Boulet et de ses Notes qu’il faut regarder. Références pointues à Ken le Survivant et Resident Evil, constants retours en arrière explicatifs, clins d’œil et «private jokes» plus ou moins compréhensibles, la narration va à cent à l’heure sans jamais s’arrêter. Caché derrière un trait lâché et sympathique, l’album s’avère très dense, mais heureusement très accessible, justement grâce aux innombrables apartés familiaux, topographiques et géopolitiques.
Autres points forts, l’humour et le sens de la dérision dont fait preuve le scénariste. Il le dit bien à plusieurs reprises : l’ignorant, c’est lui. D'ailleurs, il multiplie les gaffes et les faux-pas en ne réalisant leur conséquences potentiellement graves qu'après. Honnête, il comprend aussi très rapidement que, malgré son passé de militant altermondialiste actif, face à des individus de la trempe de la commandante Nasrine (cheffe des unités de protection de Rojava, les insurgés syriens) ou d’Hevàl Cuma (confondateur du PKK en fuite depuis près de quarante ans), il ne vaut pas grand-chose. Alors, il fait ce qu’il sait faire : raconter, dessiner et offrir un témoignage déconnant, mais humble et le plus honorable qui soit.
«Et toi, tu te sens toujours l’idiot du village»
C’est un documentaire assez critique sur la situation des kurdes qui combattent Daech en Syrie. Il est vrai que Kobané est devenu comme un symbole de la résistance face à la barbarie d’une idéologie de la terreur dont on ressent l’étendue jusque dans nos salles de concert ou nos monuments, nos ponts, nos croisettes et nos marchés. Il est vrai que cette ville est totalement détruite car elle a payé un lourd tribu pour la liberté.
C’est également une critique sans ménagement du régime de la Turquie du président Erdogan qui a certaines connivences assez malsaines. Aujourd’hui, l’auteur pourrait être incarcéré à vie dans une prison turque car pratiquer le journalisme semble devenir un crime d’état. Il est facile de désigner les kurdes comme des terroristes alors que justement eux au moins, ils les combattent vraiment sur le terrain.
Mon début de lecture a été assez difficile car il faut s’imprégner du style de l’auteur italien qui fait dans l’humour et le bavardage incessant. J’aime bien son dessin que je découvre pour la première fois. Je le préfère nettement à son compatriote Gipi. Cependant, petit à petit, on est pris par le récit et les informations assez intéressantes qui sont fournies et qui sont loin des stéréotypes occidentaux.
Ainsi, j’ai appris des choses que j’ignorais sur ce conflit en Syrie comme la création d’une province kurde autonome dénommée le Rojava au sein de la Syrie et bordant la Turquie qui se prépare pour la guerre. Il faut aller sur le terrain pour comprendre véritablement ce qui se passe vraiment et quels sont les enjeux.
On apprend par exemple qu’il y a un contrat social qui défend le droit des femmes ou des minorités linguistiques ainsi que la liberté d’expression sur ce territoire autonome. Bref, on rêverait de cela pour toute la Syrie comme une forme d’ultime espoir que les choses s’arrangeront un jour.
A noter que l’auteur est devenu un véritable reporter de guerre qui n’a pas vraiment le profil et c’est ce qui le rend amusant malgré un contexte qui l’est moins. Il a fait de gros efforts de pédagogie pour nous donner des explications. Bref, une œuvre accessible.
Un éclairage passionnant et émouvant sur une zone de conflits sordides - Kobane - broyée par Daech, le conflit kurdo-turc, et la situation dramatique en Syrie.
Trois raisons de se précipiter sur ce livre :
1. C'est intelligent et actuel, car l'auteur montre par petites touches toute les complexités subtiles et dramatiques de cette situation méconnue, avec un point de vue nuancé qui nous ramène à nos préjugés simplistes et bien-pensants.
2. C'est très drôle, car l'autodérision est permanente, et l'auteur - qui se dépeint lui même comme un adolescent attardé jamais sorti de son quartier de Rome, nous raconte ses atermoiements et ses contradictions avec un humour acide hilarant. Un régal.
3. C'est très humain et émouvant car l'auteur ne cherche pas à "démontrer", il se contente de raconter son vécu et de laisser le lecteur réfléchir comme il le veut. On est là dans la lignée d'un "Chroniques Birmanes".
Bref, c'est un livre qui rend plus intelligent, qui fait rire et apporte un éclairage passionnant sur l'actualité et la nature humaine. Pourquoi s'en priver?
5/5 - une référence.
Entre 2014 et 2016, l'auteur italien de bande-dessinée Zerocalcare a entrepris deux voyages dans les régions les plus dangereuses de la planète: d'abord à Mesher, à la frontière turco-syrienne, face à la ville de Kobane, à seulement quelques kilomètres du front et des miliciens de Daesh; puis à Kobane même, en pleine zone de combat. Il en a tiré un carnet de voyage réalisé sous forme de BD, intitulé donc KOBANE CALLING.
Cet album, fort et poignant, a le mérite de nous éclairer sur les réalités de la guerre actuelle en Syrie, et de nous présenter une autre vision que celle, forcément biaisée et simplifiée, des médias occidentaux auxquels on est habitué, ainsi que de nous donner des points de vue et de nous livrer des messages différents de ceux délivrés habituellement par nos responsables politiques.
Dis comme ça, on pourrait penser que KOBANE CALLING se révèle difficile à lire, tant la difficulté à appréhender toute la justesse des événements semble immense. Mais c'est justement le contraire. Car là où l'auteur fait très fort à mon avis, c'est qu'il arrive, malgré la noirceur de certaines situations et la complexité du sujet, à y introduire un humour permanent, très second degré, qui facilite la lecture tout en simplifiant la compréhension des événements.
Quant au dessin, s'il est quelque peu bordélique sur les bords, on s'en fiche au bout du compte pas mal, puisqu'il se révèle au final parfaitement adapté à ce genre de récit. En effet, ce style graphique humoristique a le gros avantage d'être très efficace et de faciliter grandement la lecture, autant qu'il soulage lors des passages où la violence atteint son paroxysme (scènes de guerre, de massacres, etc.).
Un ouvrage au final remarquable, qui remplit parfaitement son rôle (donner une autre vision de la guerre en Syrie, sans concession ni parti pris), et qui de fait me semble être "à lire absolument".