L
’album débute avec une longue route sinueuse présentée sur une double planche. Peu après, Alain, l’alter ego de l’auteur, est prisonnier d’un labyrinthe dont il a du mal à sortir sans aide. Qui a dit que la vie était simple ?
En vacances à Wells, une station balnéaire du Maine, le protagoniste reçoit un appel de Clémence, laquelle recrute des journalistes pour couvrir les événements politiques liés au printemps érable. Le destin du héros s’apprête alors à changer. Le fil conducteur de l’album est certes un amour naissant. La narration est cependant, et surtout, truffée de digressions, lesquelles ont une chose en commun : le choix et ses conséquences. Mine de rien, cette idée revient constamment, que ce soit dans les notes touristiques sur un village de la côte est américaine, un récit de pêche au homard, des principes d’ésotérisme, la trame d’un film d’espionnage ou encore l’exil de Victor Hugo à Jersey.
Alain Farah, écrivain et professeur à l’Université McGill de Montréal, signe son premier scénario de bande dessinée. Le bédéphile croira que le titre annonce un réquisitoire contre le style graphique d’Hergé et Jacobs, mais il n’en est rien. La ligne sombre dont il est ici question est tirée de Dune, un livre de science-fiction. Dans cette histoire de Frank Herbert, chacun peut emprunter trois lignes : la claire (l’idéal), celle du temps réel et la sombre (les mauvaises décisions). Au final, à l’instar des personnages du romancier américain, le narrateur constate qu’il passe constamment de l’une à l’autre, à moins qu’il ne vive simultanément sur les trois.
En noir en blanc, abondamment rehaussé de rouges très vifs, les encres de Mélanie Baillairgé servent magnifiquement le récit. Son partenaire a choisi la déconstruction, qu’à cela ne tienne, elle fera de même. Sans être fâchée avec le trait droit, l’illustratrice propose fréquemment un dessin tout en sinuosités, lequel se retrouve parfois dans la composition même des planches élaborées comme des vagues. Pour d’autres segments, beaucoup plus sages et descriptifs, elle sort le gaufrier. À d’autres moments, les cases évoquent d’anciennes gravures. Le lecteur pourrait craindre la cacophonie, alors que c’est tout le contraire. Ces images, qui se suivent et ne se ressemblent pas, sont un peu imprévisibles, tout comme la vie.
Mentionnons enfin le travail des Éditions de la Pastèque qui surprennent une fois de plus leur public avec un produit de grande qualité. Un ouvrage de quatre vingt seize pages, couverture toilée, papier très épais pour donner toute leur puissance aux noirs, sans oublier une série de vignettes collées en fin d’album. Le tout à prix modeste. Bref, de la belle ouvrage.
Certains livres doivent être relus, La ligne la plus sombre en fait partie.
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