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n 1952, dans le Mississipi, Blancs et Noirs ne doivent pas se mélanger. Les uns déclinent totalement les principes ségrégationnistes des lois des états du sud ; les autres courbent l’échine, ont peur et sont contraints de vivre petitement. «Separate but equal» disent les lois. Séparés mais égaux. L’égalité n’est que théorique. Et lorsque les deux communautés se croisent, se côtoient, échangent, c’est sur fond de moquerie, d’humiliation et de violence.
Dans ce contexte, Old Pa Anderson, robustesse et cheveux blancs, usé par l’existence, tue ses journées entre l’alcool, le bordel et Old Ma, son épouse bienveillante, qui ferme les yeux sur ses infidélités. Le couple partage une douleur inextinguible. Huit ans plus tôt, leur petite fille Lizzie, 16 ans, a subitement disparu. Old Pa n’a pas pu réagir ; la Police n’a pas voulu. Une nuit, Old Ma meurt discrètement dans son sommeil. Après les funérailles, un voisin informe Old Pa que Louise, une jeune femme du même ghetto, aurait vu des choses le jour de la disparition de Lizzie.
Dès lors, Old Pa n’a plus rien à perdre. Honneur, fierté et liberté ont été piétinés depuis longtemps par les blancs. Old Ma n’est plus là. Sa vie est derrière lui. Il va alors déchaîner un tourbillon de violence. Interrogatoires musclés, exécutions, chasse à l’homme, rien ne peut arrêter un homme qui a soif de vengeance et qui ne tient plus à la vie.
Dans un tel contexte, Hermann (dessin) et son fils Yves H. (scénario) ne pouvaient livrer qu’une œuvre violente et engagée. Le sujet n’est pas nouveau. Tous les Arts se sont emparés de cette période de l’histoire des Etats-Unis, honteuse et sanglante. Elle relève, elle aussi, du devoir de mémoire. Derrière Old Pa Anderson, on retrouve Norman Rockwell, Richard Wright, Oliver Stone. The Problem we all live with, Black Boy, Mississippi Burning. Et bien d’autres. Mais on n’écrira jamais assez sur ce sujet.
Qu’apporte alors cette version 2016, Hermann père & fils ? Rien et tout. Rien, parce que les faits, la mécanique, les haines, les complicités passives sont connus. Rien d’original dans le parti pris, dans l’exposition objectivée des événements, dans cette immersion dans la part d’ombre de l’être humain. Tout, parce que le récit permet l’incarnation, l’entrée dans l’intimité des individus, la mise à nue des ressorts. Le roman graphique donne des visages, des objets du quotidien, des décors. Il escamote l’approche intellectuelle et morale, pour lui substituer la sensibilité et les émotions.
Le duo Hermann a été inégal dans sa dizaine de collaborations (si on ne compte pas le Bernard Prince et les épisodes des Tours de Bois-Maury). Il compte même beaucoup de détracteurs. Old Pa Anderson est un bon cru. Le scénario d’Yves H. est solide, découpé avec intelligence et sensibilité. Les dialogues, réduits au minimum, oscillant entre violence des blancs et laconisme des noirs, interviennent à la surface d’une histoire qui trouve sa profondeur et sa pertinence au-delà des mots.
Dans cette retenue, le graphisme d’Hermann fait des miracles. Il montre à nouveau qu’un excellent dessin dit plus que des centaines de mots. Les deux premières planches, muettes, posent une atmosphère lourde et dramatique. Un modèle à analyser dans les écoles des Beaux-Arts. La dernière, sans mots également, exhibe le tragique de la condition humaine, dans le sang et la bêtise, une répétition douloureuse des choses et une certaine indifférence. Il est bienvenu, c’est un euphémisme, qu’Hermann ait été honoré à Angoulême pour l’ensemble de son œuvre. Old Pa Anderson confirme le bien-fondé de cette récompense.
L'association Hermann père-fils n'avait pas produit des oeuvres assez marquantes depuis une quinzaine d'année. Or, depuis quelque temps, il y a une nette amélioration notamment dans le scénario. On part pourtant sur une intrigue des plus basiques mais elle est menée comme il faut. On est loin du chef d'oeuvre mais cela devient tout à fait satisfaisant. J'adhère enfin !
Le thème est encore celui de l'inégalité homme blanc et noir au sein des Etats sudistes. Il faut dire que la justice était à double tranchant dans ces états ségrégationnistes et racistes. Cette histoire de vengeance pourrait être un banal fait divers mais il prend tout son sens dans un tel contexte. j'ai également bien aimé les témoignages compilés en fin d'album qui décrivent très bien l'état d'esprit des années 50 dans le sud des USA.
Hermann a enfin été honoré par la profession en 2016 lors du festival d'Angoulême comme pour réparer une certaine injustice liée à la reconnaissance. C'est d'ailleurs ma première lecture d'oeuvre publiée cette année-là. Cela commence fort !
Cet album marque la sixième collaboration de Hermann avec la collection Signé sur un scénario de son fils. Il coïncide avec la remise au dessinateur du Grand Prix d'Angoulême pour l'ensemble de son œuvre. J'aime le format des albums Signé dont le projet était à l’origine de proposer des auteurs reconnus sur un one-shot, une sorte de Hall of Fame de la BD. Lorsque l'on voit aujourd'hui la composition du catalogue, de plus en plus d'histoires se déclinent en plusieurs volumes et les auteurs avec trois, quatre ou cinq albums dans la collection ne sont désormais pas rares. Je trouve que cela pervertie l'objet de cette collection qui se voulait d'exception et c'est dommage. Les collaborations du duo Hermann notamment, qui semblent composer une sous-collection, me pose problème, avec un manque de sélection manifeste de l'éditeur (j'ai en souvenir le catastrophique Station 16)... Pour se recentrer sur cet album proprement dit, il est de bonne facture, avec une jolie couverture intéressante, la bio et biblio habituelle des auteurs et une post-face de quatre pages reprenant des témoignages sur l'époque un rappel historique de la ségrégation raciale aux Etats-Unis, croquis préparatoires et photos assez crues de lynchages.
Old pa est vieux et noir. Dans le sud des Etats-Unis cela laisse peu de possibilités. Lorsque sa femme décède il apprend que quelqu'un peut lui apporter des informations sur l'enlèvement de sa petite fille il y a des années, événements qui a brisé sa vie. Il n'a plus rien à perdre et est bien décidé à se faire vengeance...
Comme avec beaucoup d'auteurs se sa génération j’entretiens une relation de méfiance avec les albums de Hermann. Vieux routier de la BD avec une production phénoménale et un plaisir toujours manifeste de réaliser ses albums, le belge propose à la fois une maîtrise du récit et du découpage prodigieuse, une technique de colorisation indéniable, mais également une habitude à utiliser des couleurs et textures très sombres et de grosses lacunes techniques qui ne disparaîtrons certainement jamais. Un peu comme pour Yslaire, je reproche à ces autodidactes de ne pas travailler leur technique comparé à certains jeunes dont les progrès entre chaque album sont souvent impressionnants. Avec l'un comme l'autre les dessins de 1980 et ceux de 2019 n'ont pas bougé.... Quand à Yves H, je suis également réservé, ayant lu certains de leurs bons albums quand d'autres sont marqué de grandes faiblesses de récit.
Malgré cela j'ai toujours l'envie de lire un album de Hermann, notamment grâce à ses couvertures toujours réussies et qui sont de vrais appels à ouvrir l'album. Surtout car ses choix thématiques radicaux sur des sujets lourds et souvent très politiques me plaisent beaucoup. Le bonhomme rentre dans le tas, dit ce qu'il a à dire, dénonce sans détours et cela fait du bien. C'est tout cela qu'est Old Pa Anderson. Album lu rapidement, avec peu de textes et beaucoup de scènes nocturnes, il peut se comparer au film d'Arthur Penn La poursuite impitoyable, montrant le fonctionnement du Sud profond US avec des shérifs qui tentent de faire appliquer une loi bien lointaine pour une population bien attachée à ses traditions de lynchages et de racisme. Un petit soucis dans l'album repose (comme souvent chez Hermann) dans la difficulté de distinguer certains visages. Avec quelques aller-retours entre maintenant et le passé Yves H a l'intelligence d'utiliser ce flou dans sa construction, laissant parfois le doute sur l'époque visitée et le shérif concerné.
Histoire simple, linéaire, à l'aboutissement inéluctable et brutal, Old Pa Anderson est percutant par son propos, sa description sans détours d'une époque atroce, pas très ancienne, où les blancs disposaient de la vie des noirs de façon sans doute plus légère encore qu'au temps de l'esclavage où ceux-ci constituaient un bien matériel pour leur propriétaire. Le monde dépeint par les Hermann est toujours bien glauque, celui des bas-fonds de l'âme humaine où même entre gens de couleur on ne s'aide que contraint, on est lâche et soumis à de basses pulsions. La dernière odyssée d'Old Pa Anderson n'est finalement qu'une parenthèse dans la monotonie de ce Sud où le viol, le meurtre, le vol des noirs est la norme. Un album coup de poing dont le cahier final rappel que rien n'y est exagéré, comme un triste écho à l'actualité intérieure de l'Oncle Sam...
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2019/08/07/old-pa-anderson
j'ai acheté cet album pour avoir un ticket permettant d'avoir une dédicace d'Hermann.
autant dire que je suis parti à l'aveugle.
dans la (longue) file d'attente, j'ai eu tout le temps de le lire.
le terme exacte serait plutôt dévorer tellement j'ai apprécié la qualité graphique des dessins et des couleurs.
sans parler du scénario, minimaliste certes, mais parfaitement adapté aux dessins.
nul besoin d'explications superflues pour passer d'une planche à l'autre.
toutes s'enchainent avec fluidité.
le plaisir suprême fût de pouvoir féliciter le maître directement à la fin de la lecture.
il est à noter, dixit Hermann, que cet album à déjà eu 4 rééditions en à peine 5 mois chose rare dans le monde de la bd actuel.
bref, un album parfait, certainement l'un des meilleures à mon gout du moins.
Cela faisait un moment que je n'avais pas lu un album d'Hermann & d'Yves H, pourtant depuis leur première collaboration (Liens de Sang) je suis assez fan de leur travail. Il aura fallu l'incompréhensible Zhong Guo pour que le charme n'opère plus.
Depuis, seule Une nuit de pleine lune avait trouvé grâce à mes yeux.
Ici, je retrouve un Hermann en pleine forme, avec un superbe dessin qui nous plonge dès les premières planches dans l'ambiance du Mississippi des années 50. Même les scènes de nuit sont lumineuses. Personnages, paysages, voitures...le dessin est vraiment réussi.
Quant au scénario, très sombre, très violent, d'Yves H, il est d'une fluidité exemplaire, pour une fois! C'est simple, bien amené. Le thème de la vengeance, doublé d'une chasse à l'homme est parfaitement maîtrisé.
Pour comprendre cette atmosphère du Mississippi, n'oubliez pas de lire la post-face signé Yves H., c'est effrayant !
Un bon album qui me réconcilie avec le duo père-fils.
1952, dans le Mississippi, en pleine ségrégation raciale, Old Pa Anderson perd sa femme, décédée dans son lit. Le chagrin est venue à bout d'elle. Quel chagrin ? La disparition de la petite fille du couple huit ans plus tôt. Les funérailles de sa femme passées, Old Pa Anderson décide de se lancer sur les traces de ceux à l'origine de la disparition de sa petite, informé par un ami qu'un témoin sait ce qui s'est produit.
Le scénario proposé par Hermann est intéressant. L'album se lit très vite. Le parti pris d'opter pour un nombre important de planches silencieuses donne une lecture rapide, trop rapide même. La qualité du dessin d'Yves H. - le fiston d'Hermann - comble à merveille les absences textuelles, arrivant à faire parler les images.
Mais il est vrai qu'on reste un peu sur notre faim à la dernière page de l'album, puisque la fin est particulièrement prévisible. Hermann, fraichement couronné à Angoulême avec le Grand Prix 2016, nous offre un bon moment à travers l'histoire d'Old Pa Anderson, mais sans en faire un indispensable.
Un album graphiquement très réussi mais malheureusement accompagné d’un scénario trop maigre, minimaliste qui se lit vite avec un thème (la vengeance) déjà très éculé qui est en plus traité de manière très primaire, à la bourrin sans aucune réflexion ni profondeur. Je vois plus cet album comme un déferlement de violence qui masque la pauvreté du scénario qu’autre chose. Ca ne marche pas, c’est un peu trop facile en ce qui me concerne.
Les quelques clichés n’arrangent rien non plus…C’est à se demander si les auteurs ont lu un roman policier ou vu un film du genre depuis ces 40 dernières années tant la manière d'aborder la chose est archi méga classique.
PS : A l'avis de bd91130 : " Yves H s'est emparé d'un sujet sur lequel il a visiblement des choses à dire"
Ah bon, vous trouvez?! Et lesquels? Parce que apparemment on a pas dû lire le même livre.
Pour leur nouvel opus, Hermann et Yves H. nous entraînent dans le Sud profond américain du début des années 50. Là où la ségrégation raciale est à son comble, où l'homme blanc à la droit de vie ou de mort sur l'ensemble de la population noire.
Celle-ci doit vivre à la marge de la société blanche, dans la misère.
Et lorsque ces deux mondes se frottent cela fait des étincelles...
Old Pa Anderson présente la vengeance d'un homme qui en a fini avec la vie : il ne se révolte pas contre le système mais se rend justice lui même.
Même si l'on s'en doute un peu, ce n'est qu'à la page 17, le jour de l'enterrement de Ma Old Anderson, que l'on apprend avec exactitude la date du déroulement de cette aventure et page 18, le lieu de l'action. 1952, en pleine période de ségrégation légale, dans le sud des États-Unis, dans le Mississippi, le vieux nègre Old Pa Anderson enterre sa femme à côté de leur fille morte en couche. La vie aurait pu avoir encore un sens s'il avait pu choyer sa petite fille Lizzie disparue huit ans auparavant. Dans cette communauté noire et taiseuse, les langues se délient peu à peu. Sa petite Lizzie a été violée puis tuée par trois notables de la petite bourgade. Old Pa Anderson retrouve un nouveau sens funeste et éphémère à sa vie avec pour motifs : retrouver le corps de sa petite fille et ses assassins. Pour la paix de son âme, c'est un nouveau sentiment devenu obsessionnel qui va motiver ses actes, celui de la vengeance. Seul face à cette engeance de blancs hostiles et racistes Old Pa Anderson parviendra à ses fins ainsi qu'à la sienne.
Yves H. nous a concocté un superbe scénario dans une période tendue et dont le sujet semble lui tenir à cœur. L'ensemble est très émouvant et les détails de la vie courante contraste avec la véritable raison de vivre en communauté à cette époque. Les inimitiés des hommes en disent plus long que leurs accointances et seuls les chiens ne portent pas d'intérêts à ces conflits raciaux.
Le travail d'Hermann père nous propose des dessins somptueux magnifiés par des couleurs directes au ton pastel qui reflètent magnifiquement l'ambiance chaude, suffocante et oppressante de cette histoire de vengeance en plein Mississippi.
Cette complicité filiale nous offre un album magnifique et augure, nous l'espérons, la même réussite pour les prochains opus.
Comme tous les grands auteurs, Hermann peut faire du très bon et du moins bon (one-shot vite oublié, série qui traine en longueur...). Mais cette fois-ci, on est dans le superbe, le splendide. Yves H s'est emparé d'un sujet sur lequel il a visiblement des choses à dire, le scénario est prenant, et l'abominable et l'ignominie sont magnifiquement rendus par le travail du père. Il y a longtemps que je n'avais pas trouvé un album d'Hermann aussi prenant et plaisant à lire.
A ne pas rater.
Une histoire de vengeance très bien contée. On se croirait plongé dans un roman d’Erskine Caldwell de par l’époque et par le sujet traité. Les blancs qui se croient supérieurs et les noirs toujours le regard plongé vers le bas. Mais Old Pa va relever la tête et venger la mort et le viol de sa petite fille. L’histoire est violente, mais passionnante et la fin nous prend aux tripes. Magnifique ! Bravo à la famille Hermann, pour le scénario et pour les dessins toujours aussi superbes. Sans vouloir offenser le père, c’est peut-être Yves H. qui manque au scénario des aventures de Jeremiah…