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ne intrigue toute entière tendue vers sa chute, tragique, saisissante, funeste ou cruelle, pathétique ou poignante, telle est la matière dont usait Edgar Allan Poe dans ses nouvelles fantastiques. En à peine deux décennies, il a largement contribué à forger ce genre, lui donnant son architecture, ses premiers succès publics, et ses lettres de noblesse. Une simple trame largement reprise par le 9ème Art et popularisée dans les années 50 par les revues pulps ou les EC Comics tels The vault of horrors et autres Tales from the crypt… et quand une décennie plus tard Jim Warren lance Creepy, le même schéma narratif prévaut fréquemment dans les histoires horrifiques du magazine. C’est là que Richard Corben – après des débuts dans l’underground américain – va affermir sa technique et confirmer son talent pour les courts récits à base de surnaturel et d’épouvante. Un travail parfaitement restitué par le label Délirium dans les deux récents volumes consacrés aux huit années passées chez Warren Publishing par l’auteur.
Dès cette époque, Corben adapte des classiques de la littérature fantastique, à commencer par Le Corbeau et Ombre, repris dans le présent recueil. Mais que le lecteur ne s’y trompe pas, c’est bien de nouvelles versions dont il s’agit ici, toutes publiées chez Dark Horse entre 2012 et 2014. Sur la vingtaine d’œuvres de Poe adaptées par l’illustrateur tout au long de sa carrière, quinze sont regroupées dans cette édition, présentées dans l’ordre chronologique de leur parution originelle. Certaines sont transcrites pour la première fois (huit sur les quinze pour être précis), le reste donnant lieu à des réinterprétations. La comparaison s’orientera naturellement vers L’antre de l’horreur paru en 2006, qui regroupait déjà un certain nombre de ces nouvelles. Mais alors que cet album arborait une esthétique froide et lisse dominée par des aplats gris par trop informatisés, le volume d'aujourd'hui renoue avec les couleurs vives parfois violemment contrastées qui caractérisent le dessinateur. Le graphisme en revanche a évolué vers plus de simplicité, avec des compositions plus monumentales et des postures quasi mignolesques, peut-être héritées de sa participation à Hellboy. Mais il y a toujours ce style si particulier et singulier, fait de figures massives et sculpturales, à la fois caricaturales dans les traits et réalistes dans la finition. Savoir évoluer en conservant son originalité, voilà ce qui désigne l’artiste véritable.
De l’aveu de Corben lui-même dans la courte interview transcrite en début d’album, son travail n’est pas une transposition littérale des poèmes et nouvelles de Poe, mais une mise en images des émotions et des sentiments qu’il ressent à la lecture de ces œuvres, d’où parfois un scénario un peu léger, flottant, vaporeux, ou une conclusion un rien hermétique. À cet égard les épisodes du Ver conquérant ou du Rendez-vous ne sont pas des plus réussis… En revanche, d’autres récits retrouvent la force émotionnelle et l’imagerie percutante chères aux fans de l’auteur : La cité dans la mer, Le cœur révélateur et, morceau de bravoure de l’album, La chute de la maison Usher, constituent autant d’occasions de conjuguer histoires dramatiques et visions saisissantes. À l’instar des publications des fifties, la présence de la vieille sorcière faisant office de narratrice permet d’inclure ces récitatifs pittoresques rehaussant l’aspect fantasmagorique des contes macabres dépeints ici. Artiste prolifique mais paradoxalement assez rare, nul doute que les afficionados vont se ruer sur ce nouvel opus, d'autant plus que Délirium nous a habitué à une belle qualité d'édition.
Probablement inégal au regard de son rendu, cet album est cependant demeuré à mes yeux une vrai source de satisfaction: sombre, complexe, ésotérique, cérébral. L’œuvre de Poe est présentée de fort belle manière et les dessins simples mais forts rendent parfaitement. A lire absolument pour les amateurs de Poe et ceux qui souhaitent sortir des sentiers battus. Après c'est pas un divertissement traditionnel, c'est sûr.