C
omme dans Bonne nuit Punpun, Inio Asano explore ici les relations équivoques de ses semblables, évoque les âmes égarées dans leur solitude. Par contre, il ne concède que très peu d’oxygène à son récit, condensant ainsi le sentiment de malaise. Il met à nu l’intimité de ses protagonistes, dérangeante à souhait, tant par ce qu’elle donne à voir qu’à entendre. Encore une fois, il revient sur son territoire de prédilection : l’adolescence.
En cinquième, tu m’as dit que t’étais amoureux de moi. "En cinquième", c’était il y a deux ans. Ils marchent sur la plage, échangent sur tout et surtout sur rien - l’art de l’évitement porté à son paroxysme. Puis, on le saura après, ils le font. Concours de circonstances.
Lui n’est pas loin de la déscolarisation, plus ou moins livré à lui-même, son comportement devient peu à peu celui d’un otaku. Dans un constat ébrieux, son père, de passage à la maison, admet qu’il n’a vraiment pas assuré ces derniers temps, avant de partir dans un éclat de rire qui résonne étrangement dans le vide.
Elle, ses parents sont prévenants, aimants, elle a des rêves de son âge, avec déjà une certaine conception de son idéal masculin : pas envie de jouer dans la cour des petits. De fait, elle va se brûler les ailes. Pas auprès de lui, bien évidemment, il n'est qu'un pis-aller, mais un lien improbable s'est créé, quelque chose d'inavouable, d'inextricable. Elle n’a aucune envie que ses amies l’apprennent : d’une part, lui est un tocard, de l’autre, une réputation de fille facile la condamnerait à l’ostracisme. Lui pressent probablement que c’est sur ce secret que repose le lien ténu qui les lie.
Leur relation s’installe dans le temps, concentrée sur le sexe. Tout va très vite, peut-être trop, sans réelle conscience. Ils, lui porté par des fantasmes sans doute alimentés par le net, elle engagée dans une spirale infernale qui lui vrille la tête, se laissent glisser sans vraiment chercher à se retenir. Leur histoire n’est pas très saine, les rapports de domination instables et les signes avant-coureur d’un dérapage non contrôlé se multiplient. Est-il déjà trop tard ?
Elle, elle n’est pas La jeune fille de la plage évoquée dans le titre, elle s’est juste emballée puis perdue. Lui, ça fait longtemps qu’il l’est, perdu, ailleurs. Suite et fin dans le tome deux annoncé pour février prochain.
Au début, on peut être titillé par la vulgarité des propos et le cru de certaines situations. On va comprendre qu'on n'est pas dans un seinen classique mais dans quelque chose de plus érotique sans tomber dans le pornographique.
Il est pourtant bien question de tranche de vie et de romance entre deux adolescents nippons qui se cherchent au travers de leur sexualité. Le garçon est un otaku qui est tombé amoureux d'une fille qui l'a toujours repoussé mais qui accepte seulement son corps au lieu de son amour. C'est certes toujours mieux que rien...
L'auteur développe un style personnel qui ne laissera pas indifférent. C'est peut-être la raison pour laquelle cette oeuvre a été sélectionné en 2015 pour concourir à un prix au festival d'Angoulême.
Ce 1er tome de La fille de la plage vaut le détour tant par son originalité que par la technique graphique d'Inio Asano :
http://www.comixtrip.fr/bibliotheque/la-fille-de-la-plage-1/