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itué à la frontière du Surinam et de la Guyane française, Maripasoula est un petit village aux allures tranquilles. Les apparences sont néanmoins trompeuses, car, sous ses airs de carte postale, c'est une des portes d'entrée dans le monde crapuleux des chercheurs d'or clandestins. Quand Issaïas y débarque, il ne sait pas encore qu'il vient de mettre les pieds dans une fourmilière où tous les coups sont permis.
Stéphane Piatzszek et Frédéric Bihel emmènent le lecteur dans un coin du globe perdu et mystérieux : le fleuve Maroni en Amazonie. Cette terre de légendes (combien d'aventuriers y ont-ils perdu la vie à la recherche de l'Eldorado ?), mal cartographiée (les fleuves marquant les frontières ont tendance à fluctuer au fil des saisons) et dramatiquement isolée, continue, aujourd'hui encore, d'alimenter fantasmes et convoitises. La soif de l'or et ces profits faciles - en apparence - ont attiré toute une mafia d'orpailleurs sans scrupule prêts à tout pour s’accaparer une poignée de paillettes dorées. Ici, c'est la loi du plus fort qui est de mise et les différends se règlent à coups de machette, le tout sous l’œil impuissant de forces de l'ordre sous-équipées et délaissées par leur hiérarchie.
Ancré dans cette réalité, le scénario de Piatzszek (Tsunami, Commandant Achab) exploite habilement les possibilités de ce cadre dramatique. Le récit, qui mêle conte initiatique et quête du père, se veut avant tout réaliste. Le ton est logiquement dur, parfois violent. Même si le scénariste n'évite pas tous les clichés du genre (le vieux chaman porteur des secrets de la forêt ou le brave médecin, par exemple), la narration reste toujours marquée par une volonté d'authenticité. Au final, sous ses airs de thriller, cette histoire se révèle être un véritable roman psychologique, plus proche du modernisme d'un Joseph Conrad que du romantisme d'Hugo Pratt.
Toujours fervent utilisateur de l'aquarelle, Frédéric Bihel (Africa Dreams, Tout sauf l'amour) démontre toute l'étendue de son talent. Même si le rendu très doux de cette technique n'est pas toujours le plus adapté pour dépeindre la tension de certaines séquences, il se rattrape par une mise en scène tirée au cordeau des plus dynamiques.
Sans bouleverser les codes, Issaïas ou le colibri, premier volume d'une saga prévue sur six tomes, offre un bon moment de lecture, à la fois solide et dépaysant.
C'est assez intéressant de lire une bd sur la gestion calamiteuse de l'Amazonie française par l'Etat qui laisse de véritables zones de non-droit aux mains de mafieux exploitant les hommes pour de l'or. Cela se passe dans les années 2000 et cela semble être tiré d'une situation bien réelle. Certes, les faits sont imaginaires mais le contexte est bien présent et plus que crédible. La Guyane est un département malheureusement fort oubliée.
Dernièrement, j'avais lu Manuel de la jungle mais dans un genre beaucoup plus humoristique. La question des orpailleurs avait été à peine abordé. On sentait tout de même le danger venant des hommes armés prêts à tout pour défendre leur territoire.
Cette série va se décliner en six récits autour de six aventuriers au destin de l'Amazonie, de l'or et du sang. Cela commence fort avec ces deux tomes qu'on peut presque lire séparément. On a hâte de découvrir la suite d'autant que le dessin de Bihel fait des merveilles dans ce contexte de jungle où l'on ressent la chaleur et la moiteur. Il ne manque plus que la morsure de l'anaconda.