L'aventure du célèbre capitaine Nemo de Jules Verne revisitée sur un mode jusqu'au-boutiste et sans concession. Nemo contre le reste du monde. On retrouve Ned Land le harponneur, le professeur Aronnax et Conseil, son majordome, embarqués de force à bord du Nautilus pour un périple qui se veut sans retour. Dans "Une hécatombe", alors que le professeur ne cesse de s'extasier sur le monde sous-marin et participe aux recherches scientifiques du capitaine Nemo, Conseil se morfond en pensant à la fin tragique de Ned et supporte de moins en moins sa captivité. Le geste irréparable n'est pas loin, la fin est proche.
S'attaquer au plus célèbre roman de Jules Verne est un sacerdoce. Comment faire pour ne pas se contenter d'une simple retranscription en BD ? Et surtout, comment ne pas dénaturer l'œuvre originale en la convertissant en un simple album de steampunk de plus ? Si vous voulez avoir une réponse, jetez-vous sur le "Nemo" de Brüno (Cold train, Inner City Blues) dont le dernier tome est paru en fin d'année 2004.
Peu d'auteurs ont su adapter un roman populaire en donnant un vrai caractère au héros sans dénaturer le fond. Récemment Loisel l'a prouvé en terminant magistralement son Peter Pan. Brüno est de la même trempe et c'est ce qui rend cette œuvre indispensable. Il radicalise le capitaine Nemo pour le rendre moins sympathique mais plus crédible vis-à-vis de ses choix. Exit les bons sentiments et le politiquement correct, vive l'intégrité. Il n'a pas peur de déshumaniser Nemo qui reste seul contre tous. Il a raison, les autres ont tort, tant pis pour eux. Qu'ils vivent dans leur monde et laissent le fond des mers et ses splendeurs au capitaine et à ceux qui ont bien voulu l'accompagner au péril de leur vie. La liberté qu'il leur offre est à ce prix. La fin ne pourra en être que plus dramatique
Pour accompagner ce voyage sans retour : un graphisme taillé à la serpe ! Des personnages au physique calqué sur leur caractère. Un trait original, simple et efficace, allant à l'essentiel sans pour autant négliger les décors. Au premier abord, le dessin peut rebuter par sa rudesse mais, une fois passé l'étonnement que vous ne manquerez pas de marquer, apparaissent alors toute la justesse et la splendeur d'un novateur du 9ème art. Splendeur accrue par les couleurs de Laurence Croix dont le but principal est de retranscrire l'humeur du capitaine et la tension de la situation du moment. Le rouge de la colère et le bleu du fond des mers se tutoient ainsi en soufflant le chaud et le froid : la terreur lorsque l'on croise le regard du capitaine et l'émerveillement lors de la contemplation du décor féerique des océans à travers le hublot géant de la bibliothèque.
L'utilisation de pictogrammes, toujours très clairs, pour traduire les conversations entre le capitaine et son équipage rajoute à l'originalité de l'œuvre et renforce la dualité de Nemo. Chef et maître absolu de son destin et du Nautilus mais aussi scientifique amoureux des trésors que peuvent recéler la faune et la flore du fond des mers.
Une œuvre majeure dans la bibliographie de Brüno qui se doit de figurer dans toute bonne bibliothèque digne de ce nom. Le dernier tome est d'ailleurs paru avec un coffret pour y ranger l'ensemble de la série et un carnet de croquis permettant d'admirer pleinement le travail de l'artiste. A ne pas louper.
Poster un avis sur cet album