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n cette belle journée de mai, la Seine coule, nonchalante, dans la douceur du jour. Au gré des boucles, le défilé des bateaux qui tracent leur route vers Paris ou le grand large est un spectacle des plus divertissants. Pourtant, les événements qui se succéderont au cours des semaines suivantes dans ce paisible coin de campagne normande entraîneront un homme vers la folie.
Après Les Derniers jours de Stefan Zweig, Guillaume Sorel s’attache ici à l’adaptation d’un texte de Guy de Maupassant : Le Horla. S’il en garde la chronologie et l’essence, l’album apporte certaines différences notables comme l’introduction de félins qui font écho aux interrogations du narrateur, ou encore l’impasse sur l’issue finale que ce dernier se réserve. Mais ceci est de peu d’importance et introduit quelques variations qui font la spécificité de ce one-shot.
La nouvelle emblématique de Maupassant était une réflexion sur l’irrationnel à une époque où le positivisme et la technologie étaient en passe de triompher de tous les obscurantismes. Aujourd’hui, la force du récit est passablement émoussée et les affres que connait son héros – qui n’est pas sans évoquer les turpitudes de la déraison qui assaillirent le romancier lui-même, dans ses dernières années – n’angoissent guère et prêteraient même à faire sourire les hagiographes de Carrie. Cependant, et bien qu'empreintes d’un classicisme qui butine du côté des Impressionnistes en général et de Toulouse-Lautrec en particulier, les planches délicates et lumineuses de Guillaume Sorel - comme son adaptation des dialogues - retranscrivent superbement les tourments causés par cette présence fantomatique... sans toutefois atteindre l’intensité dramatique de l’œuvre originelle.
Les inconditionnels de l’auteur cherbourgeois trouveront là une nouvelle raison de l’apprécier ; ceux qui le découvrent goûteront avec délice son trait et sa maîtrise des couleurs. Tous (re)revisiteront - par phylactères interposés - l’un des précurseurs de la littérature fantastique.
De toutes les œuvres littéraires que j’avais étudiées en son temps à l’Ecole, j’avais surtout retenu la nouvelle fantastique de Guy de Maupassant. Le Horla, c’est d’abord un journal intime d’un homme qui va rapporter ses peurs et ses angoisses face à un mal qui le ronge de l’intérieur. On pouvait percevoir plusieurs lectures possibles : la maladie ? la folie ? ou bien une possession démoniaque ? Il est vrai que le Horla est représenté par un être invisible, ce qui laisse libre cours à l’interprétation.
Pourtant, notre auteur Guillaume Sorel a choisi la voie de l'irrationnel à savoir celle de l’esprit dans sa cohabitation avec un être surnaturel. On observera également une grande part laissée à son animal favori : le chat qui joue déjà un grand rôle dans sa série Algernon Woodcock ou plus récemment dans Hotel Particulier. Ce félin n’a-t-il pas la réputation de ressentir les choses avant les hommes ? Il a senti la présence du Horla bien avant son maître et a pu par conséquent se mettre à l’abri en fuyant.
J’ai bien aimé cette adaptation en bande dessinée de ce que je considère comme le chef d’œuvre de Maupassant car ce titre allait préfigurer le genre de la science-fiction et du fantastique. On va éprouver toute la solitude du personnage principal, on va suivre ses angoisses jusqu’à son basculement dans une espèce de folie qui le ravage de l’intérieur. De la quiétude, on va passer à l’inquiétude. Du raisonnement logique, on va sombrer dans l’ésotérisme.
Que dire de cette bd ? Le dessin est tout d’abord une pure merveille. L’auteur est parvenu au sommet de son art. C’est franchement de belles planches à admirer. Je me souviens notamment de l’arrivée royale de ce navire brésilien dans la rade normande. J’ai été littéralement subjugué par le trait ainsi que par les couleurs harmonieuses. La lecture me fut très agréable.
Cette réflexion sur l’irrationnel peut sans doute nous amener à une réponse qui ne sera sans doute pas parfaite. Au-delà de toute pensée torturée, c’est l’œuvre qui nous emporte avec cette atmosphère qui s’alourdit et cette tension croissante jusqu’au final effroyable. On n’oubliera pas de sitôt cette adaptation réussie.
Note Dessin: 4.5/5 - Note Scénario: 4/5 - Note Globale: 4.25/5
Guillaume Sorel a une étrange carrière dans la BD. Illustrateur/peintre de grand talent doté d’un style très particulier, il avait débuté de manière remarquée avec le Lovecraftien « L’Ile des morts » mais n’a jamais depuis réellement été considéré parmi les grands. Ses choix, il est vrai (toujours tournés vers l’univers de la folie et du fantastique très proche de Lovecraft), ont été particuliers et pas franchement grand public. Personnellement ses one-shot (Mother, Typhaon) chez Casterman ont mes faveurs. Depuis quelques années il semble s’orienter vers l’adaptation littéraire et sa collaboration avec Serge Le Tendre sur « J’ai tué Abel » a été une grande réussite. Une critique pour Iznéo me donne l’occasion de me replonger dans son univers graphique si dérangeant et si beau, sur « Le Horla »… qui ne pouvait être illustré que par lui !
L’illustration de couverture, étonnamment très classique, incite peu à l’ouverture de l’album… Pourtant dès la première page, la pâte, la matière très caractéristiques de Guillaume Sorel fascinent. Prenant le temps d’installer ses ambiances, ses lumières campagnardes, l’auteur flatte les pupilles sur chaque case. Habitué des destructions de cadre sur le modèle d’Olivier Ledroit (tous deux sont passés entre les mains du scénariste Froideval coutumier de ces découpages), il crée ainsi des surgissements fantastiques dans un ensemble très sage. Tout cela est fort maîtrisé et Sorel dont les perspectives et anatomies n’ont jamais été le fort, livre ici probablement ses planches les plus techniquement maîtrisées. Probablement l’un des coloristes les plus talentueux de sa génération, il est étonnant qu’il n’ait jamais collaboré avec un autre dessinateur. Graphiquement dominé par les rouges et les ambres chers à Sorel, l’album est essentiellement contemplatif, comportant peu de textes, l’inquiétude reposant pour l’essentiel sur les ambiances, les visages et les paysages.
Le scénario suit fidèlement le récit de Maupassant mais fait le choix (du fait du rôle du visuel) de renforcer le côté fantastique. Qui n’aurait pas lu la nouvelle se trouverait devant un ouvrage entièrement fantastique, la représentation de l’être et son explication étant matérialisés ici quand le texte original n’était qu’un récit de l’esprit du narrateur. C’est habile, cohérent avec l’univers de Guillaume Sorel et donne à l’album un intérêt différent de la simple adaptation. Peu attiré par les adaptations littéraires en BD, j’ai été très agréablement surpris par cet album, au-delà de ma seule fascination graphique pour l’un de mes auteurs préférés.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2017/10/18/le-horla/
Depuis plusieurs années, je m'étais juré d'arrêter d'acheter des albums issus d'adaptations de romans. En effet, grand lecteur de romans ou de nouvelles devant l'Eternel, je suis assez réfractaire à ces libres adaptations, parfois faciles.
Pourtant, ce principe finit par souffrir d'exceptions au fil du temps:
- la formidable adaptation du Le Dahlia noir , par Miles Hyman , Matz et David Fincher, qui mérite toute votre attention.
- la fantastique bande dessinée, le mot est faible, de Corominas sur "Dorian Gray", qui même après la lecture du roman d'Oscar Wilde ou du visionnage du film d'Albert Léwin me scotche littéralement sur place.
Pour en revenir à cette adaptation de Guillaume Sorel,je dois dire que je n'y aurai sans nul doute prêter attention sans le choix de la maison d'édition de "rue de Sèvres" de sortir cet album en grand format, qui magnifie le dessin de Sorel. Je ne suis guère un adepte de Sorel, je n'ai pas du tout adhéré à la série "Algernon Woodcok", qui l'a révélé, ou encore à son dernier album Hotel Particulier. Par contre, j'avais adoré l'adaptation, une de plus, du roman, qui a inspiré le lumineux et tragique Les Derniers Jours de Stefan Zweig.
Avec la présente adaptation d'une nouvelle de Maupassant, Guillaume Sorel nous livre là une formidable adaptation, certes assez éloignée , parfois,de la nouvelle originale (le rôle du chat n'est pas aussi présent chez Maupassant) mais l'idée générale de la nouvelle est très bien retranscrite par Guillaume Sorel; en particulier l'univers de Croisset, cher à Flaubert qui est assez bien retranscrit dans cet album.
L'ensemble des pages de l'album dessinées par Sorel sont magnifiques, en particulier celles consacrées au Mont Saint-Michel.
Guillaume Sorel, par cette adaptation magistrale, s'est entièrement approprié cette nouvelle de Maupassant et lui rend hommage avec brio.
Une très belle adaptation suivie d'une dessin magistral.
Que demander de Plus.
A lire évidemment.