E
n ce début du XIXe siècle, nombre de terres encore vierges enflamment les imaginations. Mais derrière un doigt négligemment pointé sur une carte peut se dissimuler une vérité qui n’a rien d’onirique. Pour être revenu du cœur des ténèbres, Charles Marlow le sait mieux que quiconque…
Conservant la structure originelle du roman, le scénario passe rapidement des bords de la Tamise au continent noir après un court passage, digne de Lewis Carroll, par la Société. Mêlant voix off et dialogues au risque de perturber la compréhension du propos, ce qui pourrait apparaître comme une expédition en ses contrées méconnues se révèle être une odyssée dans les tréfonds de l’âme humaine. Alors qu’il pénètre au plus profond du pays, Marlow voit ses références avalées par la végétation qui l’entoure. Sa sociabilité se fond aux frondaisons de la canopée, ses convictions se désagrègent sur les berges boueuses du fleuve et ses certitudes s’évaporent dans la moiteur ambiante. Plus il avance au sein de la forêt primaire, plus il remonte le fil du temps avec nul horizon à regarder.
Au cœur des ténèbres est un ouvrage complexe et pluriel. Récit d’aventures, il comporte cependant une large part autobiographique, voire introspective, et évoque sans détour l’exploitation outrancière du Congo. Mais au-delà de cet aspect critique, l’œuvre se fait analytique et interroge sur le rapport à la réalité. Qu’est-ce qui est vrai, qui semble l’être ou qui ne l’est pas ? Comment la perte des repères usuels fait-elle sombrer dans la folie des démons premiers et succomber à la barbarie ? Nul n’est à l’abri de cette démence pas même Kurtz, personnage fascinant d’ambigüité, démiurge tribal et idole déchue de l’impérialisme occidental.
Le one-shot de Stéphane Miquel et de Loïc Godart se veut la libre adaptation de la nouvelle éponyme. S’il reste fidèle à l’écrit original, tant dans l’esprit que sur la forme, qu’apporte-t-il de plus ? La réponse est à chercher… et à trouver au travers du parti-pris des découpages ou des séquences, des angles de vue, du choix des mots, de la confrontation de la grisaille septentrionale et de l’ocre des glaises d’Afrique, ou bien dans un trait qui déforme les physionomies pour les mettre à l'unisson des âmes. Cette interprétation donne alors – toute proportion gardée – une nouvelle dimension aux écrits du romancier anglais comme le fit l’emblématique Apocalypse Now de Francis Ford Coppola !
Les grandes œuvres sont souvent redoutables à adapter ou à interpréter, et peuvent se révéler un piège inextricable. Stéphane Miquel et Loïc Godart ont visiblement su les éviter et offrent un album réaliste, dénué de tout romantisme, que Joseph Conrad aurait certainement apprécié !
Ce n’est pas très sympa pour le Congo de dire que l’on se plonge au cœur des ténèbres. Pour moins que cela, Tintin au Congo fait l’objet d’un boycott. Trêve de plaisanterie pour dire que le titre n’est pas vraiment adapté. Je veux bien croire que l’enfer de la jungle n’est guère paradisiaque mais tout de même !
Pour le reste, je me suis littéralement ennuyé à cette lecture la faute à un bavardage incessant qui n’arrive pas à nous captiver. Cela reste très philosophique, mi-poétique et pseudo-intellectuel dans le genre littéraire.
Bref, une expédition qui aurait dû être passionnante se révèle être fort décevante. Je ne vais pas faire semblant au niveau de ma notation. Cela traduit mon ressenti et il n’est franchement pas bon pour les raisons évoquées. Inutile alors de tourner autour du pot. Bref, passez votre chemin à moins d’être attiré par le côté sombre de la jungle.
Au cœur des ténèbres nous raconte l'histoire de Charles Marlow, qui part au Congo durant la période de colonisation belge. Cette histoire est une adaptation du roman de Joseph Conrad et son voyage au Congo. Contrairement à un autre album que j'avais lu 2-3 ans auparavant "Kongo" de Christian Perrissin qui reprenait le même personnage et idées du roman, Stéphane Miquel réinvente un nouvel explorateur, fictionnel cette fois-ci, Charles Marlow, qui suit plus ou moins le même parcours avec un état d'esprit similaire. Nous savons déjà que Congo était dépouillé, exploité et massacré pendant cette période par les colons belges, l'esclavage, les mutilations et les tortures étaient largement pratiqués, pourtant nous sommes presque au XXème siècle. Notre personnage ne semble pas affecté par tout ça et regarde les noirs comme des bêtes, sans âme, qui ne savent pas riposter contre les belges, pourtant ils sont beaucoup plus nombreux et forts. Cette image est la même que Conrad avait décrit dans ses romans et la raison de beaucoup des critiques plus tard, critiques que je partage, car je ne suis pas d'accord de réduire un peuple à juste une masse de "mains battantes" et des "yeux qui roulent", simplement parce qu'ils n'avaient pas les moyens de se défendre contre leur oppresseur supérieurement armé. Je pense qu'ils avaient fini par accepter leur sort, de peur de représailles. Les Belges étaient atroces avec eux et partaient souvent à la chasse à l'homme sans aucun but de conquête, juste pour amusement et démonstration de force. Le sujet principal du scénario est la fascination du Marlow pour un certain "Kurtz", qui était un personnage mystérieux, en charge d'un avant-poste au cœur de Congo. Ce mystère autour de ce personnage m'avait accaparé au début, mais vers la fin, j'ai fini par le détester, car de mon point de vue il n'était rien d'autre qu'un autre exploiteur qui avait réussi à convaincre des tribus à le vénérer comme une sorte d'idole "macabre" qui ne fait que profiter d'eux. Ses dernières paroles, "exterminez toutes ces brutes" montrent un homme sans cœur, sans âme, sans remords, pour moi c'est lui l'homme sauvage, la bête, le type de personne a éliminer. Je n'ai pas aimé cette obsession de Marlow pour cet homme, et c'est probablement une des raisons pour lesquelles je ne donnerais pas un avis plus favorable. Je comprends l’intérêt de rester fidèle et proche de l'histoire de Joseph Conrad, mais j'aurais aimé une adaptation qui rend plus de justice au peuple de Congo, j'aurais aimé voir un personnage qui est conscient des atrocités autour de lui et qui sera troublé plus par ça et non pas par un "Kurtz". Les dessins sont bien, mais sans plus, ce n'est pas le style que je préfére, et peut-être c'est parce que je n'ai pas aimé la mise en scène de certains noirs. Le scénario est mature, avec beaucoup de phrases profondes et bien écrites, je pense que ça doit être dans le même style que le roman de Conrad, mais je ne peux pas le confirmer car je ne l'ai pas lu. En tout cas, l'album est bon et mérite d'être lu.