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venturier fantasque, diplomate occulte ou espion androgyne ? Homme ou femme ? La personnalité du chevalier d’Eon est des plus singulières et suscite encore - trois siècles après - nombre d’interrogations. À commencer par ses premiers prénoms : Charles et Geneviève. Un premier... masculin, le second à la consonance des plus féminines !
Les spéculations dont il est l’objet sont probablement dues au fait que cet homme - car il en fut biologiquement un - vécu près de cinquante ans comme tel pour, finalement, épouser la condition féminine durant trente-trois ans ! Qui peut pousser un capitaine des Dragons à accepter une telle situation ? Est-il des secrets si lourds qu’ils doivent être cachés sous quelques jupons? Plus pragmatiquement, il semblerait que l’aristocrate se soit laissé enfermer dans ses propres extravagances, aidé en cela par un passé au Secret du Roi.
Quoi qu’il en soit, l’ambiguïté d’Éon intrigue, même en bande dessinée. En effet, Lia d’Agnès Maupré fait suite – sans souci d’exhaustivité - au Chevalier d’Éon de Yumeji Kiriko et Tou Ubukata voire, dans une moindre mesure, à La Rose de Versailles de Riyoko Ikeda.
Après le très réussi Milady de Winter, Le Chevalier d’Éon était attendu. L’ex-élève des Beaux-Arts de Paris livre ici une partition au trait fin et léger qui sait s’accompagner d’un encrage aux couleurs acidulées des plus enjouées. Les planches prennent des airs de paquet de bonbons qui se dévorent avec gourmandise. Mais ne s’en tenir qu’à l’aspect graphique de l'album serait réducteur et oublierait un scénario qui s’immisce plaisamment dans les coulisses de la diplomatie personnelle de Louis XV. Le récit est enlevé, presque insouciant, malgré la gravité des situations et s’avère fort documenté puisque la jeune scénariste s’en est allée jusqu’en terre de Tonnerre pour parfaire ses connaissances sur ce digne représentant de la noblesse de robe locale.
Jouant subtilement de l’ambivalence du personnage, sans en faire pour autant le sujet premier de son diptyque, Agnès Maupré donne la démonstration romancée que, sans contrefaçon, Éon était un garçon !
Je ne connaissais pas l’histoire de ce chevalier qui s’était transformé en femme toute une longue partie de sa vie durant. Il fut même au service du roi Louis XV pour obtenir une alliance avec la Russie où la tsarine avait plutôt opté pour la perfide Albion. J’ai bien aimé le côté agent secret qui joue sur le déguisement. Par ailleurs, il y a de véritables enjeux stratégiques dans cette course aux alliances.
Il est vrai que le graphisme détonne avec cette encre acrylique. Cependant, j’ai beaucoup aimé la douceur du trait ainsi que les couleurs ce qui nous change de l’éternelle noir et blanc. On sent de la délicatesse dans le dessin et cela se traduit par une histoire jouant sur l’androgynie.
Par ailleurs, on ne ressent pas du tout le côté gay mais plutôt une certaine forme de virilité. Il y a même des situations assez cocasses qui font rire. Complots et intrigues seront également au rendez-vous de la Cour de Versailles.
Au final, un portrait plutôt frais sans le côté déjanté ce qui est fort appréciable. Un diptyque assez passionnant qui se laisse bien lire. A noter que le personnage ressemble beaucoup à celui du clip de Libertine de Mylène Farmer. C’est sans doute le même. En tout cas, le contexte historique est parfaitement respecté dans cette biographie d’un espion pas comme les autres.