A
u soir de sa vie, le professeur Foscari retourne au Japon sur les traces de son passé. Né à Venise pendant l’entre-deux-guerres au sein d’une famille bourgeoise, Giacomo a reçu une éducation des plus classiques et est marqué par l’amour d’Antiquité que lui a transmis son père. Pourtant, son idéal n’est autre qu’Andrea, le garçon des rues qu’il admire secrètement et dont il envie la liberté. Dans les années soixante, il enseigne l'histoire occidentale à Tokyo où il côtoie de nombreux intellectuels et savoure l’art de vivre nippon. Jusqu’au soir où il croise dans un bar un jeune homme qui attire immédiatement son attention et réveille les souvenirs de son adolescence.
Après un lancement effectué avec Une histoire d’hommes de Zep, la toute nouvelle maison d’édition Rue de Sèvres, rattachée à l’École des Loisirs, vient d’ouvrir sa collection manga en publiant le dernier titre de l’auteure remarquée de Thermae Romae et de PIL. Un choix qui, s’il peut laisser l’impression de surfer sur la vague, ne s’en avère pas moins intéressant et prometteur. En effet, voguant entre les époques et les deux terres d’élection de Mari Yamazaki, le récit, très littéraire, n’est pas sans rappeler certaines œuvres de Jirô Taniguchi (Le Gourmet solitaire, Quartier Lointain), par son rythme légèrement compassé et son côté méditatif.
Érudit, épris de belles choses, le héros possède un caractère assez effacé et semble davantage se poser en observateur qu’en acteur des événements. Ces derniers sont portés par deux principales figures masculines reliées entre elles par une troisième, celle de Mercure dont elles ont plusieurs caractéristiques, à commencer par la jeunesse et l’entrain. De même, à l’évocation paisible des cerisiers en fleurs ou à l’émerveillement suscité par la chaleur du timbre de la Callas, répondent la fougue partisane du séduisant Andréa, les tumultes des têtes pensantes japonaises des sixties ou les remous soulevés par la jolie amie du mystérieux Shusuke.
De ce mélange subtil, de cet équilibre ténu, la mangaka tire une composition contemplative, toute de délicatesse et de suggestion, qui multiplie les allers-retours entre les époques et les pays. Car, derrière le regard que Giacomo Foscari pose sur les choses et les êtres qui l’entourent, se dessine, en filigrane, une sensibilité extrême ainsi qu’une tendre inclination pour les hommes – ou plutôt les éphèbes, à l’image du dieu romain reçu en héritage. Cependant, loin de s’arrêter à ces élans à peine exprimés ou à cette dualité entre calme et soubresauts, le propos met également en avant, toujours avec pudeur, des thèmes plus durs, comme la pédophilie ou les exactions du fascisme. Il laisse aussi deviner des relations ambigues, semant ainsi des éléments qui attisent la curiosité et demandent une réponse.
Le dessin de Mari Yamazaki, fin, expressif, rend agréablement l’atmosphère singulière de ce récit à la tonalité douce-amère. Les sentiments y sont bien restitués et résonnent particulièrement dans des décors réduits au minimum, l’édition se révèle de belle facture et, si le sens de lecture occidental n’apportera rien aux mangavores, il permet, en revanche, à un public plus large, voire réfractaire, d’accéder facilement à la BD nippone. À découvrir.
Giacomo Foscari est issu d’une riche famille vénitienne qui remonte à l’ère romaine. Il a hérité d’une statue de Mercure, un dieu romain exerçant une certaine fascination. On va découvrir la biographie de ce personnage alors qu’il est maintenant assez âgé et qu’il vit au Japon où il a enseigné. Le lecteur va partager sa vie entre sa jeunesse à Venise et sa fin de vie au Japon. Il y a surtout l’histoire qu’il va traverser entre une Italie qui succombe au fascisme avec l’ère Mussolini ou un Japon en voie d’occidentalisation après son isolement nationaliste. Bref, c’est un autre regard qui forme un témoignage intéressant.
Je n’ai pas trop aimé le forçage de l’auteur pour faire des liens plus qu’improbables entre la société romaine et celle de l’archipel nippon. Cela se présente comme une œuvre bi-culturelle pour souligner une alliance de cœur. Au-delà de cet aspect, il y a une romance un peu bizarre car composée de non-dits.
La fin de ce premier tome va se concentrer sur un personnage féminin qui a subi une enfance difficile. On dévie totalement sur autre chose. Bref, l’équilibre du récit intimiste semble être rompu. Il va falloir voir si la suite arrive à donner une direction précise. L’auteure s’est d’ailleurs fait connaître récemment par sa série Thermae Romae.
Sur la forme, ce n’est pas trop mal entre finesse et subtilité avec un trait souple. La lecture à la tonalité douce-amère est par ailleurs assez agréable. On apprendra des choses assez intéressantes. Bref, on est quand même séduit entre les cerisiers en fleurs et le timbre magique de Maria Callas. C’est un manga au-dessus de la moyenne.