C
ette bande dessinée exhale une intense douceur, portée par les couleurs pastel qui accompagnent le trait incroyablement pur de Marie Caillou. Incroyablement pur, mais aussi incroyablement froid. Bien que moins perceptible d'emblée, cette autre réalité du dessin n'en reste pas moins révélatrice de ce qui est raconté. De cet improbable contraste naît la tension. Une histoire dure, donc, à l’âge de tous les possibles… La couverture annonce sans ambages la thématique de cet album, sans toutefois éclairer sur le sens que va prendre La ligne droite. L’intrigue se situe dans les années 1990, a priori dans le Finistère.
Hadrien vit en province, chez sa mère ; sans frère, ni sœur, ni père. Dans le collège privé qu’il fréquente, il est un rien ostracisé, à moins que de lui-même, il ne se tienne soigneusement à l’écart de la mêlée d’hormones. En toutes choses, Hadrien est dans l’évitement. Cela jusqu’au jour où il est propulsé à terre lors d’une séance de sport. De ce choc va naître un amour, un amour qui devra se consumer loin du regard des autres, car tout aussi inacceptable qu’inconcevable à leurs yeux.
Il se dégage de ce livre une impression de perfection, tant graphique que dans le cheminement du récit. Il y a quelque chose de très chirurgical dans cet album d’Hubert et de Marie Caillou, quelque chose qui était déjà présent dans leur précédent livre, La chair de l’araignée, notamment dans cette manière de décortiquer les scènes et le mouvement, de procéder à des arrêts sur image et de figer les visages afin de saisir l’instant. Ce procédé rend avec force les sentiments qui s’emparent des deux garçons, tout comme l’hostilité qui menace.
Tout aussi mécanique est l’enchaînement des événements qui découlent de la découverte des deux jeunes hommes en train de s’embrasser sous le hangar à mobylettes, au point d’emprunter une ligne un peu trop droite, un peu trop manichéenne, un rien caricaturale. Néanmoins, plusieurs faits, plusieurs déclarations, en marge des discussions autour de la loi pour le mariage pour tous ont rappelé qu’aujourd’hui encore, certains sont animés par une haine tenace à l’endroit des homosexuels. Alors, caricatural ? Malheureusement pas tant que ça. C’est sans doute pour cette raison que Marie Caillou et Hubert ont opté pour cet angle qui, par certains aspects, peut paraître comme à côté de son époque alors qu’il en révèle des travers persistants. Mais surtout, c’est pour rappeler combien reste difficile, complexe, pour un adolescent, l’instant de la prise de conscience de son homosexualité quand l’environnement n’est pas prêt à l’accepter.
La ligne droite est une ligne qui nous est imposé par les codes de la société moralisatrice ainsi que par la religion. Il ne faut pas s’écarter du droit chemin ou sinon gare. En l’occurrence, un jeune adolescent un peu rebelle car totalement embrigadé par une mère l’ayant enfermé dans une prison catho se découvre et passe de l’autre bord avec un camarade de classe. Il est question également des apparences et du regard que portent les gens. Notre jeune adolescent va découvrir que la société n’est pas très franche et qu’elle impose des choix à ceux qui se soumettent. La fin est assez emblématique de cette hypocrisie qui finira par le consumer totalement jusqu’à l’immersion.
Je ne connaissais pas ses deux auteurs mari et femme. Ils nous délivrent un one-shot bouleversant et brutal dans un format à l’italienne et avec une ligne de dessin plutôt classique. La modernité ne sera pas dans la forme mais dans le propos et dans le message délivré. J’avoue avoir été décontenancé par ce graphisme rigide et figé. Cependant, par la suite, j’ai littéralement été happé par l’intelligence du récit ainsi que la façon d’aborder une thématique plutôt difficile. C’est sombre mais c’est réaliste. Une bd qui invite également à la réflexion notamment des plus jeunes. En tout cas, une belle réussite.