L
a création d’Israël au sortir de la Seconde Guerre mondiale ne s'est pas fait naturellement. Effectivement, la Palestine, alors sous mandat anglais, était en ébullition depuis la chute de l'Empire ottoman en 1920. Juifs de plusieurs mouvances et habitants arabes se disputent amèrement cette terre aride et sacrée. Au cœur de celle-ci, Jérusalem est évidemment l'un des objectifs prioritaires des belligérants. C'est aussi là qu'habite le clan Halaby. Entre 1945 et 1948, les membres de cette maison vont participer, endurer et être témoin de la naissance dans le sang et les larmes de leur nation.
Jérusalem portrait de famille est une œuvre à grand développement basée sur les souvenirs familiaux de Boaz Yakin et mise en images par Nick Bertozzi. Sur près de quatre cents pages, pas moins de vingts personnages principaux vivent les mois critiques qui ont précédé la formation d'Israël. Mêlant incidents historiques et fiction sociale, la narration est ambitieuse et exigeante. Exigeante, car le scénariste raconte son histoire à « hauteur » d'homme et ne donne que très peu d'informations générales hormis une courte introduction et une carte géographique des forces en présence. Le lecteur est très rapidement plongé dans l'action sans trop comprendre, au premier abord, quelle faction attaque l'autre. À la décharge du scénariste, une fois les différents acteurs et groupuscules en place, le récit se lit aisément. Par contre, Yakin, artiste venant du monde du cinéma, use et abuse des techniques narratives made in Hollywood. Les scènes chocs ultra-violentes (la seconde partie de l'opus se résume à un long massacre) alternent avec la presque paisible vie quotidienne des Halaby et ses problèmes très terre à terre. L'utilisation généralisée des enfants pour générer du pathos est également quelque peu excessive.
Un protagoniste important fait défaut cependant. En effet, le livre est présenté comme un double portrait – celui de la famille et celui de la ville -, mais cette dernière ne semble jouer de rôle que dans la psyché des hommes. La faute vient peut-être du dessinateur. Bertozzi n'arrive pas retranscrire la grandeur mythique de Jérusalem. À part quelques compositions en tête de chapitre, la cité est quasiment absente ; les rues et ruelles sont anonymes et les pierres sans âme. Le créateur du Salon prend sa revanche avec les acteurs, ceux-ci sont vivants et regorgent d'émotions et de colères. De plus, il a réussi à les doter d'une personnalité graphique propre, tout en conservant un véritable air de famille. Frères, sœurs, cousins et cousines sortent du même moule, mais chacun avec leurs particularités respectives.
Sans atteindre la rigueur journalistique d'un Joe Sacco, Jérusalem portrait de famille offre une version acceptable de cette période troublée. Dommage que certains choix scénaristiques jouant trop sur la corde sensible plombent le résultat final.
Poster un avis sur cet album