« Mon Dieu, faites qu'elle guérisse et j'arrête la peinture ».
Mais le jeune Pablo n'était pas sincère et Dieu emporta l'âme de Conchita, sa sœur de 13 ans, un jour avant que le sérum contre la diphtérie n'arrive. Puisque c'était sa faute et qu'il était maudit, autant dessiner, dessiner, dessiner... jusqu'à plus souffle.
Fernande et Pablo sont arrivés en Catalogne, où la « Parisienne » fait sensation avec ses toilettes, ses façons et tous les fantasmes qu'elle suscite à l'évocation de sa patrie. Jaloux, son homme l'emmène à Gósol, village pittoresque, un trou perdu dans le désert, accessible à dos d'âne au détour de chemins vertigineux, un air de Far West avec son aubergiste bourru et ses bandits moustachus. Pablo peint, sculpte frénétiquement en quête d'un éclat de génie. Compresser les âges, voyager dans le temps, tout sur le même tableau « Toi en immortelle ». « Je me préfère mortelle », répond Fernande dubitative devant cette grosse femme mastoc censée la représenter dans toute son essence. La nuit, il la réveille en sursaut, il faut fuir, car une gamine a la typhoïde, partir le plus vite possible, rentrer à Montmartre pour éviter le jeu de Dieu, la mort d'une enfant, le prix à payer pour continuer à dessiner.
Si les opus précédents décrivaient l'arrivée et l'intégration à Montmartre d'un jeune artiste exalté, ce troisième tome est celui de la métamorphose. Le génie se conjugue avec la folie, obsession d'être sous le doigt vengeur et mesquin du divin, chasse à l'inspiration tout azimut pour enfin faire jaillir sous ses pinceaux l'Art Moderne à partir de vestiges anciens ou fétiches exotiques, la concurrence attisée avec C.M, Cher Maître alias Matisse. Et Fernande qu'il enferme dans leur petit appartement et à qui il va essayer de faire un enfant, pour l'occuper. Toujours à l'aquarelle, les traits plus épurés dans un style rappelant au détour les expressions de quelques œuvres et esquisses figuratives du maître (l'Arlequin, portrait de Françoise...), Julie Birmant et Clément Oubrerie livrent une peinture juste du Paris foisonnant des artistes des années 1900, contrastant brutalement avec le calme sauvage du désert espagnol. Dans le salon de Gertrude Stein, se côtoient C.M, Cézanne, les œuvres de Manet et d'Odilon Redon, tandis qu’Apollinaire et ses Onze mille verges squattent le table et les draps du couple Picasso.
Magnifique description du mécanisme de création à travers le regard d'une femme amoureuse, ce troisième volume explore la psyché du peintre jusque dans ses plus sombres tréfonds. Un seul regret, un petit feuillet biographique n'aurait pas été de trop à la fin du livre pour pouvoir trier le vrai du faux, ou tout simplement se cultiver. Mais peu importe la véracité des faits exposés, cette balade sensible et émouvante dans l'univers de Picasso vaut plus qu'un détour.
Pablo Picasso, à l'aura grandissante, se confronte à l’incontournable Matisse. Leur rivalité, tissée d’admiration et de mépris mutuels exacerbera leurs ambitions à être le premier.
Pablo, qui a déjà l’intuition que son destin révolutionnera le monde de la peinture, découvre aussi les masques africains, déterminants dans le cap qui le mènera à inventer l’art moderne.
Le scénario est un peu décousu mais les dessins sont une fois de plus superbes et la couverture est intensément intrigante.
Qualité maintenue dans ce troisième opus qui nous fait faire un détour en Catalogne avant de nous replonger dans la rivalité créatrice de Montmartre. Ce tome décrit très bien la folie du génie en train de naître avec des retours sur l'enfance à travers le regard effaré de la muse vampirisée. Je ne sais pas ce qui est vrai mais on y croit.
D'autant que j'aime toujours autant le dessin qui est digne des artistes qu'il décrit.
A ne pas manquer.