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Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB 1. Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB

10/12/2012 20974 visiteurs 8.2/10 (6 notes)

R ené Tardi, pressentant le conflit à venir, s’engage dans l’armée peu de temps avant ce qui sera "la drôle de guerre" et ce que l’on a retenu, après une consciencieuse leçon bien apprise, comme étant "la débâcle". Au volant de son char, et convaincu d’appartenir à la plus grande armée du monde, il va connaître de longues années de captivité dans un camp de prisonniers. Cette expérience va le transformer et son fils, 70 ans plus tard, met en image son témoignage.

L’histoire est cruelle mais parfois bien moins que le regard de l’enfant qui n’entraperçoit que trop tardivement qui sont réellement ses parents. Ce récit, au travers de la mise en abîme de l’auteur, agit comme une thérapie pour Tardi. En couchant sur papier ce passé qui a changé René à jamais, Jacques, enfant, exprime les regrets de l’adulte n’ayant pas suffisamment pu discuter avec son père de son vivant. Ce passé qu’il avait décidé de taire pour tenter de l’enfouir, à l’image de la conscience collective de l’époque, plus prompte à encenser les résistants de la dernière heure que les combattants de la première. Abandonnés dès le début des combats par l’état-major français, les soldats furent oubliés et relégués au rang des lâches par un nouveau gouvernement qui avait besoin de héros pour redresser la nation et taire les heures sombres de la collaboration. Ça, jamais René Tardi ne put l’accepter. Poussé à la honte par tous, y compris ceux qui auraient dû assumer, il s’est tu pour ne pas hurler sa haine, pour ne pas "tout péter". Cette colère sera présente toute sa vie et son fils, en réalisant un travail de mémoire exemplaire, essaye aujourd’hui d’en comprendre l’origine.

D’abord narquois, voire agaçant d’insolence, le fils devient compréhensif et regrette les non-dits et les questions qu’il n’a pu poser et qui se trouvent maintenant sans réponse, à jamais. Moi, René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB n’est pas une biographie, c’est un témoignage sur une partie de notre histoire occultée par des drames plus grands encore. L’œil du prisonnier s’est posé sur tout. À part crever la dalle, ou crever tout court, il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire que d’observer. Et René, il n’a fait que ça, observer, et tout s’est ancré dans son esprit. D’une ancre à l’autre, il n’y a eu qu’un pas que le fils dessinateur aura mis plus de quarante ans de métier à franchir. Plusieurs cahiers noircis méthodiquement dans les années 80 donnent la matière nécessaire à l’écriture et ne laissent que peu de place à l’imaginaire. Les vides laissés par les "oublis" liés au temps ou à la volonté sont rappelés par le bambin gambadant dans les miasmes de la vie de détention. Éludés, ils sont comblés par les emportements du prisonnier se remémorant une saloperie de gardien, une lâcheté de politicien ou un vague espoir déçu. De perte en désillusion, cinq années vont passer sans calmer une fureur qui ne pourra s’éteindre.

Passé maitre dans l’art de dépeindre l’austérité de la guerre, surtout la "Grande", Jacques Tardi opte pour le découpage horizontal qui lui permet de dessiner en panoramiques, vues particulièrement adaptées au mode descriptif retenu. Toujours témoin, son père est souvent relégué de côté pour privilégier la vie du camp. C’est la petite-fille de René qui s’attelle aux couleurs et parsème la grisaille d’un rouge sang de circonstance. Une constante impression d’hiver recouvre d’une chape de plomb une ambiance qui ne peut être que de désolation. L’abandon et le dénuement ont marqué ces hommes et le dessin en restitue l’âme devenue grise.

Puiser dans son patrimoine familial douloureux pour construire un récit d’une telle intensité participe à la constitution d’une œuvre magistrale incontournable. Après avoir marqué de son sceau la Ders des Ders, Tardi participe à la constitution du souvenir des prisonniers délaissés. Leur retour en France sera une autre histoire, sans doute pas plus réjouissante mais assurément passionnante à lire.

Par T. Pinet
Moyenne des chroniqueurs
8.2

Informations sur l'album

Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB
1. Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB

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L'avis des visiteurs

    aloa35 Le 08/08/2019 à 20:14:53

    Tardi a publié des ouvrages qui font référence sur la Grand Guerre. Avec cet album, il réitère avec la 2nde guerre mondiale. Ce n'est pourtant pas l'histoire telle qu'elle on l'aborde généralement avec l'occupation allemande de la France et la libération, mais cette fois-ci vu au niveau de la drôle de la guerre, de la débâcle et de l'emprisonnement.
    C'est bien dessiné, bien raconté et cet hommage aux prisonniers de guerre, qui ont perdu trop vite pour être considérés comme des héros et ont connu les privations des camps de prisonniers, méritait indubitablement d'être racontée.

    pysa Le 12/07/2017 à 16:03:28

    Tardi abandonne les tranchées et la première guerre mondiale pour mettre en image la deuxième guerre mondiale vécue par son père. Témoignage émouvant et historique, on sent à travers ce récit la relation complexe entre le père et le fils.

    kingtoof Le 05/03/2017 à 21:25:17

    Un excellent ouvrage sur la condition de vie dans les camps allemands des prisonniers de guerre (notamment français).
    Cet album est émouvant également, car c'est un hommage de Tardi à son père (qui y a fait un séjour prolongé de presque 5 ans...).
    Le travail de l'auteur est basé sur les carnets-souvenirs de son père.

    pokespagne Le 04/05/2016 à 21:18:26

    Entre Céline (cette haine vivifiante contre la société, la bêtise et la guerre qui grince à chaque page), Primo Levi (toutes proportions gardées, le témoignage du père de Tardi fait écho au calvaire de Primo...) et Spiegelman (comprendre ce qu'a vécu son père pour pouvoir enfin se réconcilier, ou non, avec lui...), Tardi se confronte aux plus grands dans ce "... Stalag IIB" qui témoignerait donc d'une assez folle ambition, s'il n'était marqué plutôt du sceau de la nécessité. Car raconter - et illustrer - le plus justement possible une histoire terrible (qui fait partie de l'Histoire, la grande, terrible du XXe siècle) est évidemment essentiel, face à l'oubli et à la réécriture permanente du passé. On peut évidemment se plaindre que le projet de Tardi ne débouche pas sur un nouveau chef d'oeuvre indiscutable, que la lecture de "... Stalag IIB" soit parfois fastidieuse, que l'équilibre entre le texte (très détaillé, aux sonorités très "pédagogiques") et l'image (splendide, on connaît le talent de Tardi, mais figée, puisqu'il n'y a aucun flux narratif passant d'une "case" à l'autre...) soit maladroit, bref que le "plaisir" ne soit pas au rendez-vous. Mais au final, il ne s'agissait certainement pas de "plaisir" de toute manière ! En tous cas, nous suivrons Tardi père et fils dans le second tome…

    willybouze Le 23/08/2013 à 08:33:21

    Nous connaissons tous les liens de Tardi (Jacques) avec la guerre de 14-18. Il l'a traitée sous tous les angles.
    Là, il s'attaque à la 2nde guerre mondiale à travers le prisme du témoignage subjectif de son père, fait prisonnier lors de la "drôle de guerre". Prisme d'autant plus subjectif que le témoignage a eu le temps de mûrir puisqu'il a été recueilli 40 ans après les événements qu'il décrit.

    On retrouve donc les traits précis et noirs de Tardi. Dans un environnement très monotone, il sait nous montrer la variété. Des gueules, des ambiances, l'espace étouffant des baraques, la vastitude des extérieurs, la neige...
    Ce qui m'a un peu gêné, c'est que c'est surtout une mise en images d'un texte poignant et vivant. On est à la limite de la BD. Les phylactères auraient pu être remplacés par du texte sous les images, ç'aurait eu le même impact. J'ai parfois regretté que Tardi ne prenne pas la distance de rédiger un scénario à partir de ces textes, très denses.
    Nul doute que, scénarisé, ce texte aurait permis de créer une série de plusieurs tomes très vivants et dans lesquels le lecteur aurait pu se transposer plus aisément. D'autant que, finalement, le temps très long passé dans la monotonie d'un quotidien sordide passe très vite à la lecture de ce bouquin. Le découpage en tomes plus courts aurait permis d'allonger le temps et de diluer les événements du camp.

    A part ça, je reste enthousiaste par le fond et, somme toute, par la mise en images, très bien valorisée par une colorisation pertinente en noirs, gris et bistres.

    A lire pour le témoignage, surtout si on aime Tardi.

    Hugui Le 24/03/2013 à 19:01:40

    Un témoignage indispensable sur le vécu peu connu des soldats vaincus de quarante qui ont été prié de fermer leur gueule au retour de captivité pour ne pas contrarier l’hagiographie officielle de la France résistante et victorieuse.
    Et c'est raconté sans fioriture et sans l'humour franchouillard qui sert à camoufler d'habitude la honte des survivants de cette période. Personnellement j'apprécie le dialogue entre le père et le fils qui révèle que les conséquences franchissent les générations. Par contre je trouve le récit bien noir sur la nature humaine car il y a très peu de cette fraternité qui souvent se crée dans les difficultés au sein des communautés humaines. Mais la faim obsessionnelle rendait sans doute difficile d'autres sentiments.
    Et les dessins sont particulièrement adaptés à ce genre.

    roch59 Le 03/03/2013 à 16:49:31

    je n'avais encore jamais lu Tardi...Si le dessin peut surprendre, on s'y habitue très vite tant il est régulier et finalement proche, très proche même de la réalité du scénario...Le découpage systématique en 3 grandes cases horizontales ne lasse pas et donne tantôt du champ, tantôt de a profondeur à cette narration vécue de l'intérieur...Une force à la fois virile et touchante se dégage des dialogues entre le père et le fils, et c'est pour notre plus grand plaisir que nous suivons René, ses idéaux perdus, sa colère, sa solitude, son indéfectible amour pour son épouse...etc, etc...dans cette lointaine et inhospitalière Poméranie...Pas de discours moralisateur, ni de leçon d'histoire (d'autres s'y sont essayé bien avant Tardi...) mais la souffrance d'un homme qui exprime ses sentiments dans un langage familier bien de chez nous... Excellent ouvrage dont la suite peut être attendue avec intérêt....

    LeGauss Le 14/01/2013 à 12:08:28

    Il l'a fait!!!

    Tardi a écrit son équivalent de "Maus" (Art Spiegelman), prix Pullitzer. C'est tout simplement magnifique d'intérêt historique, mais c'est époustouflant d'intérêt humain (jusqu'aux réflexions: zut, j'ai oublié de lui demander cela... je n'aurai donc jamais de réponse...). On savait que Tardi était un brillant illustrateur de la guerre 14-18, mais là, ce n'est plus brillant, c'est juste phénoménal...La suite, vite... s'il vous plaît Monsieur Tardi...

    Je suis d'accord avec le commentaire précédent pour 2 ou 3 coquilles, et pour l'odeur un peu entêtante... disons que tous les chef d'oeuvre ont leur défaut...

    buggos Le 11/01/2013 à 17:44:51

    Un chef-d'oeuvre !

    Le sujet ne m'intéressait pas plus que ça. Si je suis fan de Tardi, c'est avant pour ses adaptations de polar, même si j'ai beaucoup de respect pour son travail sur la guerre 14-18, j'avoue que je préfère lire ses adaptations de Malet ou Manchette.
    J'ai donc ouvert ce livre par simple curiosité. Et j'ai pris une grande baffe!
    Maintenant je comprends d'où vient le sens du détail si typique de Tardi. Son père a tout noté, tout décrit : le camp, les conditions de vie, l'atmosphère, l'humeur général, les anecdotes, la petite et la grande histoire...
    Si le sujet vous intéresse ou que vous aimez Tardi, n'hésitez pas, foncez !

    Maintenant quelques points négatifs, parce qu'il en faut :
    - quelques coquilles ("l'armée à fait faux bon", etc.), enfin rien de dramatique non plus, il doit y en avoir 2 ou 3 en tout.
    - sans dévoiler la fin, ce livre n'est apparemment qu'une "première partie". Ça se termine pas vraiment en queue de poisson, mais c'est quand même "à suivre". Maintenant que je sais qu'il y aura une suite, j'aurais préféré attendre carrément que le deuxième tome soit sorti pour m'avaler les deux d'un coup. Mais c'est juste moi, ça.
    - enfin, un petit détail... Je sais pas ce qu'ils ont utilisé pour imprimer ce livre mais ça SENT ! Ça sent une odeur de poudre à récurrer ou de produit lave-vaisselle. J'espère que ça partira avec le temps parce que je vous promets qu'à force ça devient obsédant cette odeur.

    Enfin pas assez pour me dispenser d'ajouter cette merveille à ma collection de Tardi.