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inocchio a grandi et pas pour le mieux. Exit la petite marionnette vernie, Jiminy Cricket est mort depuis longtemps (un grillon ne vit qu'un été) et sa conscience lui est maintenant dictée par la bouteille et les femmes. Même les diables de l'Enfer vont avoir du fil à retordre avec cette satanée tête en bois !
La fable de Carlo Collodi continue d'inspirer les créateurs de tous horizons. Loin d'une relecture fidèle, Lucas Varela (L'héritage du colonel), auteur argentin formé à l'école des fanzines politisés, propose une série d'aventures et de gags iconoclastes et irrévérencieux. De l'histoire originale, il n'a gardé que le personnage principal, en le prénommant Paolo pour l'occasion. L'innocent pantin de bois est devenu un individu sans foi ni loi, doté d'un caractère exécrable et d'un égoïsme sans limite. Oscillant entre récit métaphorique et conte des mille et une nuits sous acide, le scénariste met en scène une espèce de bal des tares de l'humanité sur fond d'humour plus que corrosif. Amateur de Walt Disney passe ton chemin !
Condamné à mort par les hommes sans qu'on ne sache vraiment pourquoi, le héros se retrouve en Enfer pour endurer les châtiments réservés aux pécheurs. Le bougre ne se laisse pas faire et, utilisant tous les moyens à sa disposition, tente de s'évader de la lugubre Averne. Après avoir vendu à des marchands d'esclaves ses compagnons d'infortune (des personnages de séries animées de la télévision...), il croisera, en plus d'une belle brochette de démons, les hommes en noir de la sécurité d'une grande chaîne de restauration rapide, des évêques négociants des âmes pas très nettes, des intellectuels à la mode et quelques vestales dévoyées. Ce petit jeu, digne des meilleures heures de Charlie Hebdo, pourrait sembler un peu répétitif. Heureusement pour le lecteur, le scénariste fait preuve d'une imagination narrative sans borne. Le rythme endiablé et les innombrables références culturo-historiques - des mythes grecs à la pop culture, personne n'est oublié – rendent la lecture des plus jouissives.
Graphiquement le résultat est également de très haut niveau. Le dessinateur, avec un trait très comparable à celui de Jim Woodring (Frank) et de multiples rappels à des peintres classiques comme Hieronymus Bosch et Gustave Doré, démontre un talent des plus probants. La mise en page est explosive tout en restant des plus lisibles malgré la richesse des illustrations. Le travail d'édition de l'ouvrage est également des plus remarquables, avec de nombreux hors-textes et faux titres très bien choisis.
Politiquement incorrect à souhait, Paolo Pinocchio est une réussite du genre. À lire.
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