K.O. à Tel Aviv 1. K.O. à Tel Aviv

U ne scène muette montrant en parallèle un père conduisant son fiston résigné pour une morne journée chez la grand-mère et un policier accompagnant un jeune clandestin et sa mère vers l’avion de leur expulsion. Une autre dans laquelle le héros panique pour un mal de dos tandis qu’à la télévision un enterrement d’activistes tourne à l’émeute dans les territoires occupés. Tout au long de la centaine de pages composant ce recueil, Asaf Hanuka (Hors limites, Pizzeria kamikaze...) décrit son quotidien, sa vie familiale, avec un ton mi-tendre mi-goguenard laissant transparaitre en filigrane l’empreinte - parfois brutale - de l’actualité sociale et politique d’Israël.

À raison d’une planche hebdomadaire paraissant simultanément dans la presse et sur un blog, l’auteur interroge la société israélienne, autant qu’il s’interroge lui-même, mettant en scène les nombreux paradoxes à l’œuvre : Juifs / Arabes, Ashkénazes / Séfarades, athées / orthodoxes, toutes ces lignes de fractures étant particulièrement prégnantes dans ce pays en état de guerre permanent. Chroniques intimes, instantanés d’une nation, ces historiettes dressent également le portrait d’une ville, Tel Aviv, îlot de modernité occidentale à la vie culturelle bouillonnante, plantée en ces terres pétries de traditions. Mais ce qui interpelle véritablement le lecteur européen, c’est cette sourde angoisse planant sur un monde pourtant banalement contemporain : téléréalités anesthésiantes et spéculation immobilière, soumission aux nouvelles technologies et revendications sociales, apprentissage de la paternité et usure du couple, autant de repères familiers soudainement éclipsés par l’irruption d’un Ahmadinejad vociférant, ensanglantés par l’évocation de corps inanimés, brouillés par la vision de missiles menaçants…

Cependant l’humour, comme la poésie, demeurent omniprésents tout au long de l’album. Débordant le cadre strictement symétrique de la plupart des planches, en majorité des gaufriers de neuf cases, l’auteur s’offre parfois de larges illustrations en pleines pages : l’opportunité de laisser libre cours à une imagination emprunte de surréalisme – témoin l’étonnante « fin alternative » clôturant l’album – ou débordant de tendresse – l’ombre d’un père contemplant son fils endormi dans la pénombre d’une chambre parsemée de jouets. Toutes occasions de dépasser un peu l’habituelle ligne claire / aplats de couleurs qui compose la majorité des scènes, dessinées d’un trait fin, vif et expressif.

Malgré certaines séquences plus faibles ou dont l’humour tombe un peu à plat, ce voyage en terre si étrange et si familière est une chance rare d’appréhender de manière plaisante et subtile une certaine réalité vue de l’intérieur d’Israël. Le pendant parfait des Chroniques de Jérusalem de Delisle.