E
n 1947, le capitaine Olivier Bertaux, ancien résistant communiste, est envoyé en Indochine où les indépendantistes du Vietminh mènent la lutte depuis des semaines. Il échoue dans un fortin perdu dont tous les officiers ont été tués par l’adversaire. Seul Blanc parmi des soldats autochtones, il est rapidement briefé par le sergent Adhémar Tran To, un métis affreusement défiguré et maniaque. Après que la base a subi plusieurs attaques adverses, Bertaux décide de perquisitionner le village le plus proche. Là, il découvre une jolie guérillera blessée. L’ayant ramenée au camp avec d’autres prisonniers, le capitaine, atteint par les fièvres, la prend sous sa protection malgré les avertissements de son sous-officier qui veut la torturer pour qu’elle parle. Au fil des jours, malade et subjugué par celle qui partage désormais sa couche, Bertaux s’interroge sur la légitimité de l’expédition punitive française contre ces révolutionnaires ne réclamant que cette Liberté défendue, en son temps, par la Résistance.
Alors que la Boîte à Bulles publie de deuxième volet de Mémoires de Viet-Kieu, la collection Bayou des éditions Gallimard s’est enrichie d’un autre titre signé Christophe Baloup (Le club du suicide, Mong Khéo). Dans La concubine rouge, dont le dessin a été confié à Mathieu Jiro, le scénariste transporte une nouvelle fois le lecteur au Vietnam, à une époque où ce pays s’appelait encore Indochine. Il l’invite à une réflexion sur la guerre, ses horreurs, ses contradictions et sur ces riens qui, parfois, provoquent des sursauts d’humanité.
Par le biais d’une narration fluide mais à la voix-off un peu trop froide, le récit évoque des thèmes significatifs et qui, aujourd’hui encore, sont sujets à débat. La torture pratiquée pour obtenir des renseignements ou encore l’inégalité entre gradés français et autochtones n’en sont pas les moindres et sont décrites sans fard par l’auteur. Néanmoins, on pourra regretter que la pratique des supplices n’incombe qu’au sergent Tran To et que Berteaux ne se contente que d’un refus bien ténu, qui lui confère un semblant de beau rôle bien que son silence demeure coupable. Par ailleurs, si l’histoire a un caractère authentique indéniable, la fièvre du capitaine fait basculer les choses dans une sorte de torpeur malsaine et laissent l’impression d’une suspension du temps. Le propos de Clément Baloup est porté par le dessin semi-réaliste et assez figé de Mathieu Jiro et s’accompagne d’une colorisation qui surprend de prime abord. Il n’y a point d’encrage, mais des couleurs directes dont les ombres font ressentir les parties proéminentes des visages pour un rendu naïf plus ou moins plaisant. Seuls les décors gagnent pleinement à ce traitement contrasté.
Non dénué de qualités et grâce à un sujet intéressant, La concubine rouge interpelle, sans toutefois parvenir à convaincre pleinement.
Le capitaine Bertaux est le prototype même de chef qui ne croit pas en la cause pour laquelle il est envoyé. Il était communiste dans le maquis en 1942. En 1947, il est envoyé en Indochine pour chasser les communistes. Cherchez l'erreur ! C'est ce qu'on pourrait nommer une contradiction.
Le début m'a un peu rebuté par son académisme. Fort heureusement, la narration devient plus fluide tout le long du récit. Quant au graphisme un peu figé, je ne peux pas dire que je suis fan. J'ai cependant bien aimé l'encrage qui produit des effets parfois étonnants rouge et ocre. Bref, l'esthétisme semble soigné.
On ne nous épargnera guère les scènes de torture que pratiquait également l'armée française contre un ennemi souvent invisible dans cette Indochine exotique. Le fond de l'histoire n'est guère original mais on se laissera volontiers transporter par cette mise en images dans cette atmosphère chaude et moite. C'est traité avec finesse et intelligence loin de tout dogme ou de moralisation.