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essiné au crayon de bois, tout en nuances de gris, il se dégage d’emblée une indéniable élégance de cet album. Cette impression première se pose vite en décalage avec le ton par lequel le grotesque s’impose et se joue de la gravité du propos, à la manière dont le personnage principal, défiguré par un obus dans les tranchées, prend peu à peu parti de son drame. Refus d’incarner un héros de la Nation, ses préoccupations, sans doute encore très floues, se situent dans un ailleurs inaccessible à ceux qui, comme lui, inspirent la pitié quand ce ne sont pas la peur et le rejet. Aussi se laisse-t-il happer dans une autre brèche où sa différence, avant qu’il ne soit rappelé à sa réelle condition, sera appréciée comme un met raffiné, dans une atmosphère singulière que n’aurait pas reniée le peintre Otto dix, celui-là même qui a consacré une bonne partie de son œuvre à représenter la Première Guerre Mondiale qu’il a vécue de l’intérieur. Il n’est d’ailleurs sans doute pas anodin que le travail de la dessinatrice, Delphine Priet-Mahéo, restitue quelques sensations qui peuvent faire écho au travail de l’artiste allemand.
À travers le parcours de cet homme, c’est aussi le destin des gueules cassées qui est ici évoqué. Si la postface de l’historienne Sophie Delaporte signale quelques inexactitudes, choix des auteurs au profit de la fiction racontée, elle apporte surtout un éclairage bienvenu sur ce drame et son époque. Aurélien Ducoudray, scénariste que distingue l’éclectisme des thématiques de ses livres (Bekamé, The grocery, …), effectue, sans avoir l’air d’y toucher, un permanent va-et-vient entre un contexte assez sordide en soi et les extravagances de son récit. Ainsi sont évoqués les hôpitaux et la réalité qui attend les gueules cassées à l’extérieur, ainsi les protagonistes se perdent-ils dans des espaces incongrus avant de renaître dans des terres improbables. Cette instabilité savamment orchestrée est portée par l’esthétisme dérangeant du trait de Delphine Priet-Mahéo dont les plans se concentrent sur les chairs et les visages, plaçant ainsi le lecteur dans l’embarrassante position du voyeur, le renvoyant par là à ses propres considérations sur son rapport à l’autre.
Une histoire qui présente un intérêt certain. En dépit du fait que j’aie eu du mal à m’attacher à ce personnage désabusé, j’ai appris beaucoup de choses passionnantes sur les gueules cassée. Et pour ne rien gâcher, je suis restée subjuguée par le dessin en noir et blanc, sorte de filtre pour mieux observer l’horreur.