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Saison brune 1. Saison brune

10/04/2012 15684 visiteurs 9.2/10 (5 notes)

J usqu’ici, tout va bien. Notamment ici, sur l’hémisphère Nord.

Un délicieux frisson a parcouru le globe lors du dernier trimestre 2009 à la fin duquel Copenhague accueillait un sommet international consacré à la question du changement climatique. Présenté par certains comme celui de la dernière chance, il ne faisait nul doute que face à l’enjeu nos politiques allaient prendre leurs responsabilités ; on allait voir ce qu’on allait voir ! Ledit sommet a fait pschitt - qu’il est bon de se faire peur -, l’actualité a repris son cours et nous avons encore perdu du temps dans un processus qui va très vite et qui a une inertie trompeuse, lente, mais certaine et massive. En France, à un mois de l’élection présidentielle, la question de l’environnement figure clairement dans le peloton de queue des préoccupations des Français. Il est vrai que la crise est passée par là, mais l’erreur réside sans doute dans l’absence de prise en compte globale de ces problématiques, dans le refus collectif et individuel d’envisager un changement profond de notre mode de vie. Georges Bush père a dit « Le mode de vie des Américains n'est pas négociable ». On peut en rire, en pleurer, au-delà, on peut aussi s’interroger soi-même sur cette question.

La couverture de DOL sonnait comme un avertissement : nous fonçons dans le mur. DOL est un ouvrage résolument engagé, trop pour réellement convaincre au-delà du cercle des convaincus, et cela quelles que soient ses qualités intrinsèques. Cette limite, Philippe Squarzoni parvient à la dépasser avec Saison brune, cela alors que les deux livres invitent, in fine, à emprunter des chemins similaires. Si en apparence la thématique du réchauffement climatique peut paraître plus prompte à fédérer tout un chacun, à la lecture de cet album, on se rend compte qu’il n’en est rien, que derrière ce qui offre le luxe de se donner bonne conscience tant individuellement que collectivement, nous sommes loin, très, très, loin du compte.

Saison brune est un ouvrage nécessaire qui s’adresse au plus grand nombre. Nécessaire parce que si le citoyen lambda - j’en suis - est disposé à lire la presse pour se tenir informé du sujet, il l’est moins quand il s’agit de lire les livres, les articles qui comptent, chacun ayant des raisons qui lui sont propres. Or, il se trouve que quand, pour ainsi dire, aucune publication scientifique ne remet en cause le réchauffement climatique, plus de la moitié des articles de presse le met en doute. Philippe Squarzoni a été confronté à cette problématique alors qu’il finalisait DOL et qu’il ne parvenait pas à la resituer dans toute son ampleur, n’en ayant qu’une maîtrise pour le moins commune, sans profondeur et sans pertinence. Alors, il s’est mis au travail et pendant six ans a gratté, fouillé, lu, interviewé et construit Saison brune. Ouvrage imposant, il n’en est pas moins accessible et surtout explicite.

Comme pour ses précédents albums, l’auteur se met en scène, par ce biais, il évite de verser dans une charge à sens unique, sabre au clair, dénuée d’humanité, qui donnerait à quiconque l’envie de balancer le bouquin dès les premières pages. Avec humilité, il explique le cheminement de sa pensée, les doutes qui n’ont pas manqué de l’assaillir, le caractère vain de certaines colères qui sont montées en lui et ses choix dérisoires à l’échelle de la planète, cela sans parler de ce qu’ils peuvent avoir de contradictoire. Ainsi, si chacun, même le plus vertueux d’entre nous, trouvera matière à culpabiliser, la démarche de l’auteur s’inscrit bien au-delà de la simple accusation. C’est à travers cette main tendue et le processus d’identification, essentiel ici, qu’il ouvre la voie au partage du fruit de son labeur.

Si la première partie peut désarçonner le non scientifique, elle n’en est pas moins nécessaire pour introduire et soutenir le propos. La suite se révèle passionnante de bout en bout : pour ainsi dire rien n’est éludé, beaucoup est décortiqué, jusqu’aux interactions entre les choix possibles. Pour illustrer son cheminement, l'auteur pioche sans relâche dans l’imagerie collective contemporaine afin de pointer du doigt les paradoxes de notre société, méthode qu’il utilise depuis plusieurs albums et qui n’est pas sans faire écho à Alpha…directions de Jens Harder, ouvrage presque complémentaire sur le fond et tout aussi remarquable dans l’absolu. Il redonne aussi vie aux entretiens qui lui ont permis d’avancer, d’aller au fond des choses et d’entrevoir des chemins potentiels pour éviter de se prendre le mur à grande vitesse. On sort à la fois sonné et réveillé de cette lecture. Sonné parce qu’il y a de quoi être inquiet vue l'inertie généralisée, réveillé parce que maintenant on sait, et que comme l'auteur, on se connait.

Un premier geste, peut-être anodin en apparence, mais à la portée de chaque lecteur : faites vivre cette bande dessinée, elle est importante en ce qu'elle contient, il faut la partager.

Jusqu’ici, tout va bien. Notamment ici, sur l’hémisphère Nord.


> Entretien avec Philippe Squarzoni

Par F. Mayaud
Moyenne des chroniqueurs
9.2

Informations sur l'album

Saison brune
1. Saison brune

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Note: 3.9/5 (53 votes)

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L'avis des visiteurs

    Erik67 Le 23/06/2024 à 08:28:22

    Voici un ouvrage que j’avais lu en 2012 et que j’ai relu 12 ans après comme pour mesurer le chemin parcouru depuis. Je me rends compte à quel point cette BD documentaire proposé par Philippe Squarzoni était malheureusement précurseur de ce phénomène qu’on appelle le réchauffement climatique et dont les effets sont désormais parfaitement visibles.

    A l’époque où l’on sentait moins ce phénomène même s’il était déjà assez marquant, je n'avais aucun a priori en commençant cette longue lecture sur les dangers que représente le réchauffement climatique. La démonstration était alarmiste pour conclure comme une évidence que le réchauffement climatique et l'augmentation dramatique de gaz à effet de serre sont directement liés à l'activité humaine. A noter que les arguments de l'auteur s'appuyaient sur des données scientifiques récoltées pour le compte du GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).

    Nous étions d'ailleurs noyés de données et d’analyses scientifiques qui pouvaient se contredire. Ce sujet méritait de la réflexion et non une acceptation pure et simple d'un parti pris. L'auteur reconnaît que le mécanisme n'était pas aussi simpliste que cela. En 1940, le taux de CO2 était supérieur à ce qu'il est aujourd'hui.

    Le GIEC a perdu sa raison en abandonnant sa réserve et a utilisé des méthodes de calcul qui allaient toujours dans son sens. Il faut savoir que 31000 scientifiques parmi lesquelles des prix Nobel ont signé une pétition, la fameuse Oregon Petition, pour indiquer qu'ils étaient sceptiques sur la réalité d'un réchauffement climatique exceptionnel, sur son origine humaine ou encore sur le fait qu'il ait des conséquences négatives. Donald Trump s’était d’ailleurs rattaché à leur avis.

    Parmi les réactions : « le GIEC fonctionne en circuit clos, il n’écoute pas les autres. Ses membres manquent de largeur de vue. Bref, pour eux, tout cela relève de la plus grave supercherie qui fait honte à la science (« l'arnaque du réchauffement climatique est la fraude pseudo-scientifique la plus grande et la plus réussie jamais vue de toute ma carrière de physicien » déclare Harold Lewis).

    Maintenant et ceci dit, nous devons tout faire pour lutter contre la pollution d’origine humaine. C'est un fait : l'homme pollue et détruit la nature. Cependant, est-il plus efficace que le soleil en matière de réchauffement ? Voilà également une interrogation légitime. Cet ouvrage a le mérite de nous poser des questions et d'entraîner la réflexion au-delà de toute polémique.

    L'auteur fait une démonstration plutôt brillante et assez convaincante sur la base de son enquête documentaire. Je reconnais là tout son talent. L'œuvre est en soi très intéressante car il énonce des vérités qui dérangent. C’est un travail journalistique qui est réellement salutaire et qui fait dans le sans concession.

    Cela se termine de manière assez pessimiste car l’espoir d’inverser le cours des choses est relativement mince au vu de la nature de cette crise et de l’ampleur des changements à accomplir.

    En effet, cela dépend de grands Etats comme la Russie et la Chine ou encore les Etats-Unis qui devront accomplir de sérieux efforts. C’est tout un changement du fonctionnement de nos sociétés qui est demandé. Pas facile...

    Reste de savoir comment sera le monde de demain. Faut-il se réjouir du futur ou bien au contraire le craindre ? A vous de vous faire une idée en lisant cette BD.

    Shaddam4 Le 26/06/2018 à 13:28:36

    L'éditeur a mis en place une page web très intéressante donnant plein d'infos sur l'auteur, les personnes rencontrées et l'ouvrage lui-même.

    A l'occasion de la réédition de Saison Brune, je vais vous parler de cet important album traitant du réchauffement climatique et des enjeux politiques qui sont derrière. La relecture de cet album paru il y a déjà six ans nous montre que l'alarmisme de l'auteur et des experts rencontrés pour l'occasion était loin de la réalité lorsque l'on regarde la situation de la planète aujourd'hui... Piqûre de rappel!

    Philippe Squarzoni n'est pas vraiment un auteur de BD. Il est plutot documentariste-dessinateur et traite de sujets à la fois personnels (il se mets en scène, mais pas à la manière d'un Michael Moore, de façon plus intimiste) et très politiques, globaux, comme cet ouvrage qui est un peu le pendant du film d'Al Gore "une vérité qui dérange", qui avait fait grand bruit à l'époque sur la question du réchauffement climatique.

    Le format BD documentaire est compliqué en ce qu'il joue sur un fil qui parlera à chacun selon ses sensibilités et ses envies. Je mettrais Squarzoni entre Lepage (pour l'implication intimiste), Joe Sacco (pour la précision documentaire) et Davodeau (pour l'engagement politique). Sur Saison brune il parvient en effet, en prenant le temps, à produite une somme, une enquête méthodique sur la question du réchauffement climatique, qui a l'intelligence de partir du point de vue du naïf...

    En début d'album l'auteur est en train de terminer son livre précédent (DOL, sur le second mandat Chirac) et s'interroge sur le débat concernant le réchauffement climatique et notamment les rapports alarmistes du GIEC. Il va alors s'informer, se documenter, interroger des experts et apprendre en même temps que le lecteur, lui expliquant avec pédagogie des questions souvent techniques sur le fonctionnement du climat, mais aussi des comportements humains. Par exemple, lorsque Squarzoni explique à sa femme que pour réduire l'impacte de la crise climatique il faudrait revenir au mode de vie d'un indien pauvre... et que personne n'a envie du niveau de vie d'un indien pauvre! Heureusement que le dessin (assez froid mais qui se prête bien à l'analyse) est là pour faciliter la compréhension, avec force illustrations pratiques (et une approche onirique qui me rappelle le travail de Shin'ichi Sakamoto sur Ascension par exemple).

    Je suis assez attaché au dessin dans la BD et je reconnais que le style hyper réaliste de Squarzoni (qui peut rappeler la technique d'un Christophe Bec par exemple) n'est pas forcément ma tasse de thé. Il permet néanmoins de poser une ambiance documentaire, journalistique, élément qui manque selon moi aux albums de Joe Sacco qui par son style presque cartoon casse un peu cette froideur utile au propos. Techniquement il n'y a rien à reprocher et certaines cases sont vraiment belles, notamment les nombreuses séquences contemplatives de nature.

    J'ai été assez bluffé par l'impression qui ressort de cet ouvrage. Une enquête qui demande de l'effort au lecteur, de l'implication, et dont on sort avec le sentiment d'avoir eu une démonstration totalement implacable, irréfutable, de la gravité de la situation climatique et de la responsabilité écrasante des dirigeants politiques et économiques. Le climat a déjà basculé et l'inertie du système fait que même si toute activité industrielle s'arrêtait immédiatement il faudrait une longue période pour que le système climatique retrouve son fonctionnement normal. En bref on n'est pas dans la merde...

    Les rapports du GIEC, critiqués pour leur caractère dramatique, sont ainsi des présentations déjà policées des observations de terrain. La seule faille dans laquelle s’engouffrent les climato-sceptiques est celle, imparable, de la courte période d'analyse. L'attaque est bien pensée puisque par définition, concernant le climat, seules des analyses sur des milliers d'années permettraient de démontrer par A+B la cause humaine du réchauffement. Al Gore avait assumé de forcer le trait en présentant dans son film des courbes à l'échelle géologique justement. Ceux qui voudront se voiler la face trouveront ainsi toujours des arguments techniques pour amoindrir la réalité de la crise. Il n'en demeure pas moins que l'ouvrage de Squarzoni, mais également toutes les autres œuvres ou documents sur le sujet convergent vers une analyse commune. L'homme est en train de creuser sa propre tombe et les éléments de langage politique sur la réversibilité de la chose sont totalement mensongers. Le mouvement est enclenché et ne pourra pas être arrêté.

    A lire sur le blog:
    https://etagereimaginaire.wordpress.com/2018/06/24/saison-brune

    Hellzed Le 14/10/2017 à 21:16:47

    Enfin lu le documentaire "fleuve" de Squarzoni, 464 pages dessinées tout en élégance sur le réchauffement climatique.

    Le bouquin paraît imposant mais se dévore littéralement et même si on apprend pas grand chose (pour peu qu'on soit un minimum instruit et au courant), son mérite est d'apporter de la clarté et une cohérence d'ensemble sur le sujet. Ce qui pouvait semble-t-il manquer malgré les rapports du GIEC qui font de plus en plus consensus.
    Squarzoni tisse des liens politiques, économiques et sociétaux -un peu comme Demain a pu le faire de manière superficielle- et rajoute une véritable mise en perspective et prise de distance en faisant appel à notre imaginaire et à toute la symbolique déversée par le système capitalistique moderne. Cela permet à Saison Brune de trouver une résonance en chacun d'entre nous, nous individus moyens, archétypes des sociétés occidentales encore très éloignés de l'idée d'une planète qui change. En ça le travail de Squarzoni est vraiment salutaire et son pavé devrait être inscrit comme lecture obligatoire dans les programmes d'enseignement. Qu'on se le dise !